Conseillers bancaires: vivement que les robots finissent par l’emporter sur l’humain ! (1ère partie)

Hors-cadre
Par Carl-Alexandre Robyn · 20/06/2017

En tant qu’usager de banques, et étant donné la médiocrité des conseillers humains (chargés de clientèle), j’attends avec impatience l’apparition des robo-advisors (robots-conseils, programmés par des experts, qui prodiguent des conseils financiers). C’est-à-dire que, d’un point de vue strictement rationnel, je préfère la froideur de conseils automatiques efficaces plutôt que la tiède vacuité de l’expertise humaine dans l’industrie bancaire.

En effet, à longueur de temps, l’ineptie des conseils reçus et la trivialité des solutions “cliché” mises en avant deviennent nocives. J’en déduis que la coupable et dangereuse incurie ordinaire de plusieurs conseillers clientèle fait le lit des robots spécialisés et même des  chatbots (robots conversationnels sophistiqués pouvant gérer les questions les plus simples et/ou les plus répandues).

Quel client, particulier ou entrepreneur, n’a jamais eu à subir la nonchalance insupportable du travail et du comportement de certains chargés de clientèle? Voici un florilège de justifications entendues en accompagnant mes clients entrepreneurs. Elles émanent de “conseillers professions libérales”, “conseillers entreprises”, “conseillers commerciaux clients professionnels”, etc. – y compris dans la “banque préférée des entrepreneurs” : “Je suis seule dans cette agence et j’ai d’autres dossiers; je ne pourrai pas vous donner une réponse avant…”, “Je suis désolé, je pensais que nous avions rendez-vous la semaine prochaine…”, “Je remplace Madame X qui a quitté l’agence pour aller travailler au siège… si vous m’expliquiez qui vous êtes et ce que vous faites…”.

En d’autres mots, des rendez-vous postposés, oubliés, interrompus (par un ou plusieurs appel(s) téléphonique(s) impromptu(s) requérant l’attention immédiate de notre interlocuteur), avec une interlocutrice remplaçante, sans préparation du dossier (il faut tout réexpliquer au conseiller lors de l’entrevue), délais d’attente des décisions de la banque, etc.

Si au moins tous ces désagréments étaient compensés par un conseil de qualité, une solution optimale à votre problème apportant une véritable valeur ajoutée… mais non, rien de tout cela. Souvent, la seule constante est la banalité des solutions proposées par les chargés de clientèle.

La platitude des solutions prodiguées par ceux-ci s’explique par:

  • l’environnement traumatisant dans lequel évoluent ces malheureux
  • le volume d’informations qu’ils ont à emmagasiner
  • leur recrutement bâclé et leur formation lacunaire aux produits et services bancaires.

Un ensemble d’éléments qui les empêche d’accomplir sereinement et correctement leur travail.

L’environnement stressant

a.  Course constante aux résultats

Nous savons tous que l’année de travail des conseillers en agence bancaire est rythmée par des challenges commerciaux, sorte de courses aux résultats, qui mettent chaque conseiller en concurrence avec ses collègues. La tension commerciale maximise le résultat global de l’agence en maintenant constamment les conseillers les moins bien classés sous pression.

Ce faisant, elle instaure de fait un “court-termisme” presque absolu puisque la course aux résultats ne s’arrête pratiquement jamais. En effet, tous les produits et services bancaires sont quantifiés: des objectifs à réaliser à terme sont fixés pour chacun avec concomitamment un plan de marche hebdomadaire (ou mensuel) à respecter pour l’atteindre ; épargne, assurances, comptes courants, cartes de débit, etc.

Ce contexte incite les conseillers à des comportements pas toujours propices aux intérêts des clients. En totale impunité et en parfaite contradiction avec les slogans marketing du type “l’intérêt de la banque passe après celui du client”.

En effet, quelle peut-être l’objectivité des conseils prodigués aux clients? Puisque les recommandations fournies et subséquemment les solutions proposées ont d’abord un impact, direct et/ou indirect, sur la rémunération et sur l’évolution de carrière du conseiller avant de se répercuter sur la situation du client.

D’ailleurs, “conseiller” aux particuliers ou aux entreprises est un vocabulaire de marketing destiné à la communication externe. En interne, ils sont appelés plus prosaïquement  “vendeurs”. C’est une mascarade peu vertueuse mais efficace.

Si un entrepreneur en quête de solution de financement temporaire tombe en agence sur un conseiller en retard sur ses objectifs concernant les straight loans ou les crédits de caisse, le jugement de celui-ci sera probablement biaisé par la pression induite par ses réalisations commerciales insuffisantes au moment de l’entretien.

De même, un particulier à la recherche d’une solution de paiement ou de placement prend le risque de recevoir un avis pas totalement conforme à ses intérêts si son conseiller en agence est en retard sur ses objectifs de vente de tel ou tel produit bancaire: carte de crédit, sicav maison, fonds à promesse maison, assurances additionnelles, type de contrat d’épargne pension…

b. Turnover important

La nouvelle gestion des carrières dans l’industrie bancaire semble engendrer un rythme de rotation des effectifs conséquent dans les points de contact avec la clientèle. Les mutations internes du personnel impliquent fréquemment un changement d’interlocuteur pour le client fidèle à son agence et cela nuit à la création d’une relation de qualité à long terme entre le conseiller et son client.

Donc, dire que le conseiller humain connaît bien mieux son client est une assertion de moins en moins vraie au fur et à mesure que la mobilité des conseillers, liée à la gestion de leur carrière, aux restructurations des agences (fusions, disparitions), mais aussi à la rationalisation des RH (dégraissages), s’accroît.

Par ailleurs, plusieurs agences ont perdu, à des degrés divers, des postes de conseiller ces deux dernières années. Ce qui signifie que les conseillers en place doivent chacun prendre en charge plus de clients. Cette augmentation du nombre de clients à servir ne peut s’accompagner d’une meilleure connaissance de chacun de ceux-ci.

Comme les horaires de travail (le nombre d’heures travaillées mensuellement) des conseillers clientèle ne changent pas, l’augmentation du nombre de clients à servir en agence diminue mécaniquement le temps consacré à ces derniers et donc, la qualité de la relation et du service en pâtit.

Le volume d’informations à emmagasiner submerge les conseillers

Le conseil peut être biaisé par impératif commercial mais aussi plus simplement par la capacité intellectuelle du conseiller. Imaginez que la plupart des réseaux bancaires commercialisent entre 400 et 800 produits et services financiers différents. Chacun ayant des caractéristiques (avantages, inconvénients, contre-indications) diverses et des incidences transversales (fiscales, patrimoniales, juridiques…).

Il est naturel qu’au moment de conseiller, les produits et services ayant été présentés lors des derniers séminaires de formation reviennent en mémoire plus facilement, faisant oublier les produits plus traditionnels et peut-être plus propices à la situation particulière du client.

En outre, pour pouvoir ajuster ses recommandations, le conseiller clientèles doit pouvoir s’y retrouver dans la jungle des solutions financières hors banque: les différentes modalités et plates-formes du crowdfunding, du crowdlending (sites Web de prêts de financement pour les PME), de l’affacturage, du leasing

On le voit bien, les conseillers financiers font face à une complexité extrême et croulent sous les informations de leurs clients mais aussi sous la littérature économique, financière et fiscale, et ils doivent composer avec ce flot pour comprendre et apporter des solutions.

En fait, prendre une décision financière pouvant avoir un impact sur votre patrimoine revient à résoudre une équation différentielle aux multiples dérivées. Or, quel conseiller humain est-il capable de résoudre mentalement une équation à plusieurs inconnues? La majorité d’entre nous peuvent mentalement trouver les racines des équations à une variable en utilisant généralement une “règle de trois”, mais cela se limite généralement à cela.

Le recrutement et la formation sont expédiés sans soins

a. A contresens de la politique de recrutement 

Aujourd’hui, les réseaux bancaires généralistes ont tendance à recruter des gradués (bacs+2) comme futurs conseillers clientèles. C’est étonnant vu la complexification (technicité et incidences transversales) croissante des produits et services financiers commercialisés. Jadis, dans les années 1990, les banques recrutaient leurs commerciaux parmi les universitaires (minimum licenciés ou équivalents bacs+4).

La négligence ou la désinvolture qui sont parfois constatées par les clients dans les attitudes ou les comportements de leurs gestionnaires de comptes (mauvaise gestion ou impréparation des rendez-vous, absence d’accusés de réception aux courriers et courriels envoyés, voire absence tout court de réponses ou délais de réponses exagérément longs, etc.) sont les symptômes d’un probable mauvais sondage des soft skills (capacités de socialisation ou aptitudes aux relations interpersonnelles, qui se distinguent des compétences techniques et administratives classiques) (*) des futurs conseillers clientèles lors de la procédure de recrutement.

b. Conseillers imparfaitement formés

De temps en temps, la plupart d’entre nous (a fortiori quand nous disposons d’un bagage financier) ont l’impression que la connaissance des produits et services proposés par nos interlocuteurs au sein de la banque sollicitée laisse à désirer.

Certains conseillers bancaires (y compris des directeurs d’agence) ne connaissent même pas le b.a.-ba de leur métier. C’est parfois le cas avec la formule des intérêts composés. Au hasard des explications supplémentaires qui leur sont posées sur les produits proposés, on remarque trop souvent une confusion entre taux de chargement mensuel et taux d’intérêt annuel, confusion entre taux d’intérêt nominal et taux d’intérêt composé…

Proposer de l’ingénierie patrimoniale quand on ne maîtrise suffisamment ni les outils ni les techniques revient à construire des châteaux de sable.

Ou encore, telle “conseillère clientèle Indépendants et Professions libérales” est incapable de démontrer au client suspicieux l’avantage financier que représente pour lui un crédit à un TAEG (acronyme de taux annuel effectif global) (**) de 0% mais assorti de conditions (souscription d’assurance omnium + renonciation au rabais achat véhicule/matériel neuf) par comparaison à un crédit nominalement plus cher mais sans conditions.

Ou encore, le “conseiller placements” qui conseille hâtivement de fuir les fonds monétaires et de sortir des SCPI (société civile de participations immobilières) (***) pour choisir des fonds Rendement solidaire et des assurances-vie en gestion pilotée en-ligne dont le mandat de gestion est censé rapporter plus que la moyenne du marché. Mais en oubliant que les SCPI (recommandées par son prédécesseur l’année précédente) imposent une pénalité de sortie si elles sont vendues endéans les 3 ans de leur détention.

Proposer de l’ingénierie patrimoniale quand on ne maîtrise suffisamment ni les outils ni les techniques revient à construire des châteaux de sable.

Par ailleurs, certains d’entre nous ont pu voir avec quelle errance les conseillers bancaires naviguent dans le maelström des data (consultation en cascade de multiples fichiers). Parfois, ils semblent découvrir devant nous une information cruciale : “Ah je vois ici que vous avez effectué plusieurs transferts…”. Plus souvent, ils usent de tactiques dilatoires du genre: “l’ordinateur ne me donne pas accès à…” ; “Je n’ai pas accès à…” ; “Je ne trouve pas…”, tout cela généralement pour masquer leur manque de maîtrise des systèmes d’information.

Près de 90% des clients y sont favorables

Il n’est pas étonnant de voir des clients à la fois résignés et emplis de colère. La liste de griefs peut être plus ou moins longue selon l’expérience de chacun: faible écoute de la part de leurs conseillers, connaissance imparfaite des produits et services proposés, médiocrité des conseils pas toujours désintéressés, rémunérations obscures de l’épargne (mystère du calcul de la prime d’accroissement sur un livret d’épargne…), tarifications complexes fréquemment modifiées, etc.

Le sourire cordial et la sympathie des conseillers compensent-ils tout cela? Je préfère nettement un conseil optimal même s’il m’est donné froidement plutôt qu’un conseil médiocre servi chaleureusement. Peu me chaut l’empathie du banquier du moment qu’il m’apporte une solution efficace, rapide et désintéressée.

“Empathie”, “importance du facteur humain”, etc.: vocables poudre de perlimpinpin pour rassurer les émotifs, les usagers impressionnés par le discours institutionnel bien rôdé. Pour les clients décidés et rationnels, il n’y a que le résultat (la qualité du conseil, les résultats tangibles de la solution apportée) qui compte !

Heureusement, exaspération et soumission ne seront bientôt plus une fatalité pour les usagers des banques. En effet, pour eux, l’éclosion grandissante de robo-advisors est une perspective alléchante.

Pourquoi? Comment? Carl-Alexandre Robyn s’en explique dans la deuxième partie de son réquisitoire – à découvrir dès ce jeudi.

Carl-Alexandre Robyn

Start-up Financial Architect (Cabinet Valoro)

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(*) “soft skills”: grosso modo, ces compétences incluent cinq jeux de talents relationnels: 1) savoir communiquer et entrer en relation ; 2) savoir travailler en équipe ; 3) savoir gérer son temps et soi-même ; 4) savoir prendre des décisions et des initiatives ; 5) savoir prendre ses responsabilités. [ Retour au texte ]

(**) TAEG : le taux effectif d’un crédit, c’est-à-dire le taux nominal (les intérêts à payer) d’un crédit, augmenté des frais directement liés à la souscription de ce crédit que l’emprunteur doit payer en plus du capital emprunté (exemples: frais de dossier, assurances…). Le TAEG permet une meilleure comparaison des différents crédits entre eux. [ Retour au texte ]

(***) SCPI : l’objet d’une société civile de placement immobilier est l’acquisition et la gestion d’un patrimoine immobilier professionnel, généralement composé de bureaux ou de commerces. La société de gestion s’occupe de collecter de l’argent auprès de particuliers, de trouver des biens dans lesquels investir, de gérer ce parc immobilier et de redistribuer les loyers et/ou les avantages fiscaux à ses porteurs de parts, les « associés ». [ Retour au texte ]