Certaines mesures figurent dans la Déclaration régionale bruxelloise 2014-2019, d’autres chantiers ont déjà été engagés (parfois sur un rythme jugé trop lent), des intentions se font jour du côté de divers ministres… mais ce que voudrait Agoria, puisque le message vient de la fédération, c’est que Bruxelles bénéficie à son tour d’un Plan numérique global, “ambitieux” et cohérent.
C’est en substance le but d’un exposé fait cette semaine par Floriane de Kerckhove, directrice d’Agoria Bruxelles.
Aux yeux de la fédération, les statistiques de création de start-ups IT et d’emplois (sur le long terme) révèlent potentiellement quelques points faibles. S’il se crée proportionnellement plus de start-ups IT ou orientées numérique à Bruxelles, les structures et outils manquent encore pour éviter qu’il y ait, toujours proportionnellement parlant, moins de “déchets”. Or, pour son image de marque et son attractivité, Bruxelles a besoin de se positionner sur l’échiquier belge mais aussi international.
Par ailleurs, gros reproche d’Agoria, il y a un manque de concertation ou d’unicité d’actions de la part des trois ministres régionaux ayant, dans leurs attributions, des éléments d’un futur Plan du Numérique. Certes, l’intention d’en sortir un a été annoncée et une réflexion engagée mais la “big picture” ne semble pas encore se dessiner.
Petit coup d’oeil sur le coup de semonce d’Agoria – réservé à nos abonnés Select et Premium. Petite précision, moins anodine qu’il ne peut paraître, le message d’Agoria aurait dû être exprimé en novembre dernier. Mais le black-out bruxellois qui a suivi les attentats de Paris avait reporté sine die la petite opération de comm’…
Fil rouge et justification: “Bruxelles joue un rôle important en tant que moteur du numérique en Belgique mais perd de son attractivité. La Région a des cartes en main – initiatives “smart city”, projets d’infrastructure Très Haut Débit et 5G d’ici 2020, multilinguisme, ressources humaines compétentes… – mais il faut les améliorer.”
Signaux négatifs
Plusieurs paramètres indiquent que la Région court un danger de voir certains de ses atouts fléchir.
Première indicateur: les emplois ICT générés par les sociétés, grandes ou petites, établies en Région bruxelloise, demeurent nombreux mais leur part dans le total belge tend à décroître. 3Il était encore de 30% en 2007. Aujourd’hui, il n’est plus que de 26%.”
Floriane de Kerckhove (Agoria Bruxelles): “Les entreprises ICT de plus grande taille quittent de plus en plus souvent la Région. Pourtant, un mélange équilibré de grandes et petites entreprises est nécessaire pour créer un environnement attrayant sur le plan économique.”
Agoria déplore plus particulièrement le départ de plusieurs grandes sociétés IT dont certaines vont s’établir en périphérie ou dans une autre Région en raison d’une fiscalité bruxelloise plus lourde – un constat en forme de critique à destination des autorités auprès desquelles le “sujet reste très sensible.”
De leur côté, les start-ups, qu’elles soient purement IT ou que leur métier vise à participer à la mutation numérique de secteurs traditionnels, semblent éprouver, selon l’analyse qu’en fait Agoria, plus de difficultés que leurs homologues dans les autres régions du pays pour grandir sainement.
Agoria relève une série d’indicateurs qui devraient davantage servir de signaux d’alerte:
- un taux de cessation d’activités plus élevé: 16% contre 8% pour la moyenne belge. Une “cessation d’activités” qui prend toutefois diverses formes: faillite mais aussi déménagement vers l’étranger ou rachat par une autre société
- un emploi qui s’infléchit 5 ou 6 ans après leur naissance: “dans les premières années, le nombre moyen d’emplois d’une start-up IT bruxelloise est plus élevé que la moyenne mais cela tend à s’équilibrer, voire à se tasser à partir de la 5ème année.” Un phénomène à propos duquel Agoria tient toutefois à rester prudent – et ne propose aucune explication (le type d’activités ne serait pas en cause): “les données disponibles ne portent que sur 6 ans. Le recul est donc encore insuffisant pour tirer des conclusions…”
- une difficulté à définir un modèle économique durable pour continuer de croître au-delà de la phase couverte par les financements publics: “seulement 30% des start-ups passent au stade “scale up”, contre 37% pour la moyenne nationale”.
Un phénomène contradictoire semble donc être à l’oeuvre: il se crée plus de start-ups ICT à Bruxelles (proportionnellement) que dans le reste du pays mais elles ont tendance à peiner plus que les autres quand il s’agit de confirmer l’élan initial. Floriane de Kerckhove y voit notamment un effet de l’absence, sur le territoire bruxellois, d’un centre d’innovation dédié ou de mécanisme structurel de soutien à la croissance des entreprises ICT. “La Flandre a iMinds, la Wallonie a entamé des actions par le biais du Plan Marshall. La création d’un centre R&D ICT a certes été approuvée par les instances régionales (voir plus bas), il s’agit désormais de le mettre en oeuvre et de le développer.”
Quelques chiffres
Emplois ICT: 26.430 emplois en 2015 ; sur un total belge de 100.850.
Création de start-ups: 25,5% de toutes les start-ups ICT créées entre 2012 et 2014 en Belgique l’ont été sur le territoire de Bruxelles (156 sur un total répertorié de 617).
Si on inclut dans le calcul les start-ups “technologiques” (c’est-à-dire qui développent des logiciels destinés à divers secteurs d’activités), le pourcentage franchit la barre des 30%.
Proportion de start-ups ICT orientées B2B: 63%, contre 72% pour l’ensemble de la Belgique. Une moindre proportion logique, estime Floriane de Kerckhove, dans la mesure où Bruxelles est moins orientée production que le reste de la Belgique.
Domaines-cible dominants visés par les solutions et applications proposées: le secteur publicitaire/marketing, le secteur financier, la gestion des ressources humaines, la mobilité et les médias.
Les propositions d’Agoria
Pour relancer la dynamique et donner de meilleures chances au secteur IT bruxellois, Agoria a élaboré une petite liste de désidératas en forme de manifeste que l’antenne locale de la fédération compte bien relayer et défendre auprès des autorités publiques régionales:
- création d’un fonds de soutien (capital à risque) du numérique: il devrait s’agir, à ses yeux, d’un fonds mixte public-privé. Objectif: “aider les projets de croissance prometteurs”
- mise en oeuvre d’un accompagnement technologique plus systématique et structuré pour les start-ups après leur phase de démarrage. Instruments proposés: une extension du principe des chèques technologiques et la mise à disposition de “coachs technologiques” polyvalents qui pourraient intervenir sans attache avec un quelconque incubateur ou accélérateur. L’effort passerait aussi par une poursuite du soutien aux accélérateurs.
- création de “zones de développement stratégiques” pour sociétés ICT, qui bénéficieraient d’un régime fiscal plus attrayant. Ces zones, délimitées géographiquement, le seraient notamment selon un critère d’accessibilité (physique) et de mobilité et devraient bénéficier d’une excellente desserte en Très Haut Débit.
- lancement (d’ailleurs confirmé entre-temps) d’un centre d’innovation R&D dédié ICT. patries prenantes: l’ULB, la VUB, le Sirris, Agoria, l’ICAB et des entreprises
- lancement de divers appels d’offres destinés à “doper” la transformation numérique des entreprises non technologiques. Aux yeux d’Agoria, cela passerait notamment par un regain d’initiatives de sensibilisation et d’accompagnement, à déployer par les différentes fédérations sectorielles au bénéfice de leurs membres. D’autres appels d’offres viseraient davantage des projets de R&D et la création de living labs
- lutte plus efficace contre la carence d’informaticiens – “la grande majorité des postes ICT vacants concerne Bruxelles ou le Grand Bruxelles”. Dans ce domaine, Agoria défend notamment l’idée du lancement de deux Masters en alternance (l’un pour des profils de business analysts, l’autre dans le domaine de la sécurité IT) et plaide pour la création d’un nouveau grand centre de formations, dédié aux métiers IT/numériques, et destiné à accueillir et former aussi bien des personnes actives que des chercheurs d’emploi. Partenaires: la branche IT de Bruxelles Formation, le pôle emploi d’Actiris, Evoliris. Avec la collaboration du VDAB (à confirmer) et d’acteurs tels que le Cefora.
Agoria: “doubler l’offre de formations IT pour les travailleurs et les chercheurs d’emploi d’ici 2020.”
Autres dossiers à privilégier ou à faire évoluer de manière plus soutenue, aux yeux d’Agoria:
- l’e-gouvernement, via l’exploitation de l’open data, la facturation électronique, l’exploitation des “mégadonnées” (big data), des efforts en matière de sécurité informatique… Sans oublier le plaidoyer habituel d’Agoria pour que les acteurs publics (CIRB, Iristeam, Smals) “n’entrent pas en concurrence déloyale avec le privé en monopolisant les projets et services destinés aux administrations et autorités publiques”
- le déploiement de l’infrastructure (Ultra) Haut Débit / 5G – en ce compris à destination des écoles pour lesquelles le rythme prévu lui semble insuffisant
- l’e-Health: “nous plaidons pour le déploiement d’un système d’échange de données et d’un coffre-fort numérique”. Si le premier existe déjà, à destination essentiellement des hôpitaux, un “coffre-fort numérique destiné aux médecins fait encore défaut…”
Une seule et même bannière
Trois ministres ou secrétaires d’Etat bruxellois ont, dans leurs attributions, des responsabilités qui touchent à l’ICT et/ou au numérique. A savoir, Didier Gosuin, ministre de l’économie, Fadila Laanan, notamment chargée de la recherche scientifique, et Bianca Debaets, secrétaire d’Etat en charge de la transition numérique et de l’informatique régionale et communale.
Que cela figure ou non dans la déclaration de politique régionale de la nouvelle législature, chacun a déjà annoncé ou laisse entendre que des projets ou initiatives sont en préparation. “Mais ce que nous voudrions, c’est un plan global pour la Région et qui soit ambitieux”, souligne Floriane de Kerckhove. “Il y a une claire opportunité pour Bruxelles. Il ne faudrait pas qu’elle rate le tournant. D’autres villes se sont déjà positionnées et ont déployé des efforts et initiatives pour les start-ups ICT. On peut citer Anvers, Berlin, Amsterdam, Barcelone… Toutes sont des concurrentes pour Bruxelles qui doit donc se positionner.”
Et si possible de manière claire et différenciée. Question dès lors: quels thèmes Bruxelles devrait-elle ou pourrait-elle privilégier pour le développement d’activités? “La sécurité IT, la mobilité, l’énergie et éventuellement les médias”, estime Floriane de Kerckhove. “Sans oublier l’IT au service de l’industrie en général.”
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