Benjamin Böhle-Roitelet (Ekito): “certains accélérateurs déçoivent parce qu’ils ne suivent pas leurs propres règles”

Hors-cadre
Par · 14/09/2016

L’accélérateur toulousain Ekito, qui a inauguré en février 2015 un nouvel espace d’accélération baptisé Grand Builder, se démarque – volontairement – de la “méthode” et des modes de fonctionnement classiques d’un accélérateur. Pas du “simple” accompagnement ou encadrement de start-up, mais de la co-construction avec le porteur de projet. Une co-construction constamment remise en question. Et ce principe de la construction constante, l’accélérateur se l’applique aussi à lui-même: “le modèle évolue sans cesse afin d’en arriver à trouver le bon.”

Etant entendu par ailleurs que ce “bon modèle” est plutôt du genre potentiellement éphémère, en morphing lui aussi constant. Parce que les choses évoluent vite – contraintes du marché, thèmes porteurs, types d’idées, nature des start-up, attentes des investisseurs potentiels…

Pas de cadre inflexible

L’encadrement chez Ekito et Grand Builder, c’est une équipe de 40 personnes, “et non 3 comme d’habitude en France”. 40 personnes “qui ont chacune une histoire, qui ont et donnent envie de vivre des aventures.” L’“histoire” de chacun doit contribuer à l’accompagnement efficace du starter: “Thomas, chez nous, est spécialiste du story telling mais c’est aussi quelqu’un qui a réussi, par son parcours, une sorte de grand écart culturel, travaillant chez Ubisoft à Montréal, avant de partir pour Shanghai… Un autre de nos experts a contribué à bâtir la communauté iOS en France…”

Les profils et compétences sont variés: brand designers, développeurs chevronnés, spécialistes en stratégie sociale, hackers, créatifs, makers, ingénieurs son

Benjamin Böhle-Roitelet, 39 ans. Diplômé en mathématiques financières.

  • cofondateur d’Ekito et de ses deux accélérateurs: Grand Builder (Toulouse) et Blue Builder (Saint-Jean-de-Luz), ce dernier ayant pour thèmes l’océan, le surf et le sport d’action
  • ambassadeur de la French Tech (ed tech et industries culturelles et créatives), membre de French Tech Toulouse
  • initiateur de la conférence FailCon, version hexagonale de l’événement Failing Forward organisé chez nous par startups.be – l’événement où l’on apprend des erreurs et échecs des autres
  • mentor pour The Bridge (la structure orientée culture du réseau French Tech à Avignon), pour Ocean Tech et pour la conférence Sónar+D (Barcelone)
  • conseiller auprès de Corsican Tech
  • membre du comité créatif de la French Tech Space (campus Station F, situé à Freyssinet, près de Paris)

L’accélérateur Grand Builder, né en 2015, a pris ses distances vis-à-vis de certains modes classiques de fonctionnement de ses homologues, inspirés par le Y Combinator américain: pas de demo day, pas de session clairement délimitée dans le temps, pas de mentorat classique, un cheminement balisé, sans rythme réellement imposé, qui va de la validation de l’idée à la mise sur le marché, en passant par l’édification du modèle commercial, la constitution de l’équipe, la recherche de financement.

S’éloigner du canevas classique d’un accélérateur est, dans le chef de Benjamin Böhle-Roitelet, un choix assumé – et étayé par l’expérience, souligne-t-il. “Certains accélérateurs n’offrent pas une bonne qualité parce qu’ils n’appliquent pas à eux-mêmes les conseils, les leçons qu’ils inculquent aux start-ups. Résultat? Beaucoup de start-ups en sortent déçues…”

Ce qui coince? Tout d’abord, la période d’accélération de trois mois, “trop courte”. Le mode de sélection des start-ups, trop simpliste et réductrice. Le mode d’accélération, trop théorique. Le “Demo Day” qui rate sa cible.

Benjamin Böhle-Roitelet (Ekito): “Nous suivons une dynamique de construction constante”.

Mais comment expliquer qu’il faille dévier de la “formule” à la Y Combinator alors qu’elle semble marcher sous certains cieux? “Parce que le contexte est différent de celui des Etats-Unis: niveau d’investissement, volume de start-ups, carrure entrepreneuriale des porteurs de projet, nombre d’exits et capacité de “sorties” réussies…” Tous paramètres qu’on ne trouve pas ou pas dans les mêmes proportions en Europe…

On ne doit donc pas appliquer, chez nous, les mêmes règles, le même canevas. Il faut moduler, chercher sans cesse le bon modèle. “Chez Ekito et Grand Builder, on a essayé plein de choses et on continue de le faire.”

La réalité de terrain

Reprenons dans le détail.

Premièrement, la période d’accélération, jugée trop courte. “Impossible, en 3 mois, pour un porteur de projet d’assimiler tout ce que ses 10 mentors lui auront proposé comme idées, de devenir bon dans tous les domaines.”

Benjamin Böhle-Roitelet (Ekito): “Trop souvent les accélérateurs n’appliquent pas à eux-mêmes les conseils qu’ils donnent à leurs start-ups.”

L’accélérateur Grand Builder a dès lors été imaginé sur le schéma temporel suivant: un mois de chauffe avant d’intégrer l’accélérateur; une incubation de 3 mois; suivie de 6 mois (période adaptable) d’accompagnement pour poser les bases de l’indépendance.

Deuxièmement, la sélection, perçue comme trop simpliste. “Généralement, les start-ups sont sélectionnées sur base d’un pitch devant jury, parfois sur simple vidéo.” Selon un canevas convenu. “Mais les start-ups et porteurs de projets se parlent entre eux et savent ce qu’on attend d’eux. Impossible dès lors de réellement détecter les points forts et les points faibles.” Il s’agit donc de les surprendre par des modes de sélection renouvelés.

Troisièmement, la méthode, trop théorique, d’accompagnement. “Le principe général est de dire aux start-ups comment faire. Mais une fois le mentor parti, le porteur de projet se retrouve seul. Chez Ekito, nous avons choisi le principe du “build”, du “faire”. Nous faisons avec la start-up.”

Et il ne faut pas, par ailleurs, se tromper de compétences à inculquer, selon Benjamin Böhle-Roitelet: “l’entrepreneur ne doit pas devenir un expert en iOS ou en référencement mais il doit… être un entrepreneur.”

Benjamin Böhle-Roitelet (Ekito): “Trop souvent les accélérateurs n’appliquent pas à eux-mêmes les conseils qu’ils donnent à leurs start-ups.”

Quatrièmement, le Demo Day. Illogique, selon lui, dans la mesure où les start-ups qui intègrent un accélérateur y viennent à des stades différents de leur processus de maturation. “Parfois leur projet n’est encore qu’un prototype. Certains cherchent un financement, d’autres n’en ont pas besoin ou ne sont pas encore mûres pour cela. Dans ces conditions, les faire toutes pitcher devant des investisseurs après trois mois, alors qu’elles ne sont pas forcément prêtes, est à la fois mauvais pour elles et pour l’accélérateur.”

Autre élément important: “savoir choisir le bon investisseur. Pourquoi dès lors présenter toutes les start-ups aux mêmes investisseurs?”

Plutôt logique, ce raisonnement…

Le bon moment

Un projet, une idée, un investisseur peut être bon en soi mais le moment, lui, n’est pas pour autant opportun ou idéal. Parfois, c’est la bonne idée, mais elle n’est pas portée par la bonne personne. Parfois, l’adéquation est idéale mais le porteur de projet n’est pas prêt à s’engager dans l’aventure. “Ne pas dire stop à ce moment-là, c’est lui faire perdre plusieurs années de sa vie s’il s’entête. Il faut arriver à ce qu’il comprenne qu’il n’est peut être pas un entrepreneur.”

Y a-t-il un “bon moment” pour devenir entrepreneur? “Il faut choisir le bon moment dans sa vie car pour être entrepreneur, il faut de l’énergie, du temps, un bout d’argent.” Conseil basique: “soyez entrepreneur avant d’avoir des gosses. Parfois aussi, il n’y a pas de moment, de fenêtre, pour devenir entrepreneur.”


Dans la suite de cet article, Benjamin Böhler-Roitelet procède à une série de mises en garde à l’égard des porteurs de projet. Parce que sous les promesses et l’ivresse de l’entrepreneuriat se cachent bien des pièges, des idées reçues et des désillusions évitables…