Créée voici près de deux ans et auteur, en guise de premier produit, d’une solution d’agenda médical, la start-up e-santé Rosa annonce l’acquisition de la société Umbi, fondée en 2018, basée à Deinze, près de Gand. Elle aussi a imaginé un système de gestion d’agenda de rendez-vous médicaux mais dans une autre optique.
Là où l’appli Rosa couvre la prise de rendez-vous auprès d’un médecin généraliste, voire spécialiste (rendez-vous pour consultations, fonction de rappel, historique des rendez-vous, recherche de professionnel par nom, localisation géographie ou spécialité), Umbi avait en effet visé la prise de rendez-vous à l’hôpital mais en développant une solution plus complète. En l’occurrence, une solution de type “portail patient”, baptisée No-Touch PatientFlow, qui inclut notamment, outre le module prise de rendez-vous/agenda, des fonctions d’inscription, de guide intra muros, gestion de salle d’attente, paiement électronique, vidéo-consultation, ou encore gestion des visiteurs.
A ses débuts, Rosa ne s’était pas attaquée à la prise de rendez-vous à l’hôpital, jugeant l’exercice de développement nettement plus compliqué en raison de la multiplicité des solutions et systèmes installés dans les établissements hospitaliers. La jeune pousse, toutefois, n’avait pas caché son espoir de s’y attaquer “dans un deuxième temps”. C’est aujourd’hui chose faite mais en tablant sur une solution déjà existante (celle d’Umbi) et en la rachetant plutôt que de se lancer dans des développements propres…
Rosa/Umbi revendique actuellement onze hôpitaux clients. Et cela inclut les hôpitaux flamands qu’Umbi a apportés dans l’escarcelle – l’hôpital universitaire d’Anvers, les hôpitaux Monica (Anvers), Klina (Brasschaat), Heilig Hart (Lier) ou encore Maria Middelares (Gand). A cela s’ajoutent cinq autres établissements hospitaliers francophones (quatre bruxellois et un namurois) dont Rosa préfère taire les noms “dans la mesure où ils ne seront en production qu’en fin d’année”). Ces cinq hôpitaux ont été approchés en début d’année pour faire office de sites-pilote qu’elle se proposait de développer elle-même… jusqu’à ce que la piste de l’acquisition d’Umbi ne se fasse jour. A l’origine, le cheminement prévu était de boucler le développement à l’été 2022 et de passer au stade mise en production en septembre ou octobre.
“Fortuitement”, en début d’année, le patron de Rosa a croisé la route de celui d’Umbi… Sébastien Deletaille (Rosa): “D’emblée, la complémentarité est apparue – en termes d’expertise, de mission, d’équipe, de produit, de présence géographique…” Sur la photo: à g. Sébastien Deletaille, à dr. Bart de Wulf d’Umbi.
Pourquoi cette acquisition? Quelles sont les ambitions de la nouvelle structure en termes de produits, de fonctionnalités? Quelle est sa feuille de route pour espérer s’imposer et se pérenniser sur la scène de l’e-santé belge? Et avec quels moyens financiers ou modèle de financement? Toutes questions que nous avons posées à Sébastien Deletaille, CEO de Rosa.
Objectif: durabilité
A première vue, cela peut paraître surprenant qu’une jeune start-up, n’ayant encore qu’un catalogue de produits fort restreint, en rachète une autre, dans le même secteur et à peu de choses près sur la même thématique, une société plus âgée, mieux implantée et à l’offre de produits sensiblement plus large et complète. Pourquoi est-ce Rosa qui rachète Umbi et non l’inverse?
Sébastien Deletaille pointe comme raison essentielle qu’Umbi ne s’inscrivait pas, a priori, dans une démarche d’acquisition et, surtout, que “Rosa présentait une structure plus solide et durable”. Explications…
“Quand nous les avons rencontrés, début 2022, Umbi était sur le point de se lancer dans un tour de table”. La société avait en effet besoin de financement pour poursuivre et asseoir le développement de sa solution de portail patient pour hôpitaux.
Dans le même temps, Rosa s’était engagé, comme on l’a vu,dans un parcours de développement applicatif visant ces mêmes hôpitaux. Or, la solution existait déjà chez son homologue et faisait même partie d’une offre nettement plus large, fonctionnellement parlant…
Umbi: solution de suivi du flux patients.
La piste de la fusion ou acquisition apparaissait dès lors comme une évidence. Mais pourquoi est-ce Rosa qui a pris les rênes? “Notre structure était plus robuste et pérenne. En taille d’équipe, nous étions quatre fois plus nombreux qu’Umbi [30 d’un côté contre “5 à 7 personnes” de l’autre]. Notre structure financière était également la plus saine, plus durable. Et Umbi était ouvert à l’idée de se faire racheter alors que nous-mêmes ne cherchions pas à l’être. Si la proposition nous en avait été faite par Umbi, rien ne dit qu’on aurait accepté…”
Coup d’oeil sur les raisons de cette “structure de financement plus durable” que revendique Rosa… “Nous sommes financés par le fonds Promeris, le fonds à impact social de Partena. Ce fonds procure un accompagnement financier à de jeunes pousses dans le domaine de la santé, synonymes de haut risque technique, jusqu’à ce qu’elles soient aptes à générer elles-mêmes des revenus.
Or, l’équilibre dans ce domaine est nettement plus long à atteindre [en ce compris l’obtention d’un schéma de remboursement par l’Inami].
Cet accompagnement par Promeris rassure les hôpitaux sur notre durabilité, contrairement à la promesse souvent déçue de start-ups qui ferment précocement boutique.”
De petit Poucet à moyen Poucet
Le fait est que chacune des deux start-ups avait besoin de gagner en “surface”. Voire en crédibilité. Surtout pour convaincre les hôpitaux de lui faire confiance…
Sébastien Deletaille enfonce ce qui ressemble fort à une porte ouverte lorsqu’il déclare que “le fait d’être une start-up rend les choses difficiles quand on s’adresse à un hôpital qui est, de facto, une grande entreprise, mais par ailleurs toujours à la recherche d’innovation. Souvent, le constat posé est que les start-ups ne délivrent pas sur la promesse de départ.”
Sous cet angle, réunir deux petits acteurs fait sens afin de devenir un acteur de taille moyenne, d’atteindre une masse critique suffisante.
Le modèle économique
Au-delà de la (potentiellement longue) phase de maturation que supporte et continuera de supporter le fonds Promeris, Rosa doit évidemment rechercher des sources de pérennité financière.
Or, le module applicatif calendrier/prise de rendez-vous – tant pour l’ambulatoire que pour l’hospitalier – est proposé gratuitement “à vie” par Rosa, que ce soit pour les utilisateurs finaux ou pour les professionnels.
Les fonctionnalités de base – ou d’accroche – de la gestion du parcours de soins] demeureront gratuites à vie. Sébastien Deletaille (Rosa): “Cette gratuité à vie nous a permis de faire grandir le marché de la prise de rendez-vous en-ligne. Notamment auprès des professions paramédicales qui ont besoin de ce genre de solution, de même que les spécialiste, dont certains n’en ont besoin qu’une fois par semaine, et qui ne veulent donc pas ou ne peuvent pas débourser 1.000 euros par an pour ce genre de solution”.
D’autres modules et fonctionnalités sont par contre payants – téléconsultation, enregistrement de patients, gestion des flux (suivi des rappels de rendez-vous, suivi du trajet d’un patient au sein de l’hôpital et au gré de ses rendez-vous et soins…).
Le “plan A” de Rosa demeure une source de revenus à décrocher auprès de l’Inami – mais cela prendra encore “quelque temps” – de deux à cinq ans, selon Sébastien Deletaille. “Pour justifier une forme de remboursement, il nous faut valider le processus, apporter la preuve que notre solution fonctionne, a de la traction, est robuste, et débouche sur une meilleure gestion de la santé”. Un parcours traditionnellement long… auquel ne survivent pas forcément toutes les start-ups…
En plus de Promeris, Rosa est-il par ailleurs en quête ou intéressé à se chercher d’autres partenaires investisseurs? “Nous avons reçu des propositions, non sollicitées, de grosses structures, essentiellement belges. Nous les étudions au cas par cas mais, pour l’instant, Rosa est financé et ne recherche pas ce type de collaboration. Si, un jour, nos hypothèses changent, nous envisagerons la chose…”
Pour l’heure, la priorité demeure la “création de traction” pour s’assurer une masse critique, rendre toute concurrence difficile. “Nous devons rattraper nos concurrents”. Que Sébastien Deletaille réduit essentiellement à un trio: Helena de Corilus, Nexus Health de Cegeka (développé en collaboration avec l’UZ Leuven) et Doctena.
Un portail patient nouvelle mouture
L’objectif final de Rosa demeure de proposer aux patients et aux professionnels une solution de gestion santé sur mobile, fonctionnellement complète – notamment pour ce qui est des volets administratifs en tous genres. Cela passera notamment par la mise en oeuvre d’un “portail patient” (multi-modules fonctionnels) pour une “expérience numérique nouvelle, à et autour de l’hôpital”.
“La manière de concevoir aujourd’hui un portail patient est de permettre à un patient, quand il se connecte à son profil, de consulter ses rendez-vous, résultats d’examens, de pouvoir communiquer avec des professionnels de soins, d’effectuer un certain suivi administratif – paiement de factures…
C’est une vue un peu archaïque dans la mesure où on traduit simplement le monde papier en une nouvelle réalité numérique. Sans repenser l’hôpital ou le trajet de soins pour une réelle expérience phygitale [mixant physique et numérique].
Un nouveau concept est toutefois en train d’émerger: l’hôpital virtuel, ancré sur la notion que l’hôpital du futur n’est pas une simple infrastructure en plus ou un nombre de lits. Le portail patient de demain implique de repenser l’hôpital sans le lier à son infrastructure. Nous voulons nous mettre en quête de partenaires hospitaliers [belges] qui ont envie de tester de nouvelles visions…”
Une source d’inspiration pour Sébastien Deletaille est par exemple est la Mayo Clinic aux Etats-Unis. “Ils ont imaginé une réelle harmonisation entre expérience sur site et expérience numérique…”
Les ambitions
D’ici la fin de l’année, Rosa espère concrétiser son objectif de multiplier par un facteur 4 à 8 son “taux d’activité” (adhésion à ses solutions, professionnels inscrits, hôpitaux devenus utilisateurs de l’un ou l’autre module…).
Rosa en quelques chiffres
5.000 inscrits dans le répertoire de la solution de calendrier et prise de rendez-vous médical. Dont une majorité des professionnels de la santé, au sens strict du terme, les quelque 2.000 “non professionnels de santé” étant notamment du personnel administratif.
Répartition: environ 70% en ambulatoire, 30% en hospitalier. Du côté professionnels de santé, la base d’utilisateurs est essentiellement constituées de généralistes (environ 500), le reste étant divisé en une petite kyrielle de spécialistes – dentistes, kinés, podologues, logopèdes…
Côté effectifs: après acquisition, Rosa compte environ 40 collaborateurs, “dont deux-tiers en R&D”. “Nous allons stabiliser à ce niveau”.
Côté hôpitaux, son espoir est d’atteindre le chiffre de 20 à 30 hôpitaux clients en 2023 (contre 11 actuellement) et, dans le registre calendrier/prise de rendez-vous médical/hospitalier, de “venir chatouiller les deux premiers du classement” que sont, pour rappel, Helena (Corilus) et Nexus Health (Cegeka). “Helena, Nexus Health et Doctena ont clairement pris de l’avance et perdureront. Nous voulons rattraper le duo de tête. Tous les autres ne jouent pas dans la même division.
Nous aurons gagné la bataille lorsque nous quatre seront interopérables…”
Une réalité qui ne peut en effet échapper à Rosa est l’existence de nombreuses autres solutions sur le marché – conçues et proposées par des acteurs de toutes tailles, en ce compris quelques poids lourds (Zorgi, Cegeka…). Sans parler des développements spécifiques (prise de rendez-vous, portail patient) effectués ou entamés par les hôpitaux – “d’ailleurs essentiellement du côté francophone”, précise Sébastien Deletaille.
Il serait donc illusoire pour une jeune pousse telle que Rosa d’espérer balayer et remplacer l’existant sans coup férir. “En Belgique, le secteur de l’IT en santé est de nature monopolistique, voire duopolistique. Avec souvent des systèmes fermés, avec un processus d’amélioration continue fort limité et, dès lors, peu de concurrence entre grands acteurs. Face à eux, notre approche est celle de l’interopérabilité. Nous ne voulons pas recréer un DPI, un calendrier hospitalier là où ils existent. Nous voulons des accords de collaboration avec ces acteurs [éditeurs ou établissements hospitaliers].”
Le positionnement différenciateur vers lequel tend donc Rosa est celui de fournisseur de solutions d’intégration avec les plates-formes internes, d’orchestrateur de “plomberie”, avec une dose d’innovation que l’on ne trouverait pas ailleurs…
Pour faire le poids et revêtir un manteau de crédibilité et de respectabilité, la masse critique évoquée plus haut sera essentielle. En ce compris pour “pousser le régulateur à intervenir, de telle sorte que les données de prise de rendez-vous et de gestion de trajets de soins ne soient plus considérées comme des données administratives mais comme de véritables données médicales, enregistrées dans un hub santé sécurisé, avec encryption et recours à une format unique garantissant l’intégration entre plates-formes”. C’est là un autre argument sur lequel Rosa compte jouer pour se différencier et devenir un interlocuteur pérenne. “Nous voulons mettre ces sujets sur la place publique afin de mettre un terme à une situation de systèmes informatiques fermés et de silos de données…”
La feuille de route produits
A l’ordre du jour, en toute logique: l’alignement des solutions Rosa-Umbi. “Nous veillerons à la continuité des produits existants, en particulier pour ceux d’Umbi. Même si son catalogue est plus avancé que celui de Rosa, nous avons identifié des points d’amélioration pour les produits d’Umbi. Nous procéderons donc à une opération de refactoring de la pile technologique en basculant vers celle de Rosa, technologiquement plus récente. A terme, lorsque les fonctionnalités auront atteint un stade d’équivalence, une plate-forme unique sera proposée.”
Un autre projet atterrira nettement plus rapidement. Hormis sa première solution (calendrier/prise de rendez-vous), Rosa avait pointé une autre thématique pour ses débuts: l’attestation électronique, en ce compris pour spécialistes et paramédicaux – dentistes, podologues, neurospychologues…
La solution de facturation et attestation électronique est aujourd’hui promise pour le quatrième trimestre de cette année. Et sera, elle aussi, “gratuite à vie“. Actuellement, la solution est déjà mise à disposition de partenaires, pour qu’ils l’intègrent à leur propre solution. A terme, la fonctionnalité sera activable en tant que module direct dans le catalogue Rosa.
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