Le mal des start-ups belges (2ème partie): Frileux, les capitaux-risqueurs belges?

Hors-cadre
Par Carl-Alexandre Robyn · 07/06/2016

Peut-on dès lors en déduire que les venture capitalists belges sont frileux tandis que leurs pairs américains ne le sont pas ? Ce serait aller trop vite en besogne

En effet, ce qui est généralement proposé aux investisseurs américains n’est plus tout à fait la même chose que ce qui a été présenté auparavant en Belgique. Si le produit, la technologie, la catégorie socioprofessionnelle de clientèle ciblée, le business model restent les mêmes dans les deux versions du pitch, les volumes, l’échelle du plan d’affaires, et donc la stratégie commerciale et marketing ne le sont plus. En effet, l’échelle étant différente pour les Etats-Unis, les ressources nécessaires sont plus importantes et la mobilisation de celles-ci se différencie. Bref, les business plans ne sont pas comparables même s’ils démontrent la faisabilité commerciale du projet dans chacun des deux pays.

Demander à des investisseurs belges de mettre 5 millions d’euros pour réaliser dans cinq ans un chiffre d’affaires de 50 millions d’euros n’a pas le même sex appeal que de demander à des investisseurs américains de miser 25 millions d’euros pour réaliser un chiffre d’affaires de 500 millions d’euros endéans les trois ans. Peut-être que si on avait proposé aux capitaux-risqueurs belges d’injecter 25 millions (au lieu de 5 millions) d’euros pour un projet immédiatement international, après une première phase de test sur l’étroit marché belge, l’accueil aurait été différent…

D’autre part, ces mêmes investisseurs belges qualifiés parfois injustement de “frileux” ou de “myopes” se retrouvent pourtant de temps en temps syndiqués dans des levées de capitaux beaucoup plus ambitieuses sur des projets à l’étranger. Quelquefois, des business angels belges sont invités à rejoindre des syndicats d’investisseurs sur les projets pilotés par les lead dogs (ceux qui choisissent d’exercer le rôle de chef de file des investisseurs et se chargent d’amener d’autres anges investisseurs autour de la table) et les business archangels (ce sont par exemple les leaders des plus influents groupes ou associations d’anges) français.

En général, la plupart des business angels (belges et étrangers) acceptent de se retrouver à plusieurs pour exploiter un filon si celui-ci est suffisamment rémunérateur : le capital-risqueur qui a refusé de miser 250 000 euros sur votre projet peut, à côté, accepter de miser 750 000 sur un projet concurrent dans le même secteur d’activité, simplement parce que ce dernier est trois ou quatre fois plus rémunérateur que le vôtre.

Carl-Alexandre Robyn (Valoro): “Il est probable que les investisseurs refusent un “bon” projet simplement en raison d’une injuste répartition de la propriété et des rémunérations à venir, et non à cause de sommes d’argent trop élevées à mettre sur la table.”

Ce ne sont donc pas toujours les premières levées de fonds de plusieurs millions qui font fuir les investisseurs belges, ni même les risques associés au projet, ce sont plutôt les trop faibles taux de rendement interne (TRI) annoncés et les trop faibles propositions d’exit. La règle générale chez les investisseurs étant que plus le montant demandé est élevé, plus le TRI doit être élevé.

Bref, ce ne sont généralement pas les millions demandés pour soutenir un bon projet qui font fuir les investisseurs mais plutôt l’incohérence, dans la présentation de l’opportunité d’investissement, entre le montant demandé par la start-up et le return possible (sans même mentionner le retour probable !) sur investissement pour le capital-risqueur.

Le partage de la richesse créée est une question de principe et non de montant. Et donc il est probable que les investisseurs refusent un “bon” projet simplement en raison d’une injuste répartition de la propriété et des rémunérations à venir, et non à cause de sommes d’argent trop élevées à mettre sur la table, ou (pour être cynique) à cause de soucis aussi triviaux que la nécessité d’être rentable ou même de trouver un modèle économique !

Statistiquement parlant les capitaux-risqueurs belges ne sont pas plus frileux que leurs compères étrangers. A défaut de savoir où et comment frapper à la bonne porte, la start-up belge en quête de capitaux aux USA va probablement aussi connaître un parcours de combattant de plusieurs dizaines  de portes claquées au nez pour une porte entre-ouverte.

Il ne faudrait surtout pas sous-estimer là-bas la quantité d’accredited investors procéduriers (les dues diligences sont plus incontournables et plus touffues aux USA que chez nous) et qui jugent les opportunités d’investissement qui leur sont soumises de manière très classique.

Mais comme les capitaux-risqueurs y sont beaucoup plus nombreux que chez nous la probabilité pour une start-up belge de tomber sur un investisseur n’ayant pas froid aux yeux est plus élevée.

Comme les capitaux-risqueurs sont beaucoup plus nombreux, outre-Atlantique, que chez nous la probabilité pour une start-up belge de tomber sur un investisseur n’ayant pas froid aux yeux est plus élevée.

Enfin, s’il faut malgré tout reconnaître que nous manquons d’investisseurs courageux, on doit également admettre que nous manquons de propositions d’investissement audacieuses !

Plus qu’un problème de perception

La plupart des opportunités d’investissement dans des start-ups, même si les projets semblent à priori excellents d’un point de vue technologique, environnemental, sociétal, etc., sont financièrement médiocres pour les investisseurs.

C’est une constante chez la plupart de nos porteurs de projet : ils préfèrent l’approche prudente de type bottom up qui consiste à se fixer progressivement des objectifs de développement en fonction des ressources dont on dispose déjà et/ou que l’on disposera dans un délai court. L’inconvénient de cette approche, c’est qu’elle manque généralement d’attractivité financière pour les investisseurs : la sortie est longue et le rendement moindre comparativement aux plus gros montants investis dans les projets stimulés par l’approche de type top-down, qui consiste à réunir les ressources nécessaires selon un échéancier défini en fonction des objectifs, généralement plus ambitieux, que l’on s’est fixés.

Et puis, il y a une différence entre présenter à un investisseur un projet audacieux (à partir d’un plan d’affaires téméraire) et lui faire une proposition d’investissement hardie ! C’est une nuance que la plupart des porteurs de projet et leurs accompagnateurs ignorent généralement.

Pour l’investisseur, ce qui compte, ce n’est pas le projet, c’est ce qu’il y a pour lui dans le projet ! Souvent les pitches (version courte et version détaillée) du porteur de projet n’évoquent que ce que le produit ou le service conçu apporte au monde. Tandis que l’investisseur veut surtout entendre ce que la start-up lui amènera à lui personnellement.

Les (bonnes?) sirènes de l’international

Notre petit marché fragmenté et administrativement complexe est-il si nuisible que cela ?

L’argument est faible. Ce n’est pas l’étroitesse de notre marché domestique ni sa segmentation culturelle, linguistique, communautaire, ou régionale qui expliquent la frilosité des capitaux-risqueurs belges à l’égard de nos start-ups Internet. Mais c’est parce que ces jeunes pousses, souvent, ne s’adressent, à priori, qu’à un segment du marché.

Si leurs projets précisaient, clairement, une orientation résolue vers une audience internationale (une fois l’expérimentation terminée sur un segment de marché belge), ceux-ci seraient probablement perçus de manière plus favorable. Par exemple, une appli dédiée aux travailleurs détachés en Europe (ils sont plus de 2 millions) est plus “sexy” qu’une appli destinée aux travailleurs détachés sur le territoire français (ils sont 400 000) ou sur le territoire belge (ils sont 50 000).

Les communautés linguistiques, par exemple, sont des terrains d’expérimentation très prisés pour tester et améliorer le produit avant d’envisager toute progression vers l’international. Plusieurs grands groupes étrangers utilisent les segmentations particulières du marché belge comme rampes de lancement test par exemple ; pour les produits alimentaires (grande consommation), les produits cosmétiques (luxe), les produits et services bancaire (et financiers) – avant d’aborder leurs audiences internationales. D’ailleurs, en matière de services bancaires innovants, la Belgique figure dans le peloton de tête des pays occidentaux avec le troisième plus haut taux d’early adopters (par rapport à la population adulte) derrière la Suède  et la Finlande.

D’autre part, dans la “tech économie” les langues n’ont jamais constitué une barrière insurmontable, elles ne sont que des fonctionnalités ajoutées à l’innovation technologique promue par le produit ou le service.

Peut-on réellement parler d’indigence ?

“Ce qui manque en Belgique pour dynamiser le secteur des start-ups ? Absolument tout !” Faux !

Ce n’est qu’une prophétie additionnelle des cassandres de notre économie numérique.

Paradoxalement, il ne nous manque presque rien (certes, on peut encore mieux faire) : université, grandes écoles, technologies, clusters, capitaux, subsides, accompagnateurs, accélérateurs, incubateurs, pépinières, espaces de coworking, programmes de sensibilisation et de support aussi bien privés que publics (iMinds, ASE, AWT, Telenet, GDF Suez, Cronos, KBC Startit, MIC Vlaanderen), spin-offs (preuve d’un “échange de fluides intellectuels avec le monde académique”), facilités fiscales (Tax shelter), multitude d’évènements (Start-up Week-ends, hackathons, etc.)…

Quantitativement, tous les ingrédients sont sur la table mais le soufflé ne prend pas ! Il nous manque le liant qualitatif !

Nos universités et grandes écoles de commerce sont nombreuses et de bonne réputation. Nos technologies n’ont rien à envier à la plupart des autres, ailleurs. Nos talents abondent. Nos savoir-faire sont reconnus. Notre dispositif d’accompagnement à la création d’entreprises est complet. Notre système d’aides et de subsides aux start-ups est généreux, en tous cas, bien plus qu’aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni.

Quantitativement, tous les ingrédients sont sur la table mais le soufflé ne prend pas ! Il nous manque le liant qualitatif !

“Absence d’écosystème technologique concentrant 2-3 géants capables de faire bouger le secteur et engendrer de nombreux projets innovants est une autre faiblesse de notre marché”.

Vraiment ? Est-ce à dire que nos clusters ne servent à rien ? Et puis, ne sont-ce pas plutôt les petits projets disruptifs qui font bouger les géants et engendrent les transformations du secteur à l’instar des fintech sur les titans bancaires, des Uber sur les ogres du transport de personnes, des AirBnB sur les colosses de l’hôtellerie ?

Carl-Alexandre Robyn

Associé-fondateur des cabinets Valoro