Transformation numérique: au-delà du slogan…

Hors-cadre
Par · 05/10/2017

La transformation numérique, le grand méchant loup ou la bouteille à encre pour de nombreuses sociétés. La conférence e-Forum, organisée par Cap Numérique, tentait de répondre à certaines inquiétudes et zones obscures. Notamment en termes de compétences et de processus organisationnels à réorienter.

Ce mardi 2 octobre se tenait à Herstal la conférence e-Forum, organisée par Cap Numérique. Une journée d’exposés sur le thème de la transformation numérique des entreprises (tous secteurs et tailles confondus) et de l’e-commerce.

Nous vous proposons, dans cet article, un petit florilège de réflexions et conseils émis par les différents conférenciers.

L’un des sujets abordés par plusieurs d’entre eux portait sur les compétences, technologiques ou plus “soft”, que les entreprises et leurs collaborateurs doivent faire évoluer pour se mettre au diapason du nouvel environnement numérique – ou pour ne pas rater le train.

La part croissante des technologies, en particulier la robotisation et l’intelligence artificielle, dans les processus organisationnels, commerciaux et industriels implique non seulement un danger pour le volume d’emplois mais aussi une remise en cause des compétences des collaborateurs. C’est là enfoncer une porte ouverte mais Michel Vlasselaer, du cabinet Roland Berger et professeur à Solvay, tenait à souligner combien il est important “de mettre certaines choses en place, dès à présent, pour se préparer à demain – même s’il est encore impossible de déterminer si ce “demain” se définit en termes de mois ou d’années.”

Apprivoiser les relations d’écosystème

L’un des changements profonds qui est à l’oeuvre concerne le fonctionnement d’une entreprise. Pour être efficace, elle se doit de mettre fin aux “silos” (séparation fonctionnelle des départements, manque d’échanges et d’intégration des données…) qui la caractérisent bien souvent et qui la font par ailleurs opérer en vase clos.

Le numérique, rappelait Michel Vlasselaer, impose le concept d’écosystème et dès lors “de nombreuses interactions avec le monde extérieur, via notamment des communications et échanges constants avec les clients, avec leus données, avec des partenaires, des sous-traitants… Il faut dès lors, en interne, quelqu’un qui ait les compétences requises pour gérer cet écosystème et non plus une personne qui sait comment gérer un silo interne.”

Michel Vlasselaer: “Sachant que la technologie permet de tout faire, la clé est surtout votre capacité à imaginer le futur. Hier, le leadership était une question de faculté à faire exécuter les décisions prises par le dirigeant d’entreprise. Désormais, le leadership devient quelque chose de nature plus inspirationnelle.”

Les relations de travail avec l’écosystème impliquent, pour les PME plus particulièrement, d’apprendre à collaborer efficacement aussi bien avec des start-ups qu’avec de grandes entreprises. Mais dans un mode relationnel/contractuel profondément remanié: progression des missions à durée déterminée, contrat par projet, nécessité de pouvoir intégrer temporairement des ressources et compétences ponctuelles, souvent assumées par une start-up voire des auto-entrepreneurs…

Ce sont là autant de nouveaux types de conventions et de contrats entre acteurs qu’il faut pouvoir maîtriser et gérer.

“On travaillera désormais davantage dans une optique consortium”, soulignait Charles-Henri Russon, directeur de programme au Collège Polytechnique International (Gembloux). On partage les coûts, on mutualise compétences entre intervenants, selon les compétences et expertises de chacun.

“Mais cela implique aussi pour chacun de se re-former sans cesse, de préserver sa propre expertise, de savoir piloter les prestataires de manière très réactive, de réfléchir à son vrai coeur de métier et aux partenariats possibles, d’identifier les équipes à rendre autonomes.”

A la frontière entre soft skills et processus organisationnels, il citait aussi la nécessité pour les collaborateurs d’une entreprise numérisée, quelles que soient leurs fonctions et responsabilités, d’apprendre à “réagir aux impulsions données par le logiciel” (puisque les robots virtuels, notamment, dicteront demain processus et tempo…).

Dans un mode nettement plus actif, “il s’agira d’impliquer davantage le département informatique dans les réflexions métier afin de s’assurer que ce qui est développé [comme outils, processus, “intelligence” machine] est logique et conforme à la volonté d’amélioration du service au client.”

Au-delà de la façade…

La transformation numérique ne peut demeurer une simple opération esthétique. Petite mise en garde de Régine Leroy, directrice du cabinet de consultance français Agilia Partners: “Le numérique, c’est le pouvoir du C. C comme dans client, consommateur, citoyen mais aussi collaborateur.

Tous les collaborateurs doivent être impliqués, sinon on n’ira pas plus loin que la création d’une vitrine [Ndlr: un site Web ne servant que de façade d’information ou de marketing, par exemple]. Souvent, derrière le site Internet, les processus internes n’ont pas évolué. Les silos et vielles habitudes demeurent.”

Transformation, certes, mais dans quel but?

Autre sujet: la nécessité de bien définir le cadre et les objectifs de tout projet ou processus de “transformation numérique”.

Autrement dit, la transformation – ou encore l’industrie 4.0, pour reprendre un autre slogan -, il faut certes s’y engager mais pour quoi faire? “On constate qu’au niveau-même des pays, on s’est engagé dans le concept d’industrie 4.0 avec des intentions très différentes. Les Etats-Unis placent surtout cette problématique sous l’angle des jobs industriels. En France, la stratégie choisie est de cibler des produits spécifiques. En Chine, ce sont des secteurs spécifiques. L’Allemagne, qui a été précurseur en la matière, visait surtout à définir un cadre avec, comme élément, majeur la promotion d’une collaboration entre recherche universitaire et industrie. En Belgique, quand on parle d’industrie 4.0, on pense surtout usine du futur…”

“Donc, oui, le 4.0 est quelque chose d’indispensable mais encore faut-il “savoir pour quoi faire. Si on ne peut apporter de réponse à cette question, on ne sait pas à quoi cela peut servir, on ne sait pas comment s’y frayer un chemin ni quoi y mettre…”

Olivier de Wasseige, tout nouvel administrateur-délégué de l’UWE, préconisait, lui aussi, de ne pas se lancer tête baissée dans la transformation numérique, juste pour faire comme tout le monde.

Il faut par exemple vérifier que le site Internet qu’on envisage permettra réellement de se différencier de la concurrence, que l’on ne se tire pas une balle dans le pied en portant ainsi préjudice à ses partenaires commerciaux traditionnels, qui se retrouveraient désintermédiés. “Il faut savoir où on en est et où on va.”

Ce à quoi Stéphane Ricoul, fondateur d’eCom Montréal et président de l’accélérateur du numérique de Montréal, ajoutait un troisième élément: “la société doit aussi savoir qui elle est, veiller à ce que la transformation numérique ne trahisse pas ses valeurs”. Sinon, elle risque de perdre des clients fidèles qui ne se retrouveraient pas dans la société “transformée”.

“La transformation numérique, c’est d’abord penser et visualiser la transformation de son organisation à 5 ans, à la lumière du numérique. Il faut identifier là où sont les zones sombres, autrement dit les leviers de croissance non encore identifiés, et les zones claires, à savoir les leviers de croissance existants qui permettront d’accélérer les zones sombres.”

Stéphane Ricoul (eCom Montréal): “La transformation numérique, c’est d’abord penser et visualiser la transformation de son organisation à 5 ans, à la lumière du numérique.”

“Il faut mesurer son degré de maturité numérique, pas uniquement en termes d’outils et de solutions utilisées mais aussi de compétences. Tout le monde, en interne, est-il au même stade? Attention de susciter la peur chez certains de devenir utiles, car c’est le meilleur moyen de les chasser de la société.”

Esprit transformateur, es-tu là?

Autre question: peut-on toujours se transformer en ne comptant que sur ses forces vives internes ou est-il judicieux, et selon quelles modalités, d’amener du sang neuf? Faut-il faire alliance avec une start-up, en faire un partenaire ou une entité intégrée dans la structure existante? Doit-on plutôt transférer une de ses propres équipes vers une sorte de labo d’innovation qui opérerait en dehors de la structure traditionnelle?

Si l’esprit “start-up” doit habiter – peu ou prou – une société, Michel Vlasselaer faisait référence au concept d’“entreprise ambidextre”. Autrement dit, la nécessité qu’il y a pour une société de pouvoir gérer la continuité son business actuel, “de continuer à exécuter efficacement ce qu’elle fait bien et, en parallèle, démontrer une capacité à explorer l’avenir. Il lui faut gérer l’interaction entre l’entreprise actuelle et le “labo” externe. Il faut veiller à tisser des passerelles entre les deux.”

Personne n’y échappera

Régine Leroy (Agilia Partners) présentait les résultats d’une étude sur l’impact attendu de l’“ubérisation” (un terme qu’elle rejette en fait parce que trop réducteur, parce qu’associé au seul “modèle” Uber ; elle préfère parler de phénomène de désintermédiation).

Tous les secteurs d’activités seront impactés. Services comme industries…

Les pourcentages indiquent le potentiel d’“upérisation” que les sociétés actives dans les différents secteurs estiment fort probable, voire inévitable… Source: Régine Leroy.

Une liste quasiment interminable de métiers et de secteurs seront ou peuvent eux-mêmes évoluer vers une désintermédiation, l’une des formes de “transformation numérique”. L’imagination est sans bornes. Même dans des secteurs qu’on penserait insularisés et immunisés (comme les professions légales et juridiques)… Même du côté de sociétés qui ont basé leur réussite en vantant la simplicité de leurs produits.

Régine Leroy évoquait le cas d’Ikea qui a récemment racheté la start-up TaskRabbit, auteur d’une plate-forme qui permet de trouver un prestataire amateur mais doué (en l’occurrence, un bricoleur habile de ses mains).

Dans son cas, il s’agirait plutôt d’ailleurs de ré-intermédiation, via un service imaginé pour venir s’insérer en maillon supplémentaire entre la chaîne et son client. Son fameux principe historique du “do it yourself” se transforme en “do-it-by-somebody-else”. Pour l’instant, ce service en mode “collaboratif” n’est encore disponible qu’aux Etats-Unis et en Angleterre…

Cet exemple amène à dire que “l’une des règles de base du concept de transformation numérique consiste à se demander: que puis-je simplifier, pour les clients ou pour mes collaborateurs?

Tout le monde peut simplifier. Il s’agit d’étudier avec attention et de trouver dans le parcours client des opportunités d’innovation.

Selon ce que veut le client, on peut imaginer de nouveaux modèles de services. Il faut revisiter, croiser les perspectives, regarder l’environnement et être agile.”