Voilà 10 ans qu’Agnès Flémal est à la tête du WSL, incubateur wallon dédié aux sciences de l’ingénieur. Au fil du temps, l’incubateur liégeois a sensiblement élargi son spectre d’activités. Centré, au départ, sur le secteur spatial (WSL est l’acronyme de Wallonia Space Logistics), il assure aujourd’hui l’accompagnement de start-ups et spin-offs actives indifféremment dans les secteurs de la micro- et nano-électronique, de l’ICT, du génie logiciel, de l’aérospatial, voire des technologies vertes. Et de nouvelles antennes toucheront encore d’autres secteurs, tels celui de l’automobile et des motorisations nouvelles sur le site de Spa-Francorchamps. “On s’arrête en fait aux sciences du vivant”, indique Agnès Flémal. Pour couvrir un tel spectre, les compétences du “top dog” ont tout intérêt à être à la hauteur.
Ce n’est pas parce qu’on a le plus beau produit qu’on pourra le vendre…
Pour tous ceux et toutes celles qui s’interrogeraient encore sur la place des femmes dans les hautes technologies, à des postes de responsabilité- techniques ou non-, le parcours et la réussite d’Agnès Flémal oppose la démonstration la plus éloquente qui soit.
Il est vrai que, dès le départ, elle a osé- par pur penchant naturel- se lancer dans le registre exigeant de l’ingéniorat. Après une spéciale maths, histoire de préparer son entrée à l’école d’ingénieurs, Agnès Flémal a suivi une licence en radiocommunications. “J’ai été la plus jeune radio-amateur de Belgique”, se rappelle-t-elle, non sans nostalgie.
Après avoir suivi un enseignement d’ingénieur civil en informatique et gestion à la Faculté Polytechnique de Mons, elle débute d’emblée sa carrière avec des accents de volontarisme qui ne devaient plus se démentir. A la sortie des études, elle remet en effet sur les rails une société familiale en faillite, spécialisée dans les systèmes d’automatisme pour stations d’épuration. S’appuyant sur son travail de fin d’étude, elle met au point une série d’automates de gestion. La société sera par la suite revendue au groupe CFE.
Etape suivante, la création en 1997 d’une société spécialisée dans les systèmes d’endoscopie pouvant opérer dans des environnements à haute température (fours de cimenterie, de sidérurgie…).
Le tournant, voici 10 ans
Il y a de cela un peu plus de 10 ans, elle répond à une annonce pour prendre la direction du WSL. “Je n’ai pas hésité une seule seconde”, souligne-t-elle. “La description de fonctions correspondait très exactement à ce que j’étais. Ils cherchaient quelqu’un ayant de l’expérience en gestion d’entreprise, qui savait ce que c’est que la haute technologie. Il fallait en quelque sorte quelqu’un qui apprenne aux autres à ne pas faire les mêmes erreurs. Or, après 15 ans d’entreprise, j’étais passée par pas mal de choses…”
Agnès Flémal dit avoir eu la chance de commencer pratiquement à partir d’une feuille blanche. “Le WSL venait de se lancer. J’ai donc regardé dans le monde ce qui existait, pour ne pas réinventer la roue. C’est ainsi que j’ai découverte le réseau d’incubateurs de technologie NBIA (National Business Incubation Association), né aux Etats-Unis. Au début, je me suis inspirée des bonnes pratiques et j’ai commencé à mettre au point une méthodologie. En quelques années, nous sommes devenus le laboratoire d’essai de la Région wallonne. Nous avons un échantillon très représentatif de ce qui se passe dans les sociétés technologiques en Wallonie. Des idées ont ainsi émergé, qui ont été testées et validées au WSL avant d’être proposées pour déploiement au niveau de la Région.” Exemples: le programme de support au prototyping, le financement de matériel spécifique “dont les entreprises ont besoin mais que les banques ne veulent plus financer”, le programme CXO qui permet d’accélérer la maturation commerciale de spin-off dont l’initiateur, par définition, est un scientifique ou un chercheur, généralement peu versé en compétences commerciales ou managériales.
Savoir ce que l’on veut et le dire
Agnès Flémal dirige le WSL d’une main qu’elle veut résolument ferme. Quels acquis de son passé exploite-t-elle dans cette tâche? “Tout d’abord, les réflexes amenés par l’expérience, l’attention particulière au cash. Mais aussi le sens du relationnel. Autrement dit, une relation de confiance que j’ai, que mon équipe a, avec tous les entrepreneurs et qui les amène à confier des choses qu’ils ne diraient pas à d’autres. En cela, le WSL est réellement un tiers de confiance. Ils savent qu’on est là pour les aider, que la discrétion sera maintenue. Je suis par ailleurs quelqu’un qui fait ce qu’elle dit et qui dit ce qu’elle fait. Je suis très directe. Je les défend à l’extérieur mais il m’arrive d’être très dure avec ces jeunes entrepreneurs. Il y a des managers à qui j’ai demandé de démissionner. Il faut savoir être porteur de mauvaises nouvelles. Oser dire tout haut certaines choses. Oser dire qu’on va dans le mur si on ne met pas certaines choses en place. Cela ne sert à rien, au contraire, de s’auto-congratuler, de se bercer d’illusions parce qu’on dit percevoir un intérêt du marché mais sans qu’il y ait jamais eu demande précise… Ce n’est pas parce qu’on a le plus beau produit qu’on pourra le vendre… Il faut être réaliste, avoir les pieds sur terre.”
De ses collaborateurs et des membres du conseil d’administration, Agnès Flémal exige des qualités proches des siennes. “Dans le conseil d’administration, je veux des industriels qui représentent les différents pôles. Ces pôles sont un axe fondamental du développement de la Région. Ils ne peuvent donc pas ne pas travailler ensemble. Pour moi, c’était donc indispensable d’avoir des représentants des pôles pour que les relations se nouent. Pour les personnes-relais des antennes, je veux des personnes ayant une expérience des PME, des gens qui ont fait des choses, pas des consultants qui ont fait faire. Des gens qui ont mis les mains dans le cambouis, qui savent ce que c’est que de s’occuper au jour le jour d’une entreprise. Au niveau personnel, j’attends d’eux beaucoup d’écoute, d’empathie. Pas trop mais il en faut. Il faut savoir écouter, être ferme et avoir de la rigueur. Il faut savoir dire quand quelque chose ne va pas, ne pas se cacher les yeux. Même si c’est parfois dur à encaisser.”
Une vie en dehors du WSL?
Reste-t-il à Agnès Flémal un minimum de temps pour un espace personnel, des passions en dehors du travail? “Je suis folle de ski, montagne, escalade. J’adore cuisiner le week-end. Je prends le temps de le faire – dans les limites du raisonnable et du possible. C’est une des décisions que j’ai prises il y a une petite dizaine d’années. Il faut savoir se limiter. Les entrepreneurs savent que je suis joignable 24 h sur 24 mais je me garde des fenêtres. J’en ai besoin.” Quant à savoir si elle recherche alors davantage la solitude ou du ressourcing dans un autre entourage, elle répond: “Les deux. J’ai l’avantage de vivre dans la région de Charleroi et de travailler à Liège. Je ne me retrouve donc pas en train de faire mon marché le samedi matin et de rencontrer cinq personnes de ma sphère professionnelle. J’ai besoin de faire la part des choses. Je n’aime pas mélanger pas vie privée et vie professionnelle. Je ne recherche pas ça du tout. Pour pouvoir se ressourcer, il faut pouvoir faire des coupures.”
Comment voit-elle son avenir professionnel? De nouvelles ambitions se font-elles jour? “Voilà 10 ans que je suis à la tête du WSL. C’est court et c’est long à la fois. Je me pose toujours la question: est-ce que j’apporte encore suffisamment de valeur ajoutée. C’est important de se remettre en question, je ne suis jamais satisfaite de ce que je fais. Les antennes qui se lancent [Ndlr: à Louvain-la-Neuve, Gosselies, Mons et Spa-Francorchamps] sont, pour moi, une grosse responsabilité. J’ai donc encore de quoi faire. Je ne voudrais pas avoir lancé quelque chose sans avoir tout fait pour que cela réussisse. Cela me prendra encore deux ou trois ans. Après on verra. Je ne suis pas quelqu’un qui parle en termes d’objectifs de carrière. Je préfère me poser la question tous les ans. J’ai la chance de faire un boulot passionnant, de côtoyer des gens passionnants, de voir les managers évoluer, d’assister à l’épaississement de la carrure d’un chercheur… C’est comme de voir un enfant grandir. C’est enrichissant de développer des relations privilégiées avec la quasi-totalité des entrepreneurs.”
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