Un des leviers sur lequel le Québec s’est largement appuyé, depuis nombre d’années, pour attirer investissements et acteurs étrangers est celui des avantages fiscaux et financiers. Les “tax shelters” appartiennent aussi au vocabulaire québécois. Une série de crédits d’impôt ont ainsi été imaginés pour les développements dans le domaine électronique, la production de titres multimédias et jeux interactifs, ou encore la R&D. Le CDAE (“crédit d’impôt pour le développement d’affaires électroniques”) couvre des domaines tels que la fabrication d’ordinateurs, le développement de logiciels, les traitements de données, la location de personnel…
Voici ce qu’en dit l’AWEX: “Les entreprises qui s’installent au Québec profitent de coûts d’exploitation très avantageux. Pour une entreprise de développement de logiciels avancés, par exemple, les coûts d’exploitation sont 25% moins élevés qu’aux États-Unis. Le taux d’imposition des sociétés est parmi les plus bas en Amérique du Nord. En outre, les incitatifs fiscaux à la R&D font en sorte qu’une dépense de 100 dollars peut représenter un coût réel de 40 dollars. Aussi n’est-il pas surprenant que l’industrie des TIC soit particulièrement active en recherche et développement.”
Le petit pot de miel
Le gouvernement québécois part du principe qu’octroyer du crédit d’impôt à des sociétés étrangères contribue bien évidemment à favoriser leur implantation au Québec et, dès lors, la création d’emplois.
“C’est une formule efficace et intéressante”, déclare Philippe Mack, patron de la société liégeoise Pepite qui dispose d’un bureau commercial à Montréal et dont les partenaires locaux recourent à ce programme d’aide.
“Cela leur permet de déclarer et d’obtenir une aide pour une partie de leurs efforts en R&D. Un subside en quelque sorte. Cela a pour eux l’avantage de leur simplifier la vie, compte tenu du fait que le processus de dépôt et de réalisation d’un projet de R&D peut est très lourd et courir sur plusieurs années.
En cela, le Québec se montre plus souple que nous en matière de R&D. Certes, il ne s’agit pas d’avance [comme on le pratique chez nous] mais quand on voit le retard avec lequel la Région wallonne verse ces avances, la mécanique mise en place au Québec est plus simple et fonctionne mieux.”
Jean qui rit, Jean qui pleure
Mais ce crédit d’impôt octroyé à des sociétés étrangères fait débat au Québec, certains s’interrogeant sur le bien-fondé d’aides qui contribuent ainsi à fausser le potentiel de compétitivité des sociétés canadiennes.
Lire à ce sujet la chronique publiée dans le journal La Presse, en juillet 2013, au lendemain du prolongement, jusqu’en 2025, de ce programme CDAE.
Quoi qu’il en soit, ce genre d’avantages fiscaux a certainement joué un rôle dans l’implantation du spécialiste français des jeux vidéo Ubisoft à Montréal. Fin des années 90, la société se voit proposer un crédit d’impôt de 50% sur les salaires si elle crée quelques centaines d’emplois.
Aujourd’hui, Ubisoft y emploie près de 3.000 personnes, dont 85% de “locaux”. Et l’histoire repasse les plats. Tout récemment, l’éditeur a en effet décidé d’investir 255 millions d’euros dans un nouveau studio dédié aux jeux en-ligne mais a négocié pour cela un retour d’ascenseur. A savoir: une aide financière de 6,76 millions d’euros et un élargissement du crédit d’impôt à la production de titres multimédias…
Entre-temps, le Québec est devenu une terre d’accueil mais aussi de création de sociétés actives dans les jeux vidéo, jeux en-ligne, jeux sérieux, effets spéciaux, multimédia… Voir notre répertoire d’acteurs. Le secteur canadien du jeu vidéo affiche 348 sociétés et quelque 16.000 emplois directs au compteur et revendique la troisième place mondiale derrière les Etats-Unis et le Japon. Le Québec, lui, truste 70% de la production.
Restrictions budgétaires
Aujourd’hui, le crédit d’impôt pour les jeux vidéo est certes moins généreux que par le passé: 30% (pas mal malgré tout…) et pousse même à 37,5% si le jeu est… en langue française.
A noter que les sociétés étrangères peuvent bénéficier d’autres incitants fiscaux pour la création d’emplois, l’offre d’un programme de formations (via le Fonds de développement et de reconnaissance des compétences de la main-d’oeuvre) ou encore la création d’un service RH.
Le mécanisme des crédits d’impôts pour cause d’investissement IT a été étendu, fin 2013, à l’industrie manufacturière. Il porte sur l’achat de matériel informatique de production ou encore les dépenses d’acquisition et d’implantation de progiciels de gestion… ou la passation de contrats d’utilisation de services cloud. Il faut bien vivre avec son temps…
Ce crédit d’impôt couvre en outre les contrats de service visant l’intégration et l’optimisation des logiciels. Le gouvernement a même été plus loin: “les frais liés aux conseils d’experts recommandés par le Ministère pour établir des diagnostics, pistes de solution, plans d’intégration et d’architecture, ou encore le choix de fournisseurs ou d’équipements, seront éligibles à une subvention pouvant couvrir 50 % des honoraires.” Voir le communiqué intégral publié par TechnoMontréal.
Toutefois, la situation budgétaire du Québec pourrait impliquer certaines modifications dans ces avantages fiscaux. Le fait est, comme on l’a vu, que les crédits d’impôt destinés au secteur du multimédia, notamment, ont récemment été rabotés de 20%. Ce qui a eu le don de faire naître des craintes pour l’emploi et les investissements consentis par des acteurs étrangers tels qu’Ubisoft ou Activision.
“Avec pour conséquence éventuelle que la nature volatile des sociétés IT ne provoque une délocalisation rapide”, prévient la représentation économique belge au pays de l’érable. Et donc un déforcement du secteur IT québécois. En effet, d’autres provinces canadiennes mais aussi certains Etats américains lancent, eux, de nouveaux programmes fiscaux similaires qui pourraient entraîner dé- et re-localisations.
Un petit calcul effectué par le journal québécois La Presse estime par exemple à 15 millions de dollars le “manque à gagner” pour Ubisoft. Les jeunes pousses locales y perdent également. Commentaire du patron de l’une d’entre elles, active dans le développement de jeux vidéo: “Nous sommes une entreprise en démarrage. Ça nous coupe le souffle, à nous comme aux moyennes et aux grandes entreprises. Je perdrai des ventes ici et à l’étranger en même temps que des honoraires qui comptent pour un gros pourcentage des revenus” (Source: La Presse, 10 juin 2014).
Les représentants du secteur ICT, quant à eux, telles les associations VETIQ, L’Alliance numérique ou TECHNOCompétences (voir notre répertoire des acteurs sectoriels québécois), regrettent un manque de consultation du secteur avant cette prise de décision.
Autres avantages
Restons encore un instant au chapitre fiscal. La politique d’attraction des investissements étrangers et de la main d’oeuvre qualifiée passe aussi par l’offre d’un “congé fiscal” destiné aux chercheurs et experts étrangers. Ce “congé fiscal” se traduit en fait par une exemption d’impôt sur le revenu, pendant 5 ans, selon un taux dégressif allant de 100% les 2 premières années à 25% la 5ème.
Cette politique de séduction qui n’est évidemment pas désintéressée. Une enquête de l’AQT (Association Québécoise des Technologies), réalisée entre juin et septembre 2013, indiquait par exemple que l’industrie ICT au Québec était “en perte de vitesse en 2013. […] Le fort potentiel de croissance des entreprises ICT est freiné par la pénurie de main-d’oeuvre spécialisée
L’argumentaire du Québec ne se limite toutefois pas au seul hameçon fiscal. Il fait aussi miroiter des réserves de dollars prêtes à être investies et des coûts opérationnels plus abordables pour les entreprises, en tout cas comparé à d’autres régions qui jouent la carte de l’innovation IT ou sont reconnues comme des ruches intéressantes.
Côté investissements et capital à risque, Montréal pointait, en 2011, en première position canadienne, avec 30% des 459 millions de dollars de capital-risque investis en IT. La proportion, depuis, reste stable mais les volumes investis explosent. Plus 46% entre 2012 et 2013 pour un total québécois de 588 millions de dollars.
Le Québec fait également valoir une réserve de talents. Montréal accueille par exemple 11 établissements d’enseignement universitaire, dont 6 à vocation générale et 3 établissements de génie et de recherche scientifique. Au total, une population de 170.000 étudiants universitaires dont 20.000 étrangers (chiffres publiés en juin 2014 par Montréal International). Et avec “les frais de scolarité pour études supérieures les plus faibles d’Amérique du Nord”.
Les coûts de main-d’oeuvre, en ce compris pour le secteur IT, sont par ailleurs présentés comme plus attrayants. Selon une étude de KPMG datant de 2012, ces coûts sont en moyenne 12,7% moins élevés au Québec qu’aux Etats-Unis et 10,5% moins importants que la moyenne du G7. Raison: des salaires moyens plus bas et des contributions de l’employeur moins élevées.
Le différentiel est de 8% par rapport à la France et de 19% par rapport au Royaume-Uni.
S’y ajoutent encore des avantages liés aux infrastructures.
Côté immobilier, le coût moyen de location de bureaux au Québec se situe plus ou moins au même niveau que ceux de Seattle ou San Diego mais si l’on compare le coût annuel du m2 avec celui de New York (qui attire beaucoup plus les regards des start-ups et jeunes entrepreneurs notamment), la différence devient flagrante: 264 dollars par mètre carré au Québec, contre 344 à New York (chiffres KPMG 2012).
Mais attention, on parle bien ici d’un coût moyen québécois. Les tarifs à Montréal sont, eux, fort proches de ceux de New-York, voire même un rien supérieurs (346 dollars contre 344). Toutefois encore deux fois moins cher que les loyers… parisiens.
Autre argument: le facteur électrique. Les tarifs sont “parmi les plus faibles d’Amérique Nord et sont par ailleurs stables en raison du patrimoine hydraulique”, signale l’AWEX.
Pourquoi en parlons-nous? Parce que le facteur énergétique pourrait être déterminant (au même titre que la température ambiante!) pour la volonté du Québec de devenir un “carrefour mondial des centres de données (data centers)”. D’autant plus que le Québec a largement investi dans les réseaux de fibre optique, y ajoute des tarifs préférentiels pour les gros consommateurs d’énergie. Le français OVH, en tout cas, a déjà cédé à la tentation…
A cela s’ajoute encore – argument qui pèse de plus en plus lourd aujourd’hui dans la balance – une protection des données nettement plus affirmée qu’au sud de la frontière, aux Etats-Unis. Pas de “Patriot Act” à l’horizon…
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