Début octobre, le centre de compétences Technofutur TIC (Gosselies) dévoilait un nouveau programme de formations qualifiants, baptisé Data Academy (relire la présentation que nous en faisions). Cette initiative surfe sur la vague – et le besoin manifeste – de profils orientés traitement des données et, plus spécifiquement, des “mégadonnées” (mieux connues sous l’appellation big data).
Nous avons rencontré les initiateurs de cette Data Academy afin de préciser à la fois leurs motivations et leurs intentions.
Un catalogue de 12 métiers associé à un éventail de modules de formations pertinentes pour chacun d’eux a été élaboré. Voir illustration ci-dessous.
Pour sa phase de démarrage (2016-2017), la Data Academy a sélectionné quatre métiers dont les entreprises locales (grandes ou petites) lui semblent être plus particulièrement demandeuses dans l’immédiat. D’autres métiers et, dès lors, d’autres bouquets de formations pourraient venir s’y rajouter par la suite.
4 profils prioritaires
“Le marché est en mutation. Il a besoin de pouvoir exploiter des outils au service de la transformation numérique et de la transformation, qualitative et valorisable, de données en informations. Voilà pourquoi nous avons réalisé cette cartographie des principaux rôles en matière de gestion des données”, explique Emmanuel Boucquey, l’un des artisans du programme de formations.
Quelques chiffres
croissance du volume de données: de 11 à 30% par an. Source: Quantum.
70% des données disponibles en entreprise ne sont pas exploitées. Source: IDC.
12% du chiffre d’affaires est dilapidé pour cause de mauvaise exploitation des données disponibles ou de leur piètre qualité. Source: Experian, 2014.
12 métiers en ont émergé dont plusieurs regroupés au sein d’une nouvelle “Cellule data” qui concerne les métiers de Chief Data Officer, de data scientist, de data analyst et de machine learning engineer.
Au final, 4 premiers profils ont été considérés comme des priorités. Leur choix a encore été renforcé, dernièrement, par la publication d’une étude, basée sur les offres d’emploi via LinkedIn, qui pointait notamment les profils de type analystes statistiques et spécialistes du data mining comme les deuxièmes métiers les plus en pénurie dans le monde.
Ces 4 métiers pour lesquels des formations sont programmées jusqu’à fin 2017 sont les suivants:
- Chief Data Officer, dont le rôle et les responsabilités se situent essentiellement dans le domaine de la définition d’une stratégie data et d’une gouvernance des données; “il doit également être source de créativité pour et dans l’entreprise, aller débusquer l’information là où elle se trouve et sans qu’elle soit forcément visible”
- consultant en business intelligence ou consultant en big data, qui doit posséder des compétences en infrastructure de collecte et de traitement de l’information
- data analyst: professionnel capable de créer, manipuler et gérer tableaux de bord et rapports et exploiter les données qu’ils contiennent
- data scientist, oiseau beaucoup plus rare encore sur le marché du travail, qui pousse l’exercice jusqu’à l’étape de la prédiction voire de la prescription décisionnelle.
Motivations et ambitions
Le premier élément est le timing. La pénurie en compétences big data, notamment en “data scientists”, est constatée depuis quelques trimestres (sinon années) déjà et ne fera que devenir plus flagrante et critique au fil du temps, à mesure que des sociétés toujours plus nombreuses s’emparent de cet instrument potentiel de compétitivité et de performance commerciale.
Pierre Lelong (Technofutur TIC): on dit souvent des données qu’elles sont le nouvel or noir. Prenant une analogie plus proche de la réalité locale, il trace un parallèle avec le charbon… “Il est essentiel de former les gens au charbon du 21ème siècle. Il nous faut des ingénieurs des mines, des personnes capables de creuser des puits et des galeries, d’explorer les veines, de trier le charbon…”
Outre le fait que le big data soit l’un des mots-clé du Plan wallon du numérique, pourquoi lancer ces formations maintenant?
Pierre Lelong (Technofutur TIC): Il y a aujourd’hui un clair besoin, du côté des PME, face aux enjeux de la transformation numérique. Le problème est que, si elles en sont conscientes, elles ne savent pas comment s’y prendre.
On constate par ailleurs, dans l’écosystème, un manque de formations pédagogiques supérieures où les data occupent une place dédiée. Il manque encore un parcours (de formation) cohérent et intégral.
En quoi le programme de formation s’adresse-t-il ou convient-il à la fois aux grandes entreprises et aux PME?
Emmanuel Boucquey: Les quatre premiers métiers choisis et les formations identifiées constituent le kit de base pour une entreprise, qu’il s’agisse d’un grand compte ou d’une PME. Ces formations leur procureront les outils de base nécessaires pour rendre la société opérationnelle en matière de données, prête à en faire son carburant.
Professeur Stéphane Faulkner (UNamur, Technofutur TIC): Les formations sont adaptées aux besoins des entreprises. Les apprenants ont le choix entre suivre un cursus complet d’un an pour s’approprier un profil complet ou venir compléter des compétences pré-existantes en suivant un module spécifique, en 2 à 5 jours.
La modularité permet une formation qui ne soit pas trop lourde par rapport aux contraintes d’une petite entreprise. Les prix pratiqués vont dans le même sens [Ndlr: 250 euros par jour et par personne mais avec la possibilité, notamment, de faire valoir des chèques-formation]
En quoi ces formations se différencieront-elles de ce que proposent ou proposeront bientôt les universités, notamment l’UCL, l’ULB ou l’UNamur?
Prof. Stéphane Faulkner: Les offres de formations universitaires visent des profils bien ciblés. Elles sont ouvertes aux informaticiens, aux ingénieurs, aux statisticiens, ce qui implique certaines limites. Leurs formations restent en outre souvent des formations généralistes, dans des thématiques assez larges qui ne mettent pas en exergue les problématiques des entreprises.
La Data Academy le fera et mettra à disposition des outils de gestion qui sont courant dans le monde des entreprises. Nous avons sélectionné les outils qui sont à la fois les plus demandés et les plus utilisés selon les catégories fonctionnelles enseignées.
Une partie des formations proposées pour les 4 profils jugés prioritaires.
La formation s’adresse à la fois aux professionnels actifs et aux chercheurs d’emplois. Quel quota de places sera réservé à ces deux cibles?
Yvan Huque (directeur de Technofutur TIC): La formation s’adresse en effet à la fois aux entreprises, dans le cadre d’une politique de recrutement ou de formation continue, et aux demandeurs d’emploi. Selon la règle instaurée pour le centre de compétences, les formations sont certes mixtes mais sont destinées à 90% pour les employés. Seulement une place sur 10 est donc réservée aux demandeurs d’emploi.
Nous nous voulons prudents en raison d’attentes et de besoins différents venant de ces deux groupes-cible.
Nous acceptons bien entendu les demandes provenant des chercheurs d’emploi mais la demande doit être argumentée, le besoin justifié. Nous appliquons un filtre de sélection qui passe par un entretien individuel, avec questionnement sur la démarche et qualification du profil.
Prof. Stéphane Faulkner: “Les formations universitaires restent en outre souvent des formations généralistes, dans des thématiques assez larges qui ne mettent pas en exergue les problématiques des entreprises.
Les apprenants seront-ils amenés à travailler sur des cas concrets?
Prof. Stéphane Faulkner: Il est important, en matière de formations à la gestion de données et de big data, de se confronter à la vraie réalité, à dimension belge. Cela implique que le critère déterminant pour parler de big data tient davantage à l’hétérogénéité, à la variété, des données, venant de diverses sources, plutôt qu’au concept de volume. La formation ira dans ce sens.
Yvan Huque: L’individualisation des formations se fera en termes de compétences à acquérir. Par contre, les apprenants ne seront pas autorisés à travailler sur un projet ou un cas concret intéressant spécifiquement leur entreprise. Nous voulons en effet éviter que Technofutur TIC ne franchisse la ligne jaune de la consultance. Nous ne voulons pas nous substituer au marché.
Yvan Huque (Technofutur TIC): “Seulement une place sur 10 est donc réservée aux demandeurs d’emploi. Nous nous voulons prudents en raison d’attentes et de besoins différents venant des deux groupes-cible.”
A partir de quand et selon quels critères de décisions la Data Academy élargira-t-elle son offre à d’autres profils, en termes de formations?
Yvan Huque: Courant 2017, nous ferons le bilan des modules existants. Nous déciderons ensuite d’en ajouter selon les besoins, présents ou futurs, exprimés par le marché.
Prof. Stéphane Faulkner: Il y a parfois un danger à proposer une formation trop tôt parce que les entreprises ne sont pas prêtes. Nous avons pu le vérifier, voici quelques années, en proposant trop tôt des formations de développeurs pour environnement mobile… Nous verrons donc quelle est la situation, au gré des conférences et des séances de sensibilisation qui seront organisées.
[Une promesse toutefois: le potentiel de réactivité sera suffisamment important pour ajouter sans trop tarder un module qui répondrait à un besoin confirmé. Ce qui nous amène à la question suivante…]
Quelle est la capacité de formation pour 2017?
Côté formations pour entreprises, le nombre de places est de 150. Auxquelles s’ajoutent 35 ou 40 places pour demandeurs d’emploi et parcours de spécialisation.
Quid si la demande augmente, voire explose?
Yvan Huque: 150 personnes est le niveau de base. Si la demande explose, les autres Centres de compétences (Technobel à Ciney, Technifutur à Liège, Technocité à Mons) pourront entrer en jeu. Chacun est certes spécialisé dans son domaine mais si le besoin se fait sentir, tous peuvent ajouter des formations généralistes. Cela a déjà été le cas, par le passé, pour satisfaire la demande en formation Java et .Net. Nous pouvons donc déployer la Data Academy sur d’autres sites. C’est la force sous-jacente du réseau de centres de compétences: un passage rapide à l’acte.
Technofutur TIC, lui-même, peut encore monter en puissance, notamment en sollicitant d’autres outils tels que des modules de formation à distance.
Comment Technofutur TIC fera-t-il connaître sa Data Academy et “démarchera”-t-il les entreprises, grandes ou petites, pour attirer des personnes à former?
Yvan Huque: Nous approcherons notamment différents secteurs par le biais des Pôles de Compétitivité pour affiner la perception de la demande et des besoins. L’un de nos partenaires pour la promotion sera le Cefora. Par ailleurs, nous travaillerons avec les différents secteurs et les fédérations afin de sensibiliser plus en amont.
Est-ce – enfin – l’heure de la “gouvernance” des données?
Hier encore cantonnées et jalousement gradées par le seul département IT ou des spécialistes de bases de données, les données et l’analytique relèvent de plus en plus du dynamisme qu’a chaque métier, au sein de l’entreprise, de s’en servir et de réconcilier réalité de terrain et ressources data brutes. “Chacun doit ainsi contribuer à la transformation numérique de l’entreprise”, soulignait par exemple Pierre Lelong, consultant en innovation numérique auprès de Technofutur TIC.
La “gouvernance” des données – un concept dont on parle depuis de nombreuses années mais qui commence seulement à devenir un élément concret de la gestion – impose non seulement de nouvelles attitudes mais aussi de nouvelles compétences. Les initiateurs de la Data Academy en énumèrent certaines composantes:
- “mise en corrélation cohérente entre métier (ou business) et données
- identification de la valeur des données pour les activités de l’entreprise
- design des données en fonction des besoins métier
- orientation clients
- différenciation et structuration des rôles autour des données
- accentuation de la réactivité, voire de la prédictibilité”
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