André Vandenberghe (CHU Charleroi) – 2ème partie: “une importante marge de progression pour le Réseau Santé Wallon”

Interview
Par · 17/11/2015

Deuxième partie de notre interview avec André Vandenberghe, directeur informatique du CHU de Charleroi et membre du Conseil du Numérique. Il aborde le sujet du rôle futur du Réseau Santé Wallon. Il commente à cet égard les idées et recommandations formulées dans le rapport du Conseil du Numérique. Il s’exprime aussi sur certains “oublis”, autrement dit des éléments qu’il aurait souhaité voir figurer dans le rapport du Conseil.

(Relire la première partie de cette interview, ici)

Quel rôle à venir pour le RSW?

André Vandenberghe: Le rapport du Conseil du Numérique imagine que le Réseau Santé Wallon serve, demain, de “point central autour duquel se constitue un nouvel écosystème fait de start-ups, d’acteurs sectoriels, de centres de recherche, d’universités…”

Entre-temps, le Parlement wallon a approuvé (le 14 octobre dernier) le projet de Décret portant sur “la reconnaissance d’une plate-forme d’échange électronique des données de santé”.

Rôle de cette “plate-forme télématique: “l’étude, l’organisation et la mise en œuvre de tout moyen permettant la meilleure communication possible et au moindre coût entre les différents acteurs de la santé, notamment la transmission automatique informatisée ou la mise à disposition par voie télématique de toute donnée ou communication relative à la santé au moyen des systèmes les plus adéquats de la technologie.”

La plate-forme (une asbl ou une fondation) aura pour missions:

  • de gérer et déployer les échanges électroniques des données de santé, sous la forme d’un concentrateur informatique (“hub”)
  • de permettre aux acteurs de santé d’accéder à une base de données, qualifiée de “coffre-fort”, stockant, de manière sécurisée, les données de santé des patients (traitements, facteurs de risques, antécédents…) qui ne figurent pas dans le DPI hospitalier
  • de conseiller le gouvernement en matière de politique des technologies de l’information et de la communication en matière de données de santé.

Pour plus de détails, voici le lien vers le texte du projet de décret concerné. 

Reste à désigner l’organisme qui jouera ce rôle. Il devrait logiquement revenir au RSW, un organe constitué à l’initiative de la Fratem, la fédération de 94% des associations de télématique médicale wallonnes.

Le RSW est en fait une sorte de portail-répertoire (inventaire des patients, des professionnels, des données disponibles et des droits d’accès), un index de référence à partir duquel il est possible d’accéder aux diverses données et documents (multimédias) détenus par les institutions hospitalières wallonnes. Il permet ainsi de les interconnecter et de “permettre à tous les médecins autorisés de consulter le dossier d’un patient selon un protocole unifié, sécurisé.”

Le RSW remplit déjà largement les rôles prêtés à la future Plate-forme télématique. Et il est clairement candidat à ce rôle.

Un autre acteur se mettra-t-il sur les rangs, avec des chances sérieuses d’être retenu? Cela semble hautement improbable. Mais si ce scénario devait se concrétiser, l’asbl RSW telle que nous le connaissons aujourd’hui pourrait cesser d’exister, faute de raison d’être.

Progresser vers la “masse critique”

Dans le texte final du rapport remis par le Conseil du Numérique au Ministre Marcourt, le souhait exprimé est que le Réseau Santé Wallon “atteigne une masse critique, en termes d’adhérents et de contributeurs.” Condition sine qua non épinglée: promouvoir le RSW auprès des praticiens et de la population.

André Vandenberghe confirme que le RSW est encore loin d’une réelle couverture régionale.

On dénombre d’ores et déjà 680.000 patients inscrits, répertoriés (220.000 à Bruxelles et 460.000 en Wallonie). “C’est là un parc de clientèle important qui peut servir de catalyseur pour le déploiement de nouvelles solutions.” Plus le RSW comptera de professionnels et de patients, plus le potentiel de revenu sera élevé pour les développeurs de solutions.

Mais le RSW est encore loin d’avoir atteint son plein potentiel. 460.000 inscrits, ce n’est, tout compte fait, que 15% du total de la population. “Il y a donc une importante marge de progression possible”, indique André Vandenberghe. “Jusqu’ici, seuls les hôpitaux [44% des patients de CHU sont inscrits] et les médecins généralistes inscrivent leurs patients. La Région ou les associations n’ont pas encore beaucoup communiqué à propos de ce projet pour augmenter son taux de pénétration. Il est nécessaire d’atteindre une masse critique suffisante pour que les avantages du projet soient lisibles”. Et donc exploités, à la fois par les auteurs de solutions et par les “utilisateurs”.

Marge de progression

Depuis plusieurs années, le CHU de Charleroi mène un projet-pilote qui concerne spécifiquement la faculté pour les patients de l’hôpital d’accéder à leur dossier médical. 40.000 patients sont concernés.

 

Petite incise pour resituer le cadre légal belge et l’évolution des pratiques. Jusqu’au printemps 2014, la loi imposait que le dossier médical hospitalier soit “détenu” et géré par l’hôpital. Il ne pouvait donc pas quitter les murs de l’hôpital. Depuis cette date, la loi a été légèrement adaptée et prévoit que le dossier n’est plus géré dans l’hôpital mais par l’hôpital, ce qui permet, en clair, de le stocker dans des serveurs externes, éventuellement chez un prestataire ou hébergeur.

Ce qui ne change pas, par contre, c’est que les dossiers (DPI) hospitaliers ne sont pas centralisés en un seul endroit. Selon l’optique belge, défendue par la plate-forme fédérale eHealth et tous les acteurs régionaux, les dossiers demeurent confiés aux hôpitaux où ils sont créés. Les accès aux données et consultations de dossiers inter-hôpitaux s’effectuent via les réseaux, tels que le RSW.

Le projet a récemment été prolongé afin de développer de nouvelles fonctionnalités.

La démarche de l’ouverture d’accès au dossier hospitalier est encore fort rare. Les prochains hôpitaux qui devraient proposer ce service sont le CHU de Liège et au CHC de Liège, où des développements sont en cours. Le premier devrait procéder à des tests en novembre et passer en production avant la fin de l’année. Le CHC devrait suivre en 2016.

Quid des autres? “Les hôpitaux ne se précipitent pas pour permettre cet accès”, indique André Vandenberghe. C’est une question de “philosophie” plus que de moyens. Côté logiciels, il “suffit” en effet d’un développement, à faire réaliser par l’équipe interne, en cas de solution “maison”, ou par le fournisseur (comme c’est le cas avec NRB/Xperthis au CHU et au CHC, tous deux utilisateurs de la solution OmniPro de MIMS, racheté voici quelques mois par Xperthis).

Que manque-t-il éventuellement dans le rapport du Conseil du Numérique?

André Vandenberghe aurait voulu trouver dans le texte du rapport l’idée que l’e-santé “peut être un levier pour intéresser davantage les gens au numérique.”

Parce que la santé est un sujet qui touche tout le monde et qui peut donc servir de porte d’entrée, de motivation pour faire du numérique un élément, un outil du quotidien…

“J’aurais souhaité que la proposition et que le futur Plan du Numérique incluent une incitation plus nette à l’usage numérique.”

André Vandenberghe: “Il y a une inertie énorme en Wallonie. Non parce que les gens seraient opposés au numérique mais parce que le déclic du passage à l’acte ne se produit pas. Il faudrait sans doute imaginer certaines contraintes.”

Il prend l’exemple du rôle que pourrait jouer l’administration, en l’occurrence chaque administration communale lors de la délivrance de la carte d’identité électronique. Une idée “bête comme chou”. Pourquoi ne pas informer chaque citoyen(ne), lui fournir “un relevé des services disponibles via l’e-ID, notamment le fait qu’elle permet d’accéder à son dossier médical”?

Au-delà de ce souhait, André Vandenberghe émet également une critique par rapport aux résultats des débats des Assises et du Conseil du Numérique: trop de démarches et projets futurs reposent sur des encouragements financiers (octroi de budgets, de subsides pour des projets et initiatives). “Mais nulle part, je ne vois de contrainte. Or, il y a une inertie énorme en Wallonie. Non parce que les outils manqueraient ou parce que les gens seraient opposés au numérique mais tout simplement parce que le déclic du passage à l’acte ne se produit pas.”

Quelles pourraient être ces contraintes? Il cite en exemple la décision prise d’imposer aux médecins l’obligation d’utiliser des outils numériques d’ici 2020 au risque d’être rayés de la profession. 2020, c’est dans 5 ans. La perspective de cette fin de carrière imposée a de quoi balayer doutes et réticences… Pourquoi, dès lors, selon lui, ne pas imaginer d’autres “bâtons” de ce genre sans pour autant tomber dans le travers du tout-au-numérique ou rien?

Il ne milite pas pour autant pour une approche aussi rigoureuse que celle qui semble s’imposer de plus en plus en Flandre où l’OIP, qui est le pendant de l’asbl RSW, “adopte une démarche plus coercitive, avec des amendes imposées en cas de non partage des données.”

“A tout le moins, les administrations devraient, lorsqu’elles mettent en oeuvre de nouvelles procédures, les mettre à l’heure du numérique et faire en sorte que la voie numérique soit possible” au lieu de continuer à penser en procédures qui requièrent des documents papier en 3 exemplaires.

A ses yeux, l’argument du risque de fracture numérique, avec création de nouveaux laissés-pour-compte, a certes des mérites mais “ne permettra jamais d’avancer”. D’autres pays [voire d’autres régions proches – et on pense évidemment à la Flandre] adoptent des rythmes plus volontaristes “et nous devons progresser au même rythme que tous les pays européens…”