Le projet de camions poubelles “sentinelles”, imaginé par le BEP dans le cadre d’un appel à projet “territoire connecté” de la Région wallonne, est en passe d’atterrir. Ou, plus exactement, de se concrétiser.
Petit rappel de l’objet du projet: équiper les camions poubelle de la province Namur (une compétence relevant du Bureau Economique de la Province) d’un dispositif constitué d’un ensemble de capteurs, capables de collecter des données en tous genres le long de leurs trajets quotidiens. A commencer par une mission d’objectivation de la couverture du territoire en 2G, 3G, 4G. Histoire de débusquer et cartographier plus finement et plus précisément les ‘encore trop nombreuses) zones blanches et grises qui parsèment encore le territoire wallon.
Voilà qui transforme ces camions poubelles en collecteurs de données ambulants. Jusqu’ici, pour élaborer ses cartes de couverture réseau, le régulateur fédéral IBPT n’avait que deux sources: les données fournies par les opérateurs et les données de vérification qu’il collationne lui-même en recourant à des véhicules, voire à des dispositifs de test installés dans les trains. Séduit par l’idée portée par le BEP, l’IBPT peut donc désormais compter sur de nouveaux auxiliaires pour ses “drive tests”…
Les données collectées lors des tournées de collecte d’immondices (en province de Namur pour commencer) seront croisées et viendront compléter les données déjà en possession de l’IBPT. On verra plus loin dans l’article que les données pourront potentiellement servir à d’autres fins.
Le budget
Un budget total de 500.000 euros a été alloué à la concrétisation du projet (analyse ds concepts et finalités, conception du boîtier et de ses éléments constitutifs, système de transmission, intégration, développement de la plate-forme cloud centralisant les données…). En tout cas pour ce qui est de sa phase actuelle, c’est-à-dire pour le scénario “objectivation de la couverture haut débit”.
Répartition de ce budget: la moitié a été prise en charge par la Région, dans le cadre de son appel à projets Territoire intelligent. L’autre moitié a été ventilée entre le BEP, Idelux et l’IBPT.
Les futurs scénarios d’utilisation (contrôle de qualité d’air ou autres) impliqueront de nouveaux développements (tant matériels que logiciels), certes moindres, souligne Thelis, puisqu’il s’agira uniquement d’additions au dispositif existant. Ces développements devront donc être financés. “Soit via d’autres appels à projets” [la Région en lancera d’autres en 2023, que ce soit sous l’étiquette Smart City/Smart Territoire ou dans une démarche Très Haut Débit pour zones défavorisées], “soit moyennant identification d’autres modèles de financement”, indique François Laureys, gestionnaire de projets smart city au BEP.
Au-delà de l’objectivation de la réelle couverture en connectivité du territoire, d’autres applications sont également envisageables pour ces camions “sentinelles”. Dès le départ, les porteurs du projet (BEP, UNamur, Digital Wallonia, communes de Vresse-en-Semois, Profondeville et Viroincal) ont en effet émis l’idée d’ajouter d’autres types de capteurs au dispositif. Potentiellement des capteurs de mesure de la qualité de l’air, d’émissions électromagnétiques, de télé-relevé de compteurs, de relevé de l’état des chaussées, ou encore (via un dispositif optique) de documentation des problèmes de signalisation routière… Autant d’hypothèses et de scénarios qui doivent encore être validés et/ou concrétisés.
Déploiement général en mai
La gestation peut paraître longue – l’idée du projet remonte à 2019 (relire l’article que nous lui consacrions à l’époque) – mais il a fallu en passer par un marché public et affiner les méthodes et modalités de collecte et de traitement des données. Sans parler évidemment de la conception et de la mise au point du dispositif embarqué, conçu par Thelis.
Cette dernière a notamment dû résoudre des problèmes purement mécaniques (telles que les vibrations provoquées par le véhicule en mouvement et les cahots de la toute…). Au fil du temps, l’endroit devant accueillir le boîtier de collecte a également évolué. Au final, le choix a été fait de le fixer sur le toit de la cabine plutôt que de l’installer à l’intérieur, et ce, pour des raisons de place. Même si une installation interne aurait éviter de devoir affronter des problèmes supplémentaires de température et d’humidité…
Autre écueil qu’il a fallu résoudre: l’adaptation, ces derniers temps, de la carte électronique, qui sert de “cerveau” au dispositif, en raison de changement de type de capteurs (pénuries actuelles oblige).
Deux premiers camions poubelles, opérant sur le territoire de la ville de Namur, ont jusqu’ici été équipés. D’ici fin mai, les 38 autres qui relèvent de la zone géographique couverte par le BEP, complèteront l’effectif, profitant de leur passage à l’entretien pour hériter du dispositif de collecte.
En mai, un camion poubelle relevant d’Idelux, l’intercommunale de la province de Luxembourg, en sera à son tour équipé. Objectif: réaliser des tests pour valider la reproductibilité de la solution hors province de Namur. Ce qui, en principe, ne devrait être qu’une formalité… Un déploiement en province de Luxembourg, lui, devra être financé…
>> Première mission: couverture haut débit
Pour l’heure, le boîtier conçu et intégré par la société namuroise Thelis n’accueille encore que des capteurs et antennes destinés à cartographier la couverture (très) haut débit (fixe et mobile). Pour ce faire, un accord de partenariat (on l’a vu) a été signé avec l’IBPT qui, après validation des données collectées et transmises, les injectera dans ses propres cartes.
Comme indiqué, la totalité des 40 camions seront équipés d’ici fin mai. Les premiers résultats, en termes de génération de cartes de couverture télécoms du territoire namurois, sont, eux, attendus pour l’été.
>> Deuxième scénario en vue
Après les relevés 2-3-4G, le dispositif pourrait être doté de capteurs permettant de contrôler la qualité de l’air.
Une panoplie potentielle d’applications de collecte de données. Reste à trouver des partenaires intéressés, un modèle de financement et un scénario d’utilité concrète…
La faisabilité de l’exercice sera en tout cas analysée et testée, dans les prochaines semaines, en collaboration avec l’ISSeP, institut scientifique de service public dédié notamment à la surveillance de l’environnement et à la prévention des risques et nuisances.
Pour que ce scénario puisse se concrétiser, il faudra procéder à différents tests et surmonter l’une ou l’autre difficulté technique. Telle que le “masquage” de la pollution qu’occasionnent les camions poubelles eux-mêmes en roulant (nous n’en sommes pas encore au stade des camions poubelles électriques, vierges de toute émission !).
>> Et plus si affinité. On l’a vu, dès le départ, une série d’applications potentielles (données météorologiques, état des routes, qualité de l’air…) ont été envisagées. Rien encore n’est matérialisé hHormis, ces tests avec l’ISSeP devant démarrer “incessamment sous peu”. Aucun scénario ou contact réel n’a encore été formalisé avec d’autres partenaires potentiels. “Ils attendaient que le projet initial ait pris une tournure concrète”, indique Vincent Thomas, directeur informatique chez Idelux.
“Intelligence” embarquée
Le boîtier conçu par Thelis inclut un compartiment “générique”, qui accueille carte électronique, espace de stockage, connecteurs et élément de transmission des données collectées, et un espace dédié à la mesure de couverture réseau (via les antennes relayant vers les réseaux des opérateurs actuels).
Le boîtier est alimenté par le camion et n’est donc pas soumis à des problèmes d’autonomie ou de recharge. Par contre, la couverture télécom, dans certaines zones – ironie de la situation -, risque de poser des problèmes d’envoi. Raison pour laquelle un potentiel de stockage a été prévu, la transmission se faisant dès que le débit réseau le permet.
Un boîtier qui a du coffre… Suffisamment de place pour accueillir les antennes pour se connecter aux différents réseaux des opérateurs télécoms. Et assez de place pour d’autres types de capteurs…
Mais ce n’est pas là la seule raison pour laquelle un espace de stockage et même de traitement de données en local a été prévu.
“Selon la nature des “campagnes” [c’est-à-dire des finalités de collecte des données], la durée de stockage dans le boîtier avant transmission et la fréquence des transferts de données pourront varier sensiblement”, explique Frédéric Péters, directeur de Thelis. “Dans le cas du projet Couverture réseau, nous avons acheté un abonnement suffisant [en volume de données] auprès de chaque opérateur afin de pouvoir procéder à tout un éventail de tests et de vérifications: niveau du signal, qualité d’expérience d’un utilisateur pour le téléchargement d’une vidéo, qualité de communication téléphonique…
Selon la configuration qui sera faite, on pourra faire varier la fréquence de relais d’informations. Mais, de toute façon, le dispositif a été conçu de telle sorte à pouvoir stocker en local [à même le dispositif] jusqu’à un mois de relevés.”
Non seulement, l’espace de stockage a été imaginé en conséquence mais la puissance de traitement que peut procurer l’électronique embarquée a elle aussi été pensée de telle sorte à autoriser du pré-traitement de données, avec analyse de pertinence et filtrage de données, “éventuellement via recours à l’IA et à des algorithmes embarqués”, déclare encore Frédéric Péters.
La nécessité de relayer ou non en (quasi) temps réel les données vers la plate-forme centrale variera donc à la fois selon la nature du débit disponible et la finalité des relevés. Vincent Thomas, directeur informatique chez Idelux, cite un autre exemple éloquent: “Dans le cas d’une campagne de relevé de l’état des routes, il n’y a pas d’urgence à transmettre les données. Un post-traitement dans le cloud est parfaitement suffisant.
Il en irait par exemple autrement en cas de relevé de fuites de gaz. Dans ce cas, des transmissions (quasi-)temps réel seraient évidemment indiquées…”
Juste un premier pas?
Pour reprendre l’expression de François Laureys, “l’espoir est que le projet d’objectivation de la connectivité 2G, 3G, 4G serve de socle pour le développement de projets innovants alimentés par les données territoriales”. Des projets qui pourront potentiellement être portés par le BEP, d’autres intercommunales, des communes, voire d’autres acteurs.
Toutes les données collectées par les camions “sentinelles” sont transférées vers une plate-forme cloud, conçue par Thelis, dont le propriétaire et gestionnaire est le BEP. De là, les données sont fournies à l’IBPT qui les valide et les utilise pour mettre à jour ses cartes.
Le BEP pourra en outre octroyer des accès spécifiques, personnalisés selon les différentes finalités, aux autres partenaires concernés. Dans le cas de la couverture réseau, il peut par exemple s’agir des communes ou d’autres intercommunales qui, à l’instar d’Idelux, voudraient adopter l’idée, voire développer de nouveaux services open data à destination de leurs clients ou de la population.
Dans le cas du futur (possible) projet de mesure de qualité de l’air, le premier partenaire concerné par l’accès et l’exploitation des données sera l’ISSeP. Avec, là aussi, un intérêt potentiel de la part des pouvoirs locaux, mais aussi d’autres acteurs. En ce compris des start-ups et porteurs de projets qui voudraient utiliser les données (en mode open data, et moyennant les indispensables processus d’anonymisation) pour imaginer de nouveaux produits ou services.
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