Choisi comme président du Conseil du Numérique, Pierre Rion revient sur ses travaux, quelques idées maîtresses qui en ont émané et certains désirs personnels. Tant en matière de mesures et initiatives qui, selon lui, devraient figurer dans le Plan que sortira finalement le gouvernement wallon que de mécanismes à mettre en oeuvre pour s’assurer que ce Plan soit déployé le plus efficacement — et concrètement — possible. Pas question, en effet, de donner un blanc-seing au gouvernement, ni de voir les travaux préparatoires se terminer en eau de boudin.
Comment le Conseil du Numérique a-t-il travaillé? Quels échanges sont intervenus avec les groupes de travail thématiques, avec le cabinet Roland Berger? Quel rôle a joué Jean-Claude Marcourt? Quel poids ont eux les propositions formulées via le site participatif Printemps du Numérique?
Pour découvrir cet aspect des choses, lisez cet autre article “Des préparatifs “labyrinthe” pour une épure efficace?”, réservé à nos abonnés Select et Premium.
Les souhaits de Pierre Rion
Qu’un organe indépendant assure la surveillance au fil de l’eau de l’implémentation du Plan numérique.
Bref portrait
– cofondateur et ancien président d’IRIS et du cluster Twist
– président du conseil d’administration d’EVS
– administrateur de plusieurs sociétés et organismes tels que Multitel, Cluepoints, Akkanto, …
– business angel (il a notamment placé ses billes du côté de Belrobotics, de XDC, de Progecoo…)
Que le gouvernement, dans son ensemble, approuve et fasse sien ce Plan, sans réserve, détricotage ou sabordage politico-personnel.
Qu’une priorité soit donnée à l’enseignement, à une renaissance industrielle (sous de nouvelles formes) et à la promotion d’un “esprit numérique” auquel chaque individu adhère.
Ce qu’il préconise personnellement?
La création d’un statut de “starter/start-up” avec mise en oeuvre, comme le propose le Startup Manifesto, d’une nouvelle règle fiscale: “pas de bénéfice, pas de charges sociales”. Avec aussi une révision du principe des subsides “qui profitent surtout à ceux qui connaissent bien la mécanique” et peuvent s’y retrouver dans les multiples ficelles à actionner. “La complexité et le temps qu’il faut y consacrer refroidissent ceux qui en ont besoin.”
Dans le même ordre d’idée, la création d’un “guichet rapide pour start-up”. Une idée purement personnelle et qui fonctionnerait comme suit: un porteur de projet qui a besoin d’une aide somme toute modique (par exemple 25.000 euros) “n’a pas le temps de monter un dossier, d’attendre qu’une commission se prononce plusieurs mois plus tard. L’opportunité, elle, sera passée. Ce qu’il faut, c’est un guichet rapide, où la décision est prise en l’espace d’une semaine, par un entrepreneur expérimenté, qui a pouvoir de décision, qui émet un avis critique, amende éventuellement l’idée, octroie ou non l’aide — que ce soit sous forme de prêt ou de capital.”
Les priorités
Un bon casting?
Lorsqu’il fut sollicité pour présider le Conseil du Numérique, Pierre Rion a reçu une première liste de noms, qu’il a amendée et complétée. A posteriori, a-t-il des regrets quelconques à propos du casting? Un seul, en réalité: “qu’il n’y ait pas eu assez de jeunes et de start-ups représentés, même si ceux qui siégeaient l’ont fait à bon escient, avec une dose salutaire d’impertinence.” A noter qu’au-delà de la composition du Conseil, appel a parfois été fait à cette “impertinence salutaire”, auprès notamment de Xavier Damman (Storify), qui fut l’une des chevilles ouvrières du Startup Manifesto belge.
Pour le reste, Pierre Rion salue l’hétérogénéité du Conseil — “tous les secteurs étaient représentés” — et la bonne assiduité des membres, en dépit de certaines absences ponctuelles (“tous des gens très occupés”).
Ce que le gouvernement retiendra finalement des mesures proposées doit encore se décider (on attend l’annonce du Plan numérique, en principe, courant ou fin octobre). Le document final qui lui sera soumis est encore en cours de préparation, notamment du côté de l’AdN. Impossible donc de déterminer ce qui y figurera comme recommandations et propositions.
Toutefois, du côté du Conseil du Numérique, certaines priorités ont été esquissées et pointées comme telles.
Voici ce qu’en dit Pierre Rion.
Priorité absolue? L’enseignement. L’école doit devenir un lieu qui prépare activement à la réalité numérique. Mais il faut travailler sur de multiples paramètres. En ce compris un “changement de mentalité” de la part des enseignants qui ne doivent plus jouer les repoussoirs à l’entrepreneuriat (“un entrepreneur ne peut être systématiquement associé à un vulgaire capitaliste, comme certains le font encore actuellement”).
“Il faut également promouvoir les sciences et les technologies. Certes, on a besoin de sciences humaines mais les rangs côté ingénieurs sont nettement trop clairsemés”.
Ne tergiversons pas
Les débats du Conseil du Numérique (sans parler des groupes de travail) risquaient bien de s’enliser dans certaines considérations technico-techniques, dans des ergotages sur les technologies à retenir, leurs avantages ou inconvénients technico-financier…
Le sujet de l’équipement des écoles en capacités Internet en est un bel exemple. Faut-il du WiFi partout? Du débit Internet à 15 ou 30 Mbps minimum? “Il ne fallait pas tergiverser. Une école sans Internet [performant] n’attirera personne. Point. Le temps qu’une décision soit prise et que l’équipement arrive, les débits évoqués seront déjà largement dépassés. On parlera plutôt de Gbps (gigabit). Or, on le sait, la fibre coûte cher…” Quadrature du cercle?
Pierre Rion: “Tout geste impliquera logiquement que certaines choses soient demandées en contrepartie aux opérateurs.”
Pour éviter les arguties, le Conseil a donc choisi une autre tactique: “le message que l’on a fait passer aux représentants des opérateurs [Ndlr: Proximus et Nethys, anciennement Tecteo Services, siégeaient au conseil] était que ces derniers seraient nécessairement sollicités [lisez: devront fournir un effort]. Mais aussi que les pouvoirs publics devaient faire un geste. L’un des exemples de schizophrénie du gouvernement se trouve du côté de la problématique des taxes sur les pylônes. D’une part, on préconise une couverture maximale. De l’autre, on taxe. Nous avons donc fait de l’abolition de cette taxe l’un de nos chevaux de bataille. La discussion est remontée au Cabinet Marcourt. Tout geste impliquera logiquement que certaines choses soient demandées en contrepartie aux opérateurs. Le Conseil du Numérique approuve cette vision et a demandé que les opérateurs s’engagent à assurer une couverture correcte du territoire wallon. Pas question de raser gratis. Les représentants des opérateurs se sont dits rassurés par ce principe que nous avons mis sur la table.”
On peut toutefois s’attendre à quelques passes d’armes majeures entre pouvoirs publics et opérateurs sur la forme que prendront les engagements de chacun…
Industrie et “esprit” numérique
Deuxième priorité: juguler la fuite de l’industrie vers d’autres cieux. “L’économie wallonne est de plus en plus une économie de services”. Pas une mauvaise chose en soi mais une dangereuse pente savonneuse aux yeux de Pierre Rion. “Il faut faire revenir l’industrie, la repenser, évoluer vers le “4.0”, les objets connectés, le tailor-made de masse… Car à terme, sans industrie, tout le pendant services ne peut que s’effondrer.” Logique et imparable, selon lui: on ne peut éternellement fournir des services pour des processus industriels qui ont déserté le pays.
Pierre Rion: “Il faut faire revenir l’industrie, la repenser, évoluer vers le “4.0”. Car à terme, sans industrie, tout le pendant services ne peut que s’effondrer.”
Concernant l’industrie, il annonce la couleur: “il ne faut pas rester braqué sur quelque chose qui sera rapidement dépassé. Il faut se retourner. Vite. Certes on ne transformera pas, du jour au lendemain, un ouvrier sidérurgiste en super génie de l’IT mais tous doivent avoir des notions d’IT et de numérique. Il faut les tirer vers d’autres types d’économie…” Et pour cela “inculquer de nouvelles balises dès l’enseignement, apprendre aux jeunes à trouver des clients plutôt que de trouver un job [traditionnel], être customer-oriented [c’est-à-dire penser besoins et solutions] plutôt que de ne penser qu’à une carrière.”
Autre priorité majeure: créer un “esprit numérique wallon”. Notamment en s’appuyant sur la nouvelle marque (et outil fédérateur) Digital Wallonia. Il faudra donc donner de la substance à ce concept (chose à laquelle oeuvrera notamment l’Agence du Numérique). Et “il faudra que tous, du plus jeune ou plus âgé, aient en tête et sachent ce qu’est et ce qu’implique Digital Wallonia.”
Pierre Rion prêche par ailleurs pour une renaissance de la “fierté wallonne”. “Il faut recréer une fierté wallonne autour d’un thème. Et ce peut être le numérique. Faire de la région ce qu’elle a été. N’oublions pas que dans les années 20, la Wallonie était la deuxième puissance [économique] mondiale. Nous avons toujours les talents, les meilleures universités… Le numérique peut être l’occasion. Nous avons une série de fleurons, de champions qui sont, certes, trop petits.” Et de citer quelques noms pour le prouver. Iris et EVS, hier et encore aujourd’hui [deux sociétés auxquelles son nom est associé]. Mais aussi Intopix, FlyingCam, D-Cinex… Pour ne citer que des noms dans le registre image/multimédia qu’il connaît particulièrement bien pour avoir diriger le cluster TWIST.
Un Plan oui, mais tenu à l’oeil
Un point sur lequel insiste Pierre Rion est que le Plan, son contenu, son déploiement et son implémentation devront faire l’objet d’un suivi, d’une surveillance attentive et critique par un organe ou un dispositif neutre et indépendant. De quoi “chatouiller” les responsables gouvernementaux en cas de manquement ou de montagne qui accoucherait d’une souris.
L’AdN (Agence du Numérique, ex-AWT) pourrait certes jouer ce rôle — “ses collaborateurs sont très compétents” — mais présente évidemment l’inconvénient qu’elle n’est pas indépendante du pouvoir et n’aura pas forcément l’envie de (trop) contredire ou houspiller son ministre de tutelle.
Pour éviter tout bridage, conscient ou non, Pierre Rion propose dès lors plusieurs pistes.
Prolonger l’existence du Conseil du Numérique, mais sous une forme plus compacte (deux ou trois personnes).
Désigner un “CIO du numérique”.
Ou répartir les tâches: l’AdN se chargerait de l’implémentation (déploiement, activation) du Plan tandis qu’un organe indépendant servirait de duègne des temps modernes et d’aiguillon attentif.
Mister/Miss Digital, I presume?
D’emblée, il tient d’ailleurs à préciser qu’il n’est pas candidat à cette future fonction éventuelle de “CIO du numérique” – pas une question d’envie mais de temps disponible.
Profil de ce “Monsieur Numérique” (homme ou femme, d’ailleurs), de ce dirlo numérique wallon ou tout autre titre qu’on pourrait lui donner? Pierre Rion énumère quelques-unes des qualités qu’il ou elle devrait aligner. “Un vrai indépendant, apolitique, qui n’a pas peur de prendre position. Avec un beau carnet d’adresses et ses entrées dans toutes les arcanes de la Région. Quelqu’un qui n’ait pas sa langue dans sa poche.”
A lire, dès lundi, un dossier qui passera en revue un certain nombre d’idées et de propositions émises qui s’adressent aux diverses facettes du futur plan numérique: équipement du territoire (en infrastructure télécoms ou autres ressources), promotion des compétences (à commencer au niveau de l’enseignement), aide à la “transformation numérique” des acteurs économiques, changement de certaines mentalités, mise en oeuvre de nouveaux instruments d’encadrement et de promotion de la croissance…
Avec aussi la prolongation possible du Conseil du Numérique et deux interviews: celles de Benoît Macq (UCL, Cabinet Marcourt) et de Benoît Hucq (directeur de l’Agence du Numérique).
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