Voici quelques semaines, l’Atrium, l’agence régionale bruxelloise du commerce, lançait un concours de projets “Make.brussels” destiné à redynamiser dix quartiers commerçants de Bruxelles.
374 propositions avaient alors été récoltées, dont relativement peu ayant un caractère métier et/ou numérique. La grande majorité des projets rentrés avaient plutôt une orientation festive, grand public, événementiel, conso et animations en tous genres.
Nous vous avions toutefois présenté quelques-uns des projets orientés numériques (e-commerce, marketing digital…).
Lorsque vint l’étape de la sélection (30 projets retenus, à raison de 3 par quartier visé), on n’a pu que constater la rareté de projets orientés solutions numériques. A ce stade-là et dans ce registre, c’était encore le quartier de la rue Neuve qui apparaissait comme le plus volontariste puisque deux des trois projets retenus avaient cette connotation numérique.
Il s’agissait, d’une part, de “Brusee”, qui proposait une découverte vidéo interactive à 360° “pour une immersion dans les hôtels, restaurants et magasins”. De l’autre, Strypty, une appli en mode “gazette locale” sur tablette ou smartphone, présentent les événements, coupons, bonnes affaires… Avec un volet recommandations.
Un projet orienté e-commerce avait également émergé du côté des Marolles puisque Womer, application de recommandations de commerces de proximité avait recueilli 853 votes, assez pour figurer dans le top 3.
Après décision finale du jury, il n’est finalement resté qu’un seul projet orienté numérique parmi les 10 projets qui bénéficieront d’un financement et d’un accompagnement par des acteurs régionaux (notamment l’Atrium) afin de concrétiser leur projet. Il s’agit, en l’occurrence, de Strypty.
La faute à la méthode ?
Le fait de confier aux internautes de tous poils le soin d’opérer la sélection – en votant en-ligne – a assez logiquement eu pour résultat de faire émerger des idées qui mettent à l’honneur des évènements ou activités grand public, parfois de type très temporaire (concerts, animation de rue, infrastructures loisirs…).
Au vu de la sélection finale, de nombreuses voix se sont rapidement élevées pour regretter cette orientation. En quoi, cela va-t-il réellement redynamiser le commerce, l’économie locale, attirer acheteurs et clients? N’y a-t-il pas déjà surabondance d’événements? Une action plus fondamentale n’aurait-elle pas un effet de plus longue durée, plus stable et efficace?
La critique, a posteriori, est toujours jugée facile et… stérile. Ce qui ne veut pas dire qu’elle ne se justifie pas. Beaucoup, donc, s’interrogent sur la méthode et les objectifs.
Alors cette action Make.Brussels aurait-elle gagné à être mieux structurée? Aurait-il fallu faire davantage de place à une évaluation sous un prisme professionnel? Aurait-il fallu introduire d’autres paramètres, un élément de pondération?
Dominique Moraux, qui avait porté le projet “A digital village in Dansaert” (orienté e-commerce), est l’une de celles qui regrettent que des solutions directement utiles aux commerçants n’aient pas émergé.
Ses interrogations sont multiples: “le projet Make.brussels semble avoir manqué de préparation” ; “Atrium n’a sans doute pas prévu tous ces cas de figure [dans les sélections qui seraient faites]” ; “la plupart des commerçants n’étaient même pas au courant de l’opération”.
Sur ce dernier point, son ressenti s’appuie sur les échos qu’elle a recueillis auprès des commerçants du quartier Dansaert: “Environ deux-tiers des quelque 70 commerçants que j’ai rencontrés n’étaient pas du tout au courant du projet Make.brussels! D’autres en avaient entendu parler… par un autre porteur de projet qui était passé dans leurs boutiques pour demander leurs votes. Mais du coup, ils avaient très mal compris le projet global.”
D’autres, “légèrement” excédés par les problèmes provoqués par le piétonnier (ou qui lui sont attribués), estimaient que ce genre d’initiative n’avait pas de réelle utilité. Certains parlaient même de “projets-bidon destinés à cacher la réalité et à donner bonne conscience aux politiques”. Ambiance, ambiance!
Dominique Moraux: “A partir du moment où des projets festifs et grand public sont proposés sur le même pied que ceux qui visent une réelle action pour l’économie locale, ils récoltent beaucoup plus facilement des votes. Finalement, le budget mis en jeu devra peut-être sponsoriser des actions non soutenues par les commerçants locaux avec le risque d’un mécontentement encore plus important de leur part.”
Une petite dizaine de commerçants rencontrés estimaient que la sélection ratait l’objectif: “pourquoi des projets “festifs” destinés à amener la foule vers le centre-ville? Ce n’est pas ça qui va redynamiser l’économie locale. Des projets destinés à attirer le grand public, il en existe déjà et en très – trop – grand nombre.”
Beaucoup de commerçants ne s’y retrouvent donc pas. Le président de l’association des commerçants de Dansaert estimait, lui, que le projet avait carrément dévié du cadre qu’on lui avait présenté au départ. Dans son esprit, les votes auraient dû être, majoritairement, entre les mains des commerçants eux-mêmes…
Qu’en dit Atrium?
Comment les responsables de l’Atrium expliquent-ils la faible proportion de projets orientés “métier”, avec des composantes s’appuyant sur les technologies mises au service des commerçants? Comment justifie-t-il que le jury n’ait pas retenu ceux qui avaient malgré tout survécu au vote de la “foule”?
“Le jury a avant tout évalué la pertinence des projets par rapport au quartier commerçant concerné. Il a évalué la maturité du projet, de l’équipe qui le portait, et la faisabilité-même du projet”, indique Maxime Jean, directeur digital marketing pour l’Atrium et, à ce titre, responsable des projets orientés numérique.
Il estime par ailleurs que le problème de fond se situe sans doute du côté de la pertinence de projets numériques pour la revitalisation du commerce. “Il y a un problème de fragmentation des solutions destinées au retail. Il devient de plus en plus difficile d’identifier et de cibler les réelles carences du secteur et d’accoucher d’une solution qui les résolve. Le marché est à la fois saturé et très spécialisé.”
Y aura-t-il, autrement dit, trop de solution, trop de “bruit”? Mais comment alors expliquer que le secteur du commerce cherche encore la solution-miracle? “Le problème est double. Il est à la fois difficile de créer quelque chose de nouveau qui soit réellement innovant et difficile d’identifier ce qui manque. Nombre de solutions existent mais elles proviennent souvent des Etats-Unis et elles ne sont pas vraiment utilisées.”
L’Atrium, pour autant, dit ne pas baisser les bras et, conscient du problème, s’est engagé dans un processus visant à tenter d’y porter remède. “Nous avons plusieurs projets en préparation, destinés à faciliter l’adoption de ces nouvelles technologies par les commerçants locaux.
Maxime Jean: “Notre rôle, à l’Atrium, est de faciliter l’émergence d’une économie locale des applications.”
Nous voulons lutter contre la difficulté qu’éprouvent les auteurs de solutions locales à s’imposer. Les clients locaux adoptent difficilement de jeunes solutions locales et cela décourage les entrepreneurs de se lancer. Notre rôle, à l’Atrium, est de faciliter l’émergence d’une économie locale des applications, à rendre les solutions locales plus visibles pour des prospects, à les aider à prospecter…
Le but des projets en préparation est aussi d’aider les commerçants à mieux maîtriser sa transition numérique, en priorité vers le marketing digital.”
Quand ces projets verront-ils le jour? Potentiellement début 2017. Des projets dans lesquels l’Atrium, en tout cas, ne semble pas vouloir s’engager seul…
Le noeud du problème est-il ailleurs?
Lors d’une intervention à la récente Journée des PME (placée cette année sous le thème de la transformation numérique), Olivier Willocx, directeur du BECI (Chambre de commerce et Union des entreprises de Bruxelles), pointait un manque de réflexion pertinente tant de la part de chaque acteur du commerce bruxellois que de la part de certains responsables.
Olivier Willocx (BECI: “Il ne faut pas se tromper de débat. Ce qu’il faut, c’est une transformation complète.”
Revitaliser, redynamiser le tissu économique bruxellois, en particulier celui des commerces, ne se fera pas – insistait-il – en recourant à des solutions éculées ou dépassées. Or, trop souvent, on s’engouffre encore dans des chemins trop évidents mais qui ne mènent pas à grand chose…
Procurer un site Internet aux commerçants? Pourquoi pas! “Mais encore faut-il savoir par exemple ce qu’on va vendre. Si c’est pour y vendre quelque chose qui est 4 fois plus cher et moins différencié que ce qu’on trouve ailleurs, cela ne vaut pas la peine, pour le commerçant, de dépenser 4.000 euros par an pour le faire et le tenir à jour.
Ce qu’il faut, pour attirer à nouveau le chaland vers le centre-ville, c’est une politique active et intelligente sur les médias sociaux. A l’heure actuelle, ce genre de réflexion n’est pas du tout conduite par les exploitants. Sans doute pour une question de génération.
Ce qu’il faudrait faire, c’est identifier les hauts revenus [et donc consommateurs potentiels] jusque dans les moyens de transport qu’ils empruntent, les détecter via des applis et les usages mobiles qu’ils ont. Or, peu de gens sont compétents pour le faire.
Il ne faut pas se tromper de débat. Créer de nouvelles vitrines [sites Internet] bourrées de belles photos, on l’a déjà fait. Ce qu’il faut, c’est une transformation complète.”
Mais il allait plus loin… “Le problème le plus important est de modéliser ce qui va se passer dans le temps, prévoir les mouvements économiques, les nouveaux besoins…”
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