Benoît Hucq (AdN): le travail fourni ne peut accoucher d’une souris

Interview
Par · 24/08/2015

Au total, les 18 membres du Conseil du Numérique, présidé par Pierre Rion (retrouvez dans notre dossier la composition du Conseil), se seront réunis 6 fois, la dernière réunion ayant eu lieu le 3 juillet dernier. Mais les interactions furent constantes et régulières avec les groupes de travail thématiques des “Assises du Numérique”. Ces groupes de travail, au nombre de 13, ont rassemblé des professionnels [200 au total] directement concernés par les thématiques discutées, avec pour objectif de confronter les besoins et idées et faire naître des propositions pertinentes. Ils ont été organisés autour de quatre thèmes essentiels, certains étant déclinés en sous-thèmes:

  • l’économie du numérique: développement du secteur ICT, communautés numériques, start-ups, cyber-sécurité, financement (outils publics, fonds privés, crowdfunding…)…
  • l’économie par le numérique: activités économiques et services numériques, industrie 4.0, e-commerce, culture, médias…
  • le territoire numérique: infrastructure (très) haut débit, e-santé, villes intelligentes, mobilité, nouveaux mode de travail, administration numérique, pouvoirs locaux, open data…
  • les talents: enseignement, formation continuée, inclusion numérique…

Les deux premiers thèmes ont été “pilotés” par des consultants de Roland Berger, les deux autres par l’Agence du Numérique.

Tri de priorités

Qu’en est-il sorti et quelle suite y sera donnée? Nous avons rencontré Benoît Hucq, directeur de l’Agence du Numérique (AdN) dont les collaborateurs ont participé aux différents groupes de travail. Une AdN qui jouera aussi un rôle actif dans le travail d’analyse, de synthèse et de formulation des choix prioritaires devant être soumis au gouvernement à la rentrée.

Le fait de travailler en groupes de travail constitués de professionnels venus de divers horizons, tous en lien étroit avec les thèmes étudiés “a reçu un accueil favorable mais a aussi créé des attentes fortes”, souligne d’emblée Benoît Hucq. “Cela implique qu’on comprendrait très mal que les travaux accouchent d’une souris.”

Deux exemples de la composition (non exhaustive) de ces groupes de travail:

  • industrie 4.0: Cetic, UWE, pôles de compétences Skywin et BioWin, Alstom, Sapristic, Sirris, Agoria
  • médias et culture numérique: Rtbf, cluster Twist, groupe Rossel, BeTV, Wallimage, Tarantula

Les groupes de travail ont permis de constituer une liste d’idées, de propositions, de désidératas. Plus de 200 mesures (240 en fait) sont issues des travaux validés par le Conseil du Numérique. Ce qui ressemble un peu trop à une liste à la Prévert: trop d’idées par rapport à ce qu’on peut raisonnablement espérer pouvoir mettre en oeuvre. Avec sans doute des degrés de priorités et de pertinence variables.

Pendant ce mois d’août, un groupe restreint, composé notamment de 4 personnes de l’AdN, de deux consultants Roland Berger et d’un représentant du cabinet du ministre Marcourt, va donc effectuer un travail de synthèse. “Idées et mesures vont être analysées, intégrées afin de déterminer celles qui sont les plus “impactantes”. Elles seront également confrontées à d’autres projets et initiatives, tels que les projets Feder ou le décret Recherche, afin de garantir une cohérence.

240 mesures, c’est beaucoup trop. “Une trentaine ou cinquantaine seront retenues. Le travail consistera aussi dans un exercice de budgétisation des mesures qui seront proposées au gouvernement.”

La notion d’“impact”

Comment le tri des propositions existantes sera-t-il effectué, selon quels critères? Comment définir le concept de “mesure impactante”?

Parmi les critères retenus, Benoît Hucq cite le fait que la mesure proposée “doit renforcer le poids du secteur IT, dont le rapport du cabinet Roland Berger a encore souligné le retard par rapport à la moyenne nationale et à la situation de la Flandre.”

Benoît Hucq (AdN): “Le très haut débit et le développement des talents sont des éléments fondateurs fondamentaux. Tout ce qui ira dans ce sens sera favorisé…”

Autre critère de sélection: une évaluation de l’impact possible de la mesure en termes d’usage du numérique. Analyse par type de processus à numériser et moderniser. Avec, cette fois encore, une prédilection donnée “à ceux qui impulsent le mieux la transformation numérique.”

Des critères plus qualitatifs seront également utilisés. “Le très haut débit et le développement des talents sont des éléments fondateurs fondamentaux. Ils ont été reconnus comme tels par le Conseil du Numérique. Tout ce qui ira dans ce sens sera favorisé…”

A cette notion d’“impact” vient s’ajouter celle, fort voisine, de mesures “structurantes” – structurante pour les activités économiques.

L’équipement en (très) haut débit, à nouveau, en est une. Une autre est un soutien à l’internationalisation des entreprises. Dans ce registre, une idée a émergé, tant du côté du Conseil du Numérique que des groupes de travail: l’Awex pourrait y jouer un rôle. “Les actions existantes — participation à des salons, missions à l’étranger… — doivent être davantage embrassées par le secteur IT. Le travail se fait encore trop au cas par cas, au coup par coup. Il faut professionnaliser, industrialiser le support.”

Il faudrait aussi identifier des “destinations” porteuses. Et ne pas se limiter essentiellement, comme c’est encore largement le cas, à la Silicon Valley. L’idée serait de créer des “hubs”, des “lieux d’atterrissage permanents” dans des “zones à fort potentiel d’innovation”. Les candidats à l’export pourraient alors s’appuyer, dans chacun de ces “hubs”, sur des personnes et des compétences pouvant les mettre en contact avec des investisseurs, des clients, des acteurs économiques locaux…

Les grandes lignes de force

** Il faut un Plan du Numérique qui transcende les seules compétences confiées au ministre de l’économie. “Le Conseil du Numérique veut un Plan du Numérique large, qui couvre les six axes définis: économie du numérique, économie par le numérique, éducation et talents, services publics, territoire numérique, financement.”

** Le (très) haut débit est une thématique essentielle

** Une mission prolongée pour le Conseil du Numérique, qui, éventuellement sous une autre forme, s’inscrirait dans la durée

** Travailler en profondeur et de manière cohérente sur les compétences numériques

** Accentuer et professionnaliser l’encadrement et la promotion de l’internationalisation

** Imaginer des formules de financement plus pérennes pour certains acteurs, tels que les clusters

** Développer une vision plus coordonnée des projets de recherche, afin d’éviter de financer des projets redondants et de garantir une meilleure adéquation avec les besoins réels

Le très haut débit

La Wallonie ne saurait faire exception. L’instauration du haut débit, voire du très haut débit, fixe et mobile, est considérée comme une nécessité absolue pour toute économie qui a quelqu’ambition. L’Europe pousse en ce sens et le fédéral a largement exprimé ses ambitions en la matière. On sait toutefois que la couverture du territoire wallon pose des contraintes spécifiques et que le but annoncé par Alexander De Croo – 50% de ménages devant disposer d’une couverture 1 Gbps à l’horizon 2020 – risque, s’il se concrétise, de concerner surtout la partie nord du pays (sans oublier Bruxelles). Ce 50% de moyenne nationale risque de laisser peu de pour-cents côté wallon.

On attend donc du Plan du Numérique qu’il trouve quelques idées et moyens propres à équilibrer les choses. Les travaux du Conseil du Numérique ont donc mis en exergue quelques terrains d’action: cadre réglementaire, équipement en fibres optiques des zonings, couverture 4G, désenclavement des zones dites “blanches” dont même le 2G et le 3G sont actuellement largement absents, préparation du terrain pour le déploiement du 5G…

L’idée a ainsi été évoquée d’imaginer des “giga-quartiers” qui seraient hyper bien équipés en débit et qui pourraient ainsi “booster leurs activités, devenir des labos vivants.” Mais ce concept potentiel de “giga-quartier”, sa nature, sa teneur doivent encore être précisés…

Selon certaines indications qui nous sont parvenues, l’objectif proposé serait de garantir une couverture à 100% du territoire en débit 30 Mbps d’ici 2020. Avec des zones bénéficiant de plus hauts débits, la généralisation d’une connexion fibre pour les zonings. Et une préparation du 5G (premiers tests en 2017 et déploiement plus large vers 2022).

“En ce mois d’août, une petite équipe constituée de représentants de l’AdN, du cabinet Roland Berger et du ministre Marcourt planche sur cette thématique primordiale du (très) haut débit. Il s’agit de valider des modèles. Qui fait quoi et comment? Une consultation externe sera également organisée avec des acteurs de terrain, notamment ceux qui ont participé aux ateliers des groupes de travail.” Benoît Hucq affirme que les idées qui sont sur la table sont “très ambitieuses”.

“Il a par exemple été tenu compte des intentions et déclarations fédérales [Alexander De Croo]. Le fait est que nous sommes peut-être même plus ambitieux, en tout cas pour ce qui est de la couverture de population. C’est d’ailleurs là l’une des choses sur laquelle les membres du Conseil du Numérique ont insisté.” La population et les professionnels wallons n’attendent que ça…

L’entreprise et l’industrie à l’heure numérique

L’un des espoirs est de voir les travaux du Conseil et des groupes de travail déboucher sur des initiatives qui donnent un coup de fouet à la numérisation des acteurs et des processus économiques et industriels. “Les réflexions des groupes de travail e-Entreprise et Industrie 4.0 ont débouché sur des constats plutôt convergents”, déclare Benoît Hucq. “Il s’agit de mobiliser davantage les différents secteurs de l’économie ainsi que les pôles de compétitivité pour embrayer davantage sur le numérique.”

Trois lignes de force se dégagent à ses yeux:

  • une sensibilisation aux avantages de la transformation numérique et aux concepts de l’industrie dite 4.0
  • la mise en oeuvre d’outils de diagnostic qui permettraient à chaque acteur de s’auto-évaluer par rapport à l’exploitation du numérique et de déterminer les lacunes, progrès à accomplir, moyens à activer…
  • la mise à disposition de mécanismes d’accompagnement (un exemple: l’adaptation du rôle des consultants Rentic).

Formation et compétences

“L’éducation au numérique et l’animation pédagogique qui s’appuie sur les technologies ICT sont une évidence et il y a, en la matière, encore un gros travail à accomplir”, déclare Benoît Hucq. Ce constat, le groupe de travail qui a couvert ce thème l’a fait à nouveau. Il a par ailleurs mis en évidence “la nécessité d’aller de l’avant, de travailler encore davantage en amont, sur la formation des formateurs. Les mesures à prendre devront couvrir la totalité de la chaîne: infrastructure, formation des formateurs, support de l’infrastructure et des formateurs, ICT comme outil pédagogique, apprentissage tout au long de la carrière, culture numérique du citoyen.”

14 mesures ont été pré-listées par le groupe de travail.

Côté infrastructure, par exemple, des efforts devraient être accomplis pour équiper les écoles en réseaux sans-fil, en fibres optiques, en accès Internet réellement performant…

L’idée préconisée ne serait pas de se lancer à nouveau dans un programme d’équipement massif (à la Cyberclasse) qui ne porte pas nécessairement ses fruits (le matériel n’est pas forcément utilisé) mais plutôt d’opter pour une “approche école par école, par projet pédagogique.” Sans doute par le biais d’appels à projets. Par contre, “des mesures réellement structurelles devraient être prises du côté de la formation des formateurs.”


Découvrir plus en détails, dans notre dossier “Un Plan du Numérique pour quoi faire?”, certaines des idées et propositions qui ont été mises sur la table lors des travaux du Conseil du Numérique et des groupes de travail.