Comment concilier dossier patient “officiel”, élaboré et géré par un hôpital, et les données que détient un patient, qu’il s’agisse des données figurant dans le dossier médical de son généraliste, de celles qu’il génère au quotidien (concept de quantified self, notamment) ou encore de celles qui concernent ses soins post-hospitalisation?
De plus en plus, le principe du “trajet patient” tente d’établir une continuité – et une cohérence – de toutes les données qui émaillent le parcours de soins, tout au long de la vie. Mais tout demeure encore très segmenté, organisé en “îlots” de données, qui sont détenues et gérées par divers intervenants, dans des systèmes (souvent) incompatibles ou non accessibles.
La solution de dossier personnel mobile Andaman7 de la jeune pousse liégeoise avait déjà brisé l’un de ces murs en tissant de premiers liens avec l’univers de l’hôpital, permettant ainsi au patient d’accéder aux données de son dossier hospitalier au départ de son appli. Le CHU de Liège fut le premier à autoriser la chose.
Aujourd’hui, la start-up veut pousser plus loin ce concept de passerelle et dévoile un projet de développement effectué en collaboration avec Dominique Bastille, ancien patron de MIMS. Cette société liégeoise a été à l’origine de la solution de DPI (dossier patient informatisé) OmniPro, largement adoptée par les hôpitaux belges francophones (la société appartient désormais au groupe NRB, via sa filiale Xperthis).
Le but est de permettre, d’une part, au patient de “récupérer” dans son appli Andaman7 les données de son DPI et, de l’autre, d’autoriser des données qui auraient été générées à son niveau (par lui-même, par son médecin généraliste, par une infirmière chargée des soins à domicile…) à être réexpédiées et réintégrées au DPI.
Solution concernée: OmniPro de MIMS qui, avant son rachat par Xperthis, bénéficiait d’une large base installée en Wallonie.
Une “passerelle” OmniPro-Andaman a donc été développée qui fait aujourd’hui ses débuts commerciaux.
Signalons au passage que si Xperthis a décidé de remplacer à terme la solution DPI OmniPro par une nouvelle solution basée en bonne partie sur bDoc (conçu à l’origine par Ciges, autre société rachetée par Xperthis), et si OmniPro ne connaîtra plus de développements majeurs, le logiciel devrait continuer à être supporté pendant sans doute 10 ans par Xperthis.
“Nous avons évidemment prévenu Xperthis de la sortie de cette solution axée OmniPro”, souligne Vincent Keunen, initiateur d’Andaman7. “Nous leur avons également clairement indiqué que des hôpitaux qui utilisent d’autres solutions qu’OmniPro – notamment bDoc – sont eux aussi intéressés par ce que nous allons proposer.” Message apparemment bien réceptionné par la filiale de NRB qui a pris contact pour envisager d’éventuelles pistes ou modalités de coopération. A suivre…
Tenir compte d’une nouvelle réalité
Aux yeux de Vincent Keunen et de Dominique Bastille, une solution telle que cette passerelle dossier perso-dossier hospitalier (ou autre d’ailleurs) est une nécessité, non seulement une demande croissante de la part des patients mais aussi une attente de la part des hôpitaux.
Côté patient, ce dernier ne peut plus, désormais, être considéré comme un “objet” inerte, un objet de soins. Il devient acteur de son trajet de soins. Ce n’est plus une théorie. C’est une réalité vers laquelle le secteur des soins de santé s’oriente inexorablement. Poussé d’ailleurs dans le dos non seulement par les progrès de la technologie mais aussi par les contraintes budgétaires imposées par les pouvoirs publics – en Belgique comme ailleurs.
Le patient devient producteur de ses propres données de santé. Son trajet hospitalier de soins s’étend de plus en plus en dehors des murs de l’hôpital, notamment en raison de la place croissante que l’on fera pour l’hospitalisation à domicile.
Côté hôpital, il devient inconcevable de ne pas tenir compte et de ne pas “se nourrir” d’informations santé que peut procurer le patient, son entourage, son “réseau” de soins personnel. Mais il devient tout aussi problématique pour l’hôpital d’ingurgiter toutes ces données et informations via réencodage.
Veiller à la structure et à l’efficacité
Les opérations de réencodage ont aussi un petit côté inutile. Le principe du “only once” que l’on tente de concrétiser en matière d’e-gouvernement devrait également pouvoir s’appliquer au secteur de la santé. Pourquoi, en effet, devoir systématiquement fournir les mêmes informations sur son “profil” lorsque l’on s’adresse à un nouveau professionnel ou établissement de soins?
L’une des contraintes majeures pour ces injections de données, en bidirectionnel, est bien entendu que les données, existant souvent dans des formats disparates, soient “harmonisées”, normalisées.
Vincent Keunen (Andaman7): “Les hôpitaux ont besoin de mécanismes qui leur font gagner du temps. Par ailleurs, il est temps d’aller également dans l’autre sens et de permettre au patient d’envoyer à l’hôpital des informations qui le concernent.”
La passerelle Andaman-OmniPro s’appuie en partie sur le potentiel de conversion de formats présent dans la solution OmniPro développée par MIMS. De quoi interpréter et traduire formats, données, champs souvent différents d’un hôpital à l’autre et réconcilier le tout entre OmniPro et Andaman7.
L’hôpital aura la possibilité de décider quelles données il “exporte” au départ du DPI. “Le mécanisme se devait d’être simple et transparent pour l’hôpital”, souligne Vincent Keunen. Certaines données ne peuvent évidemment pas être transmises. Soit pour des raisons de contraintes juridiques. Soit pour des considérations éthiques.
L’hôpital peut donc sélectionner, via la passerelle, les infos qui seront téléchargées dans l’appli. Il peut même prévoir une communication différée, avec possibilité de faire varier le délai de mise à disposition. Par exemple, pour permettre au médecin traitant d’annoncer lui-même à son patient les résultats d’une analyse ou un diagnostic “lourd”.
Des échanges bidirectionnels
Le premier scénario d’utilisation que permettra la passerelle Andaman7 sera l’échange bidirectionnel de données entre le DPI de l’hôpital et l’appli patient (embarquée sur smartphone ou tablette). Mais d’autres cas d’usage devraient suivre rapidement. Des exemples?
La possibilité de pré-remplir un formulaire d’admission à l’hôpital, qui serait téléchargé directement dans le système de l’hôpital.
Deuxième idée: les rapports PROM (patient-reported outcome measures) qui vont sans doute se généraliser à l’avenir. “Plus on se dirigera vers des durées d’hospitalisation réduites et un retour anticipé à domicile, plus le suivi de la qualité et efficacité des soins donnés en extra muros prendra de l’importance”, indique Dominique Bastille. “L’hôpital devra s’assurer que le rétablissement du patient se passe comme prévu.” Notamment parce qu’il sera potentiellement sanctionné [Ndlr: en termes de financement] en cas de retour du patient, pour cause de rechute ou de complication.
Mais pour réaliser ce suivi, le patient doit disposer d’un outil via lequel faire son petit rapport. “Sans cela, il ne sera pas forcément poussé à remplir ce genre de questionnaire s’il doit le faire sur le portail de l’hôpital…”
Comment fonctionne la solution imaginée? L’hôpital, via la passerelle paramétrable, envoie automatiquement au patient le questionnaire correspondant à la pathologie pour laquelle il a été soigné ; la patient le complète et le renvoie à l’hôpital. Avec intégration immédiate dans la base du données du DPI.
Ces informations seront précieuses, et même nécessaires, pour l’hôpital. A la fois pour rendre des comptes aux autorités compétentes (INAMI, SPF Santé) et justifier ses financements forfaitarisés et pour faire face à d’autres besoins (études scientifiques, statistiques…).
“L’hôpital sera par ailleurs mieux à même d’anticiper et de veiller à son efficacité”, ajoute encore Dominique Bastille.
Toujours dans le contexte d’un déport croissant de l’espace de soins vers le domicile du patient, la nouvelle solution pourra également être utilisée pour des comptes-rendus de soins par des prestataires tels que les infirmières à domicile.
Autre utilisation possible de la solution-passerelle: la réalisation d’enquêtes de satisfaction, après retour au domicile. “Les patients sont peu enthousiastes à l’idée de remplir de tels questionnaires quand ils sont à l’hôpital. Par contre, si on imagine une solution donnant-donnant, avec clairement un avantage pour le patient, la pratique pourrait devenir plus facile”, estime Dominique Bastille. Quelle serait cette “carotte”? Que les informations et commentaires livrés soient dans une certaine mesure un prolongement du DPI, “une suite logique de son hospitalisation.”
Quel modèle tarifaire?
Fidèle à son principe d’appli gratuite pour l’utilisateur final, A7 Software ne fera pas payer la passerelle par le patient. Pas plus d’ailleurs que par les prestataires de soins, côté domicile (infirmières, par exemple).
La rentabilisation du service viendra des hôpitaux ou encore des CSD — Centrales de Soins à Domicile — qui, pour chaque “remontée” d’informations, paieront un prix qui sera “calculé sur base de chaque projet en fonction du nombre de patients impliqués, de la durée, du volume d’utilisation.” Un autre critère (le modèle tarifaire doit encore être précisé) pourrait être un calcul de pourcentage du forfait que reçoivent les hôpitaux pour les différents actes concernés (pose d’une prothèse…). Une cinquantaine de ces forfaits de financement sont d’ores et déjà en vigueur et leur nombre devrait augmenter.
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