L’Ecole 42 est une structure d’enseignement de l’informatique, créée voici 3 ans à Paris par Xavier Niel (Iliad-Free) en collaboration avec des anciens d’Epitech (École pour l’informatique et les nouvelles technologies), à savoir Nicolas Sadirac, Kwame Yamgnane et Florian Bucher.

Hormis le fait qu’il ait la particularité de procurer un enseignement gratuit, entièrement financé par son fondateur (voir en fin d’article), l’établissement se démarque par le modèle pédagogique choisi.

Principales caractéristiques: un cheminement personnalisé, un accent mis sur le travail en équipe et l’“intelligence collective”, un accompagnement en ligne, l’apprentissage de la débrouillardise plutôt que celle de matières prédigérées… A découvrir par nos abonnés Select et Premium…

Public visé: les 18 à 30 ans. La limite d’âge de 18 ans est choisie volontairement. Primo “parce que c’est plus simple de ne pas avoir à gérer des mineurs”. Deuzio, “parce que nous ne voulons pas empêcher les jeunes de décrocher leur bac”.

Pas de diplôme pré-requis pour pouvoir intégrer l’Ecole 42. La sélection se fait via un concours en-ligne (test de logique, notamment). Sur les quelque… 20.000 candidatures reçues, trois groupes de 800 candidats sont retenus pour la 2ème phase de sélection. Chaque cohorte de 800 candidats suit un programme d’un mois. Au programme: 15 exercices à faire par jour, 7 jours sur 7. Au bout, une place à l’Ecole 42 pour les 800 meilleurs. Qui recevront dès lors un enseignement pendant trois ans.

Un cursus qui s’étale sur 3 ans mais sans que cela ne soit un carcan. Pas de découpage en années mais plutôt en une série de modules qu’il faut réussir successivement. Et certains progressent plus vite que d’autres, bouclant parfois le cursus en deux ans. Certains, au contraire, ont besoin de plus de 3 ans pour tout assimiler. Qu’importe…

Les apprenants doivent accumuler des “points d’expérience” en résolvant exercices et projets.

La formation: la programmation, la logique algorithmique. L’enseignement s’appuie sur une poignée de langages informatiques ayant des structures et caractéristiques bien spécifiques (procédural, C, C++, orienté objet, fonctionnel). Le fait d’en avoir compris le fonctionnement doit permettre, demain, aux étudiants de se débrouiller avec tout autre langage.

Pas de cours de gestion mais les responsables de l’Ecole 42 envisagent la possibilité d’ajouter de nouveaux “cours” d’ici 2 ou 3 ans: management, comptabilité, propriété intellectuelle… Pour l’heure, par ailleurs, ceux qui se forment à l’Ecole 42 sont plutôt destinés à postuler en entreprise. Pas vraiment à lancer leur propre boîte.

Pas de cours ex cathedra. Des professeurs qui sont plutôt des coach, qui délivrent leurs cours sous forme de séquences vidéo pré-enregistrées.

Pas de présentiel mais des “cours”, exercices et projets à réaliser – et notions à apprendre – présentés sous forme de capsules vidéo, que chacun gère à son rythme. Pas de présentiel classique mais des conférences, des visites de professionnels qui viennent expliquer leur métier…

Hormis les concepts de travail en équipe, d’espace libre et la contrainte que représente le nombre des apprenants, la raison de ce “non-présentiel” se trouve dans le fil rouge de l’Ecole 42: “les étudiants doivent trouver eux-mêmes leur chemin pour résoudre un problème parce que l’IT évolue trop vite. De nouveaux langages, de nouvelles technologiques, de nouveaux réseaux naissent tous les jours. Dans la vie réelle, il n’y aura personne dans une entreprise pour expliquer à l’informaticien comment faire…”, justifie Sébastien Benoît, responsable technique et pédagogique de l’Ecole 42.

Des cours qui se donnent entièrement sur ordinateur dans trois salles immenses – 270 Macs, en rangs d’oignons, par salle. Des “classes” qui sont des espaces ouverts devant permettre aux apprenants de travailler en groupes. “Nous voulons travailler avant tout l’intelligence collective, amener les apprenants à résoudre les problèmes ensemble”, explique Sébastien Benoît.

Sébastien Benoît: “Les étudiants doivent trouver eux-mêmes leur chemin pour résoudre un problème parce que l’IT évolue trop vite. Dans la vie réelle, il n’y aura personne dans une entreprise pour expliquer à l’informaticien comment faire…”

Des groupes de travail qui se constituent spontanément, selon les affinités, mais qui, pour certains exercices, sont formés par l’équipe pédagogique pour éviter que ce soient toujours les mêmes équipes qui se forment. Mais aussi pour forcer les apprenants à travailler dans des équipes dont les membres ne présentent pas tous le même niveau de connaissances ou de performances – “parce qu’ils n’auront pas le choix dans leur vie professionnelle.”

Une pédagogie axée sur le travail collaboratif, la notion de problème à résoudre. Il s’agit essentiellement de “problème rassemblant des notions techniques”, d’exercices et de petits projets. “Les vrais projets industriels, ils les feront lors de leur stage.”

Une pédagogie où l’apprenant est beaucoup laissé à lui-même, pour le forcer à être créatif dans la résolution des problèmes et à être autonome.

“Le professeur n’indique pas quelle piste suivre car ce serait orienter les étudiants. Le principe est celui du mur qu’il faut franchir par soi-même. Il est plus facile de tester les différentes options possibles par l’intelligence collective.”

Evaluation automatique

Dès le stade de la sélection, le présentiel classique est banni du modèle pédagogique “parce que tous les étudiants ne sont pas au même niveau”.

C’est au coeur de la salle informatique de l’Ecole 42, véritable tour de contrôle, que la gestion des cours est pilotée, les évaluations calculées et l’enchaînement des modules “conseillé”.

Les apprenants travaillent sur base d’exercices qui leur sont proposés sous forme d’une vidéo, qui explique les notions à apprendre et la mission à réaliser. Le week-end est réservé à des projets à réaliser en groupe – avec défense du résultat devant les autres groupes d’apprenants.

Chaque soir, les 15 exercices effectués par les 800 candidats sont notés automatiquement par un programme (impossible de faire autrement, vu le nombre).

Cette même automatisation de l’évaluation se retrouve dans le cursus proprement dit.

A l’heure actuelle, l’Ecole 42 poursuit encore le développement et l’affinement de son logiciel. Car, les cotations ne sont pas les seules en jeu. Le logiciel “guide” aussi l’étudiant. En fonction de ses capacités et des résultats déjà atteints, il lui conseille tel ou tel exercice qui pourrait lui rapporter davantage de “points d’expérience”. Les développements se poursuivent pour l’insertion de notions psycho-pédagogiques en collaboration avec l’université de Nanterre – il se peut d’ailleurs que des collaborations se tissent, en la matière, avec des ressources de Belgique francophone.

Un environnement “stakhano-vite”

On y vient en métro ou… à skate

La philosophie de l’Ecole 42 est un peu celle d’un campus (université ou start-up) californien. L’établissement doit être ressenti et vécu “comme une deuxième maison”.

Tout est aménagé “pour que les étudiants se sentent chez eux et travaillent le plus possible”.

Il y a donc un resto, une cafétaria, des espaces de relaxation, un Food Truck où l’on paye son repas par carte pré-rechargée (avec une appli qui prévient les étudiants que la file d’attente est trop longue… pour éviter les pertes de temps).

Pendant les quatre semaines que dure la sélection initiale, certains apprenants dorment sur place, dans des sacs de couchage – pas encore de dortoir aménagé mais cela devrait être possible demain, lorsque l’Ecole aura récupéré de nouveaux espaces. Les douches, elles, sont déjà prévues…

Gratuité à vie

Xavier Niel a voulu que l’Ecole 42 opère selon un principe de gratuité du cursus. Il l’a financée lui-même – équipement et fonctionnement compris – et le fera pendant 10 ans. A l’issue de cette période, les gestionnaires de l’établissement devront voler de leurs propres ailes. A eux, donc, de trouver des financements – privés et/ou publics – pour garantir que les apprenants continuent de bénéficier d’une formation gratuite.

Selon quel modèle? Beaucoup trop tôt pour le savoir ou même l’imaginer, disent les responsables. La première “promo” commence seulement à quitter l’établissement. “Il est impossible de penser dans une perspective à 7 ans. Si nous réfléchissons trop tôt, nous n’aurons pas tous les éléments en main pour trouver le bon scénario et nous risquerions d’imaginer quelque chose qui serait en-deçà de ce qu’on pourrait faire.”

Salle de régie et de captation vidéo, pour piloter et diffuser les modules d’enseignement et vidéos des profs

L’un des paramètres nouveaux qu’il faudra inclure dans la réflexion est l’évolution des autres établissements d’enseignement de l’IT, plus classiques. En réaction à l’existence de l’Ecole 42 et à son modèle de gratuité, certains commencent à tenter de nouvelles choses. Comme par exemple proposer la gratuité pour une partie de la première année de formation, indique Sébastien Benoît, responsable technique et pédagogique de l’Ecole 42.

N’y aura-t-il dès lors pas une forte concurrence pour attirer des sponsors (privés ou publics)? Cela ne fait-il pas peser des doutes sur l’avenir de l’Ecole 42? Sébastien Benoît se veut optimiste: “Notre but, contrairement aux autres écoles, n’est pas de générer du profit. Les autres établissements veulent avant tout faire gagner de l’argent à leurs actionnaires. Il nous sera plus facile de nous faire sponsoriser grâce à notre philosophie de but non lucratif, en continuant de jouer la carte de la qualité maximale.” [ Retour au texte ]