Voici quelques mois le cluster e-santé Lifetech.brussels lançait un appel à “manifestation d’intérêt” à destination des hôpitaux bruxellois. L’objectif: la création, grâce à des fonds Feder, d’un Centre d’Innovation médicale hospitalière (CIMH), un peu à la manière d’une initiative similaire lancée en Wallonie et dont le CHR La Citadelle (Liège) est le premier exemple.
Ce CIMH bruxellois doit être le lieu où des idées de projets innovants voient le jour, sont structurées et se transforment en projets et solutions, que ce soit pour améliorer la qualité des soins, la prise en charge des patients, de leur trajet de soins, pour innover en matière de sécurité, de traitements, d’organisation… Il doit aussi être un instrument de décloisonnement entre le monde hospitalier et les entrepreneurs de l’e-santé (qu’il s’agisse de start-ups ou d’acteurs déjà plus aguerris).
Cinq candidats, un élu
A l’issue de l’appel à candidatures, lifetech.brussels peut faire état d’un carton plein puisque cinq établissements hospitaliers de la région ont rentré un dossier. Des hôpitaux venus de tous horizons: public, privé, académique ou non, francophone ou néerlandophone.
Un seul, toutefois, pouvait être retenu pour bénéficier de l’accompagnement, de l’apport de conseils et de méthodologies par lifetech.brussels et les consultants spécialisés auxquels le cluster va faire appel pour la circonstance (deux consultants seront désignés d’ici la fin juin).
Hôpital lauréat: le groupement hospitalier H.U.B., acronyme de Hôpital Universitaire de Bruxelles, une nouvelle structure juridique officiellement portée sur les fonts baptismaux en ce début d’année et qui réunit désormais l’hôpital Erasme, l’Institut Bordet et l’Hôpital des enfants Reine Fabiola.
Le H.U.B. devient donc le premier hôpital (en l’occurrence, groupement hospitalier bruxellois) à embrayer sur un processus de création accompagnée d’un Centre d’Innovation (technologique) Médicale. Avec pour objectif d’“accélérer l’accès à des solutions technologiques innovantes au service des professionnels de soins et des patients.”
L’exercice se fera en mode-pilote, à la fois pour le H.U.B. lui-même et pour lifetech.brussels. Ce dernier espère que les concepts, principes et mécanismes testés et validés au H.U.B. pourront inspirer d’autres établissements bruxellois, les encourageant à se lancer dans la même démarche.
Raison pour laquelle un “guide pratique” sera élaboré à l’issue du projet. Raison aussi pour laquelle un rôle tout particulier échoira à la responsable comm’ du H.U.B., chargée d’“évangéliser” la démarche à la fois en interne et d’en partager les “bonnes feuilles” en externe.
Pourquoi le H.U.B. a-t-il finalement été sélectionné? Quels sont les arguments qui ont séduit le jury? Il y eut tout d’abord la motivation, bien charpentée, dont a fait preuve le H.U.B., indique
Sophie Liénart, coordinatrice de projet au sein de lifetech.brussels. Le groupement hospitalier a ainsi intégré dans son dossier des éléments budgétaires concrets, en ce compris au-delà de la durée du projet CIMH (19 mois), la garantie qu’une équipe opérationnelle multi-disciplinaire s’engageait réellement dans le projet, en y consacrant le temps nécessaire, et la volonté de mettre en oeuvre une démarche d’innovation prête à s’inspirer de méthodes nouvelles.
L’existence d’une “cellule de transformation et d’innovation” a également pesé dans la balance. Constituée dans la foulée du lancement de la nouvelle structure juridique, dirigée par Valérie Wittmann, qui prend d’ailleurs les rênes du projet CIMH, elle continue à la définition des grands axes stratégiques du H.U.B. Mais, souligne Valérie Wittmann, “ces grands axes et priorités stratégiques du groupement ont été définis en termes relativement génériques. Et en démarche top down. Ma conviction est que l’identification des besoins doit émaner des acteurs de terrain. Le projet CIMH va permettre de les lister, même s’ils ne figurent pas a priori dans nos objectifs stratégiques. Le but est de les faire émerger en bottom up”.
Une volonté concertée
“L’appel à candidature CIMH de lifetech.brussels tombait en fait on ne peut mieux pour nous”, explique Valérie Wittmann. “La constitution d’un groupement hospitalier est toujours un moment délicat qui implique de nombreux changements. Pouvoir s’engager dans un tel projet de CIMH permet d’établir des liens avec la stratégie globale. C’est un projet qui peut faire office de levier, être fédérateur et catalyseur.” Notamment pour concourir à la construction d’une nouvelle synergie entre les trois établissements, “à mettre autour de la table des personnes opérant à tous niveaux et leur donner le sentiment de se sentir écoutées”.
Valérie Wittmann (H.U.B.): “Grâce au projet CIMH, nous avons et continuerons de découvrir des méthodes et processus de gestion de projet, en ce compris un parcours d’acculturation. Le but est de continuer de faire vivre ces nouveaux acquis au-delà de la phase-pilote de 18 mois”.
Dès le départ, plusieurs départements du groupement hospitalier ont manifesté leur intérêt à participer au projet-pilote de CIMH initié par lifetech.brussels: direction médicale, directeur général adjoint, directrice de la recherche.
L’équipe pluridisciplinaire qui sera active tout au long du projet CIMH compte pas moins de 15 personnes et se compose notamment d’un gestionnaire de projet, de responsables médicaux et infirmiers, d’un responsable des achats, d’un directeur informatique, de 8 profils opérationnels (médecins, kiné, infirmier…) et même d’un “patient-partenaire”, représentant donc les patients.
Cette notion de “patient-partenaire” est assez neuve. L’idée? Faire jouer en quelque sorte un rôle d’interlocuteur-témoin s’inscrivant dans un dialogue direct avec les professionnels de santé (médecins, infirmières, techniciens) afin de mieux faire prendre conscience à ces derniers de la “dimension” patients. Cela peut se faire notamment dès le stade de la formation des professionnels de soins ou dans le cadre de leurs activités au quotidien. L’ULB a d’ailleurs initié un certificat universitaire en “partenariat patient” en vue de faire “acquérir les connaissances et les habiletés nécessaires à la mise en œuvre du partenariat patient dans un contexte d’accompagnement de soins”. Le “patient-partenaire” peut par exemple sensibiliser, “éduquer” le professionnel de soins à un dialogue efficace et humain avec le soigné, leur “apprendre la communication, l’annonce du diagnostic, les conditions de l’adhésion médicamenteuse…”, expliquait par exemple Joëlle Nortier, professeure de pharmacologie à la faculté de médecine à l’ULB, dans une interview accordée en 2021 à la Rtbf.
L’existence d’une équipe pluridisciplinaire la plus diversifiée possible était une condition sine qua non imposée par lifetch.brussels. “Une de nos exigences était que l’équipe CIMH se compose de 11 à 14 profils venant de différents horizons, de différents niveaux hiérarchiques”, explique Sophie Liénart. “C’est là quelque chose d’indispensable pour que des idées innovantes voient le jour. C’est également nécessaire pour que les gens de terrain soient écoutés, pour faire remonter les besoins vers la direction.”
Sophie Liénart (lifetech.brussels): “Si l’équipe CIMH ne comporte pas une multiplicité de profils, cela risque de faire capoter le projet. Il faut y intégrer des profils plus financiers, des membres de la direction, des profils pouvant valider et garantir l’utilisabilité des idées et projets sur le terrain.”
Le H.U.B. a donc satisfait à ce critère de base et a même ajouté un petit “bonus”, indiquant clairement que ce noyau dur s’inscrirait dans la durée, au-delà donc des 18 ou 19 mois du projet-pilote. Et, chose qui a particulièrement convaincu le jury, en indiquant que la composition de l’équipe opérationnelle, après la phase initiale, serait régulièrement revue afin d’y intégrer des “regards neufs” afin de favoriser un “renouvellement d’idées dans la durée”.
Un accompagnement sur-mesure
Lifetech.brussels a certes l’habitude de proposer des services de coaching, d’accompagnement aux porteurs de projets d’e-santé mais, jusqu’ici, son champ d’action ne s’étendait pas spécifiquement au secteur hospitalier. Et ce, même si de premiers ponts ont été jetés entre entrepreneurs et hôpitaux, notamment à l’occasion de réunions et de séances de pitchs lors du programme d’accélération MedTech.
L’accompagnement à l’innovation et à la gestion de projets, au sein d’un hôpital, reste une activité qui exige des compétences spécifiques. Raison pour laquelle un marché public a été lancé, la semaine dernière, en vue de sélectionner deux consultants versés dans ce genre de pratiques. Ils seront désignés d’ici la fin juin.
Le programme d’accompagnement
Un calendrier de réunions et d’ateliers entre les consultants délégués par lifetech.brussels, le cluster lui-même, et les membres de l’équipe CIMH du H.U.B. est d’ores et déjà planifié. Cet été, “trois ou quatre réunions de cadrage seront organisées avec la direction et la responsable de projets”, indique Sophie Liénart. “Le but est d’aligner les objectifs du CIMH avec ceux, stratégiques, du groupement hospitalier. Un alignement total puisqu’impliquant les trois entités qui constituent le H.U.B.”
A noter ici que le ou les projets identifiés comme prioritaires par l’équipe du CIMH ne concerneront pas forcément les trois entités, “même si ce serait l’idéal”, souligne Valérie Wittmann.
Dans un deuxième temps, des échanges avec l’équipe opérationnelle devront faire émerger des besoins. Dix ateliers sont prévus pour ce faire. S’en suivra une phase d’“acculturation”, à raison d’une réunion par mois “afin de préserver la cohérence, déterminer les priorités, valider la valeur des idées et projets par rapport aux besoins, faire en sorte que toutes les parties prenantes soient correctement informées, améliorer certains points…”
“L’essentiel est la régularité des réunions et la participation de toutes les personnes concernées, même si toutes ne devront pas nécessairement participer à toutes les réunions. Mais la régularité est importante pour éviter les désengagements…”, insiste Sophie Liénart.
Lifetech.brussels recherche deux profils spécifiques, chacun devant entrer en action pour une phase bien précise du programme CIMH.
Le premier collaborera avec l’équipe CIMH du H.U.B. pendant la phase d’identification et de priorisation des besoins, organisera, animera et pilotera les différents ateliers qui seront organisés de manière régulière (voir encadré ci-contre), et mettra également l’équipe CIMH en contact avec des sociétés pouvant potentiellement apporter des éléments de réponse aux projets imaginés.
Le second prendra ensuite le relais pour assurer le suivi, tout au long du projet (l’accompagnement par LIfetech arrivera à son terme fin 2023), lui donner du corps, de la consistance et “de la hauteur”.
Il lui reviendra aussi de rédiger un guide pratique, qui fera la synthèse et documentera l’expérience vécue tout au long du projet-pilote. “De quoi inspirer à la fois les autres collaborateurs et responsables du H.U.B. afin d’instiller l’esprit innovation à travers l’hôpital, et les autres hôpitaux”.
Un projet d’amorçage
Du côté du H.U.B. (et ce fut l’un des arguments qui a fait pencher la balance aux yeux du jury), la volonté est claire d’inscrire le “centre d’innovation médicale hospitalière” dans la durée.
“La Cellule de Transformation et d’Innovation opère un peu comme le coeur de réacteur. Grâce au projet CIMH, nous avons et continuerons de découvrir des méthodes et processus de gestion de projet, en ce compris un parcours d’acculturation. Le but est de continuer de faire vivre ces nouveaux acquis [au-delà de la phase-pilote de 18 mois]”, indique Valérie Wittmann.
“Sur dix besoins qui seront peut-être identifiés lors de la première phase du projet CIMH, trois ou quatre seront éventuellement retenus comme étant importants. Il se peut qu’un seul soit développé dans le cadre du projet CIMH. Mais ce serait dommage de ne pas également développer les autres.”
D’où la volonté affichée de pérenniser le CIMH. Valérie Wittmann dit d’ores et déjà vouloir “défendre un minimum de budget pour pérenniser le Centre et pointer d’autres besoins”. En démontrant que le projet est rentable, la défense du budget ne devrait pas poser de problèmes, estime-t-elle.
Comment prouver cette “rentabilité”? “Dans une démarche d’innovation, c’est là quelque chose d’indispensable. Il faut donc définir des indicateurs permettant de vérifier que le projet choisi répond bien à un besoin réel.” Les indicateurs pourront, selon le cas, correspondre à des paramètres de gains (financiers, de temps), de qualité (soins, prise en charge…).
A cet égard, le H.U.B. espère gagner en expertise grâce à l’accompagnement de lifetech.brussels. “On n’est jamais assez compétent. Nous disposons certes d’une certaine expertise au sein de l’hôpital. Notamment par le biais de notre contrôleur de gestion, qui peut construire des business cases. Mais l’innovation est moins ancrée dans notre coeur de métier. Nous devons donc pouvoir compter sur les consultants de lifetech. La synergie sera utile.”
Ouvrir de nouveaux horizons
Tout comme le H.U.B. veut faire de ce projet CIMH, accompagné par lifetech.brussels, le début d’une réelle stratégie d’innovation e-santé, le cluster ne veut pas considérer ou donner l’impression que ce projet CIMH est un “one shot”, souligne Sophie Liénart. Au-delà du fait qu’il doit idéalement pousser d’autres hôpitaux à s’en inspirer pour constituer leur propre centre d’innovation médicale et pour mettre en oeuvre une démarche de projets qui tire parti des résultats et enseignements dégagés au H.U.B., “l’intention est de continuer à collaborer et de construire des ponts avec le monde des hôpitaux. En les aidant à minimiser les risques qu’implique l’innovation technologique, le but du cluster est de faire évoluer le paysage hospitalier bruxellois et de le connecter au monde des entrepreneurs. C’est le principe-même de la démarche régionale de décloisonnement des silos.
Dans la foulée de ce projet-pilote de CIMH, nous voulons battre le fer tant qu’il est chaud”, souligne Sophie Liénart. Et cela s’applique en tout premier lieu aux quatre hôpitaux qui ont candidaté sans être retenus.
“D’autres activités et événements vont être organisés à brève échéance. A commencer par des “cafés de l’innovation”, petits événements-rencontre de quelques heures qui permettront un échange entre hôpitaux et entrepreneurs membres du cluster. Chaque hôpital aura ainsi l’occasion d’organiser un “café de l’innovation” autour de thèmes et projets qui lui tiennent plus particulièrement à coeur ou qui figurent en haut de ses priorités technologiques.
Le premier “café” organisé se déroulera le 27 juin à la Clinique de l’Europe, autour de deux thèmes-pivot: l’oncologie et le trajet patient.
Autre activité que le cluster Lifetech.brussels veut installer dans le paysage: une après-midi de speed dating entre entrepreneurs et hôpitaux. Cette fois, avec les entrepreneurs comme initiateurs et demandeurs de contact. “Les porteurs de projets s’inscrivent et indiquent quels hôpitaux ils désirent rencontrer. En une après-midi, un hôpital a ainsi la possibilité de découvrir de 8 à 10 projets s’il le désire.”
Ce genre de rencontre rapide permet parfois de faire naître un véritable binôme pour un projet-pilote ou un développement. Ce fut le cas pour la start-up Lemma Factory, auteur d’une solution numérique de thérapie et communication assistée du langage, dédiée aux troubles du langage dont souffrent par exemple les victimes d’AVC. La solution basée sur l’intelligence artificielle et des techniques linguistiques sert d’“assistant au ré-apprentissage et à la compensation du langage”. Une solution qui a suscité de l’intérêt du côté de l’hôpital Brugmann.
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