Amoobi: vous bougez, je décrypte

Portrait
Par · 23/08/2012

En 2011, le département OPERA (optics, photonics, electromagnetism, radiocommunications, acoustics) de l’ULB donnait naissance à une spin-off: Amoobi. Domaine d’action: la géolocalisation de personnes et, plus spécifiquement, à l’intérieur de bâtiments. Vaste terrain d’exploitation tant sont nombreux les secteurs ou contextes potentiellement concernés mais Amoobi préfère se concentrer sur un secteur en particulier. A savoir, le retail.

Une problématique bien spécifique

L’intérieur des bâtiments pose un problème de taille aux signaux GPS (désormais pisteurs de notre quotidien). Ces signaux sont en effet bloqués par les murs, cloisons, objets et obstacles en tous genres, rendant dès lors impossible toute définition de position exacte.

Pour être efficace, la localisation doit dès lors recourir à d’autres techniques mais qui imposent l’implantation d’un réseau de capteurs et bornes aptes à enregistrer et relayer des signaux sans-fil, émis soit par des tags RFID, soit par les équipements mobiles des personnes qui évoluent à l’intérieur des bâtiments.

C’est dans ce dernier scénario que s’inscrit la société Amoobi, basée à Nivelles. Objectif de sa solution: comprendre, interpréter les parcours suivis par les personnes qui fréquentent un espace commercial…

Si la société a décidé de ne viser que le seul secteur du retail (grande distribution, producteurs, non-food), c’est parce que “ce secteur est sous pression”, souligne Olivier Delangre, co-fondateur de la société. “Il a donc intérêt à mieux comprendre le consommateur, avant-même qu’il y ait achat. Notre solution permet par exemple de comprendre si une vente est liée au flux généré en magasin.

Le fait de nous concentrer sur la seule industrie du commerce nous permet de répondre à ses besoins spécifiques avec des connaissances pointues.” Les autres secteurs seront donc laissés aux bons soins de partenaires (voir plus loin).

Ce qui ne veut pas dire que la société se contente de l’acquis. Ses solutions ont surtout été déployées jusqu’ici dans de grandes surfaces commerciales mais conviennent également pour de plus petites enseignes (déjà à partir de 50 m²). Ce marché-là est encore relativement vierge.

Et Amoobi commence à démarcher les marques, “potentiellement intéressées à analyser l’attractivité d’un rayon.”

Une localisation “douce”

La société a ajouté une autre particularité à la nature de ses solutions: elle se limite en effet à de la géolocalisation qualifiée de “passive”. Autrement dit, une géolocalisation non intrusive, respectueuse de l’anonymat et de la vie privée des personnes. Les signaux identifiés sont ceux des dispositifs WiFi ou Bluetooth des GSM ou autres smart phones qui ne révèlent que des données anonymes (seule indication révélée: le numéro de série de la puce). Les capteurs ne collectent donc pas le signal cellulaire associé à la carte SIM du GSM, qui, elle, est en effet personnelle.

Si l’utilisateur le désire, il peut en outre éviter toute détection en coupant son GSM ou en désactivant la fonction sans-fil.

L’infrastructure déployée se compose d’un ensemble de détecteurs (dont le nombre dépend de la surface à couvrir, de la disposition des lieux et du degré de précision désiré). Ils détectent et ‘pistent” les signaux WiFi ou Bluetooth émis par les équipements portables des visiteurs et clients. Les capteurs, de type sans-fil, ne nécessitent ni câblage préalable, ni intégration avec l’infrastructure IT du magasin (les données sont collectées par un mini-serveur installé dans le magasin et relayées en 3G vers le serveur d’Amoobi).

Olivier Delangre: “Notre volonté de ne pas enfreindre la vie privée et de ne pas collecter de données à caractère personnel est également un atout. Cette règle nous permet de gagner des clients. Les enseignes, en effet, ne désirent pas que leur clientèle ait une image négative de leur société…”

Comportements révélateurs

En cartographiant en quelque sorte les déplacements des clients entre les rayons, il devient possible d’analyser leur mouvements et comportements et d’utiliser cette information pour une grande variété d’objectifs. Notamment: optimiser l’agencement des magasins, mieux disposer les produits dans les rayons, déterminer les lieux de gros passage ou les temps passés devant tel ou tel rayon ou produit, réorganiser les horaires d’équipes ou assigner davantage de personnes à un rayon particulier, juger de l’efficacité d’une action promotionnelle temporaire, mesurer l’attractivité d’un point de vente ou d’un département…

“Sur Internet, la manière dont un internaute se déplace sur un site, parcourt les pages, s’arrête à tel endroit, a son attention attirée par telle ou telle chose, est devenue monnaie courante. Ironiquement, cela n’est pas possible dans le monde réel brick & mortar. Nous ciblons donc spécifiquement le secteur de la grande distribution parce que ce marché a besoin d’améliorer l’expérience du visiteur.”

Jusqu’à présent, les solutions de géolocalisation d’Amoobi ont été déployées par les clients pour des périodes de courte durée (quelques semaines, tout au plus) mais Olivier Delangre voit également une opportunité dans une installation de type permanent. “La géolocalisation peut en effet être un élément opérationnel de la gestion des enseignes.”

Que ce soit pour des missions temporaires ou plus permanentes, Amoobi se voit davantage comme un fournisseur de produits, “à très forte connotation logicielle, même s’il y a des équipements à l’appui. Mais nous nous voyons davantage comme un centre d’excellence répondant à des besoins précis en termes d’analyse de données. Si nous avons développé, au début, une couche hardware, c’est parce qu’il n’existait pas de solution de communication ad hoc à l’époque. Aujourd’hui, les équipements, de nouveaux potentiels de communications, commencent à faire leur apparition. Nous adoptons donc une attitude plus attentiste en la matière.”

Désormais, l’essentiel des travaux de développement se concentre donc sur le volet logiciel. A la fois dans sa dimension gestion d’infrastructure (“pour l’optimiser et permettre une installation et gestion la plus automatisée possible des capteurs et autres équipements”) et dans l’aspect purement applicatif. “En matière d’analyse des données, nous voulons aller le plus loin possible. En ce compris dans le domaine du croisement avec d’autres types de données.”

Ce fut le cas chez Makro (plus de 10.000 “parcours” ont ainsi été captés et analysés en l’espace de 12 semaines) où le croisement a été effectué avec les chiffres de ventes globalisés. “Il peut par exemple être intéressant d’agréger des données pour déterminer qu’à telle ou telle date, tel rayon ou département a eu tel nombre de visites et que ce total s’est traduit par tel autre nombre de ventes effectives.”

En matière d’intégration et d’agrégation, il est un autre domaine avec lequel Amoobi pourrait envisager une complémentarité. C’est celui des données collectées par des caméras de surveillance, faisant office de compteurs de chalands. Mais ce scénario tient encore de la simple possibilité. “L’analyse de données caméra comporte des spécificités qui nous inciteraient plutôt, si nous devions l’envisager, de le faire avec des partenaires spécialisés.”

Au-delà du retail

Les techniques de géolocalisation indoor (qu’elles soient intrusives ou non) intéressent bien entendu une grande variété de secteurs et de types d’exploitants de bâtiments. Amoobi en est évidemment consciente et ne se coupe pas de ces opportunités mais elle préfère s’en remettre à des partenaires pour démarcher d’autres secteurs, qu’il s’agisse de lieux de conférences, d’espaces culturels ou récréatifs, de bâtiments destinés à l’organisation de conventions ou séminaires… “Nous leur procurons les technologies aptes à exploiter les données collectées et jouons donc le rôle d’apporteurs de solutions pour ces partenaires.”

Premier partenaire officiel: Digix. D’autres contacts ont été pris mais Olivier Delangre ne se dit pas pressé de multiplier les conventions de partenariat: “Nous voulons en priorité asseoir notre produit, procéder aux adaptations et développements. Nous sélectionnerons les partenaires sur base de leur capacité à proposer le produit à un marché spécifique, de leur envergure ou représentativité, et de leur efficacité en termes de collaboration avec nous.”

“Nous n’avons pas de concurrent en Belgique et seulement quelques-uns dans le monde. Nous voulons donc jouer dans la cour des grands le plus vite possible et nous assurer une vraie position au niveau européen. Au moins.”

Il est toutefois un domaine dans lequel Amoobi se dit en “recherche active de partenaires”. Parce qu’il touche à sa zone d’expertise. Il s’agit, en l’occurrence, des sociétés et organes en charge de la valorisation de zones commerciales urbaines. “L’évaluation du potentiel commercial est notre coeur de métier, même si c’est à la marge…”. Par contre, des projets touchant davantage à l’animation d’un espace urbain (théatralisation de rue, dynamisation urbaine…) seront laissés à des partenaires.

Qui dit espace urbain dit en toute logique environnement extérieur. Question: en quoi cela concerne-t-il la géolocalisation “indoor”? En fait, ses principes peuvent également trouver à s’implémenter en extérieur. “Dès l’instant où le propriétaire d’un terminal mobile n’a pas activé la fonction GPS, le modèle indoor redevient intéressant. Notamment dans le contexte de rues commerçantes. Jusqu’ici, on n’a pas encore résolu le problème que pose le comptage des passants. Notre solution permet de déterminer combien de temps une personne reste à un endroit, si elle y vient souvent, si elle déambule en ligne droite ou non, à quelle vitesse… Cela peut par exemple être utile pour une rue piétonnière, pour déterminer dans quelle mesure elle fait office de simple voie de passage ou si les gens la fréquentent pour du shopping… Ce sont là des informations particulièrement intéressantes pour les sociétés ou organismes responsables de la valorisation de l’espace urbain.”

Dans son rôle d’“apporteur de solutions technologiques”, Amoobi devra nécessairement élaborer un modèle de licence pour l’utilisation de la solution. Il lui faudra aussi asseoir son profil de fournisseur de solution autonome, apte à s’intégrer à une infrastructure existante et aux solutions métier ou techniques tierces installées par d’autres intervenants ou revendeurs. Le cas échéant, une structure de type groupe pourrait être mise en oeuvre avec, d’une part, une Amoobi Technologies qui serait propriétaire des technologies et octroierait des licences à des tiers et, d’autre part, une entité Amoobi Retail, proposant des solutions clé-en-main à une clientèle ciblée.

Internationaliser dès maintenant

Amoobi n’a pas l’intention de rester longtemps cantonnée au seul marché belge, “viable mais trop exigu”. Ses pays-cibles seront, en priorité, les Pays-Bas, la France, l’Italie et l’Allemagne. “Nous sommes encore au stade de l’investigation, du repérage de projets mais nous voulons aller à l’international dans le court terme. Notre outil est en effet relativement unique dans son genre, en termes d’approche des données à analyser. Nous n’avons pas de concurrent en Belgique et seulement quelques-uns dans le monde. Nous voulons donc jouer dans la cour des grands le plus vite possible et nous assurer une vraie position au niveau européen. Au moins.”

La spécificité et l’originalité de la solution d’Amoobi lui viennent, selon Olivier Delangre, des techniques de localisation, d’échantillonnage et d’analyse mises au point. “La géolocalisation précise en intérieur est chose compliquée. Il faut fusionner de multiples signaux. L’installation et le calibrage de l’infrastructure à implanter représentent un nouveau défi dans la mesure où le signal est sujet à variations. Et ce, même si la personne reste immobile. En effet, des perturbations de signal peuvent par exemple provenir des mouvements des personnes alentour.”

Ces problématiques ont été analysées et solutionnées dès l’époque où le projet évoluait encore au sein du département OPERA de l’ULB.

Aujourd’hui, la recherche se concentre sur l’extraction d’indicateurs pertinents parmi la masse de données collectées. “C’est d’ailleurs pour jouer la carte de l’extrême précision et pertinence de ces indicateurs que nous nous limitons au secteur du retail. Afin de faire valoir une réelle expertise.”

Pour son entrée sur des marchés étrangers, Amoobi explore simultanément deux pistes complémentaires: d’une part, e ce serait la voie la plus aisée, les opportunités signalées par des clients existants, présents à l’international; d’autre part, l’identification d’un intermédiaire commercial qui pourrait tout aussi bien être une petite société de conseils spécialisé en retail ou un acteur de plus grande envergure “du genre Ipsos”.

 

Amoobi planche sur un autre concept: celui d’un “tag” RFID qui serait apposé sur le caddy ou le panier. C’est ce dernier qui serait donc “suivi” et ses déplacements cartographiés et analysés. Sans qu’on sache qui le guide dans les allées… Plus encore que la solution basée sur les signaux WiFi ou Bluetooth, l’anonymat des données est ainsi garanti. Mais il y a évidemment un désavantage: “qu’un caddy soit abandonné dans un rayon et on perd toute la pertinence de la collecte des données.”

Les tests de cette solution ont été faits en laboratoire mais le déploiement commercial n’est pas à l’ordre du jour. En cause: “l’absence de demande”, explique Olivier Delangre. “Notamment parce que nos clients ne désirent pas générer davantage de données qu’ils ne le font déjà. L’installation de tags sur les caddies impliquerait aussi l’installation de matériels supplémentaires.”

 

 

 

LEGENDE

 

“Nous n’avons pas de concurrent en Belgique et seulement quelques-uns dans le monde. Nous voulons donc jouer dans la cour des grands le plus vite possible et nous assurer une vraie position au niveau européen. Au moins.”