Dans le chapitre de son mémorandum consacré aux services publics, à la manière dont ils utilisent et mettent en pratique les nouvelles technologies (tant pour leurs propres besoins que dans leurs relations avec les citoyens et les entreprises), Agoria pointe plusieurs carences ou “distorsions”.
Agoria plaide en faveur de “moyens d’investissement (en temps et argent) suffisants” permettant aux pouvoirs publics de promouvoir l’utilisation des technologies ICT en leur sein. A la fois afin qu’ils puissent moderniser leurs processus et améliorer le service au citoyen et aux entreprises. Et pour jouer plus franchement un rôle de modèle, donnant l’exemple au secteur privé (en particulier aux PME). Nous y reviendrons plus en détail dans l’article consacré au cloud et à la sécurité informatique.
Autre demande appuyée d’Agoria: que les projets de modernisation des pouvoirs publics soient documentés, que les résultats obtenus soient clairement évalués.
Manque d’ambition?
Le constat posé par Agoria, valable pour l’ensemble du pays mais peut-être plus particulièrement pour la Wallonie, est sévère: “On observe peu de réalisations concrètes en termes de projets d’e-gouvernement. Il s’agit surtout d’améliorations et d’adaptations de projets d’informatisation lancés déjà depuis longtemps. Pour le reste, l’administration veille surtout à faire des économies, notamment par la technique du “costing out” et au moyen d’achats TIC groupés. Ce n’est pas une mauvaise chose en soi, à condition que les besoins informatiques des différentes administrations ne soient pas compromis. Toutefois, au final, cette course aux économies prend largement le dessus sur le développement de nouveaux projets intelligents, durables et innovants.”
Agoria: “Nous avons encore trop souvent l’impression que des projets d’e-gouvernement se répètent ou qu’ils ne sont pas toujours effectués au bon niveau.”
La fédération plaide en outre pour une “plus grande transparence dans les projets e-gov”. “Il serait intéressant d’établir, à l’instar de nos voisins néerlandais, un inventaire exhaustif de tous les projets e-gov avec leurs objectifs et fonctionnalités, leur analyse coûts-avantages et leur statut en cours d’exécution. Les Pays-Bas nous montrent la voie à suivre: le site web Rijks-ICT-Dashboard énumère tous les projets e-gov avec leurs objectifs, moyens, budget et mode d’exécution. Les citoyens mais naturellement aussi les autorités mêmes peuvent aisi voir à quoi l’argent des contribuables est consacré et ce qu’il rapporte. Les administrations peuvent s’inspirer des projets de leurs collègues.” Et d’ajouter: “vu les structures de plus en plus complexes de notre État, cela serait d’ailleurs plus que bienvenu chez nous.”
Nous nous sommes déjà fait l’écho des critiques lancées par la fédération professionnelle, en matière de simplification administrative, à l’égard de la Wallonie. Relire nos articles, à ce sujet (la position d’Agoria et la réaction du gouvernement wallon). Nous ne nous attarderons donc pas davantage ici sur ce point.
Arrêtons-nous plutôt sur une autre critique qu’émet Agoria au sujet du profil des prestataires de services auxquels les pouvoirs publics font appel pour leur informatisation et développement de solutions. Il faut, souligne Baudouin Corlùy, directeur d’Agoria ICT, “stimuler la collaboration entre les pouvoirs publics et les entreprises pour moderniser les pouvoirs publics et l’Etat et l’usage des technologies ICT. Avec, comme corollaire, un problème qui est surtout vrai au niveau fédéral et bruxellois – moins en Wallonie: les asbl ICT qui concurrencent les entreprises privées.”
Concurrence déloyale?
Aux yeux d’Agoria, la concurrence est déloyale. Les asbl ICT [IMIO, CIRB, IrisTeam, par exemple] bénéficient en effet à ses yeux d’avantages qui n’ont pas lieu d’être: non soumission au régime de la TVA et dérogations à la législation sur les marchés publics.
Baudouin Corlùy: “Qu’on ne vienne pas nous dire que les pouvoirs publics sont plus efficaces surtout lorsqu’il s’agit de développer des applications qui existent déjà…”
Tout en reconnaissant la pertinence de leur rôle en matière d’informatisation, Agoria reproche aux organismes publics tels que le CIRB ou IRISteam de “se positionner de plus en plus comme fournisseurs de personnel ICT” […] et de “ne pas travailler sous les mêmes conditions puisque ces asbl ne facturent pas de TVA et ne doivent pas en passer par une procédure d’adjudication publique, comme c’est le cas pour le privé.” Et de poursuivre: “le secteur TIC désapprouve cette “nationalisation” des services informatiques. […] Nous recommandons aux autorités de rendre les cahiers des charges, l’analyse et la comparaison des différentes offres et l’adjudication finale ainsi que son suivi moins complexes sur le plan administratif.”
Requête, dès lors, d’Agoria: “éliminer les différences en matière de régime TVA et de marchés publics” et instauration de devis-type “conformément à la réforme du cahier des charges général pour les marchés publics.”
La prise de position d’Agoria n’a évidemment pas manqué de faire réagir l’un des premiers intéressés, à savoir le CIRB (Centre d’Informatique pour la Région bruxelloise). Lire sa réaction.
L’argumentation du CIRB n’a pas convaincu Agoria. “Le fait qu’elles ne facturent pas de TVA est certes propre aux asbl mais il n’en reste pas moins vrai qu’il y a concurrence”, insiste Baudouin Corlùy. “Prenez le cas de l’application Fix My Street, qui a été développée par le CIRB pour un montant d’environ 200.000 euros alors qu’une société flamande pouvait leur offrir l’application pour quelque chose comme 5.000 euros. Qu’on ne vienne pas nous dire que les pouvoirs publics sont plus efficaces surtout lorsqu’il s’agit de développer des applications qui existent déjà…” Voir aussi la réaction de la start-up BetterStreet, qui a développé une application similaire, et qui demande qu’il y ait pour le moins plus de clarté sur les chances qu’ont des acteurs privés de concourir utilement pour de tels projets.
“Lâchez du lest”
Le secteur public aurait aussi tendance, à entendre Agoria, à… trop en demander à ses sous-traitants privés: “La tendance à rejeter de plus en plus de responsabilités sur le sous-traitant se renforce. De ce fait, il devient de moins en moins intéressant (et de plus en plus risqué) pour des entreprises privées de participer à des marchés publics, si bien que de plus en plus de candidats jettent l’éponge.” Il faudrait dès lors renforcer la concertation public-privé pour “rendre les conditions d’exécution (responsabilités, clauses pénales, etc.) des marchés plus conformes à la réalité économique.”
Pourquoi cette prise de position de la part d’Agoria? Les SLA [conventions de services] sont-ils trop stricts? Peut-on reprocher aux services publics d’exiger de l’efficacité dans l’exécution des contrats assignés aux prestataires privés?
“Je pense aux cahiers des charges qui sont de plus en plus sévères et demandent des garanties à tous points de vue, jusqu’à devenir de l’ordre de l’inacceptable”, commente Baudouin Corlùy. “Cela a pour effet d’étrangler certaines entreprises. Sans parler du temps qu’elles doivent passer pour répondre aux appels d’offre, y allouant parfois plusieurs personnes pendant plusieurs mois. Et même si elles décrochent le contrat, certains critères les mettent à mal, avec pénalisation disproportionnée dès l’instant où quelque chose se passe mal.”
Pourquoi cette plus grande sévérité des exigences contractuelles?
“Par le passé, tous les contrats n’ont pas toujours eu un résultat optimal mais les raisons et les torts étaient partagés. Les contrats étaient à trop long terme. Avec, pour résultat, qu’on en arrivait à une situation où leurs spécifications étaient dépassées parce que la technologie avait évolué entre-temps tandis que le prestataire demeurait jugé sur les critères d’origine.
Ce genre de situation me conforte dans ma conviction que les pouvoirs publics doivent développer une plus grande connaissance de l’ICT en leur sein, non pas pour développer eux-mêmes ou pour mettre des solutions eux-mêmes en place, mais pour comprendre la dynamique de l’informatique et accompagner, conjointement avec les entreprises, les projets qu’ils désirent voire réaliser.”
Faudrait-il dès lors raccourcir la durée des contrats?
“Soit raccourcir, soit accompagner les entreprises qui sont censées réaliser les projets et avoir des processus qui courent en parallèle. Scinder le projet en plusieurs parties et procéder à une évaluation permanente.”
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