L’initiative “TRAIL Institute” (Trusted AI Labs), lancée collégialement voici quelques mois par les cinq universités francophones (UCLouvain, UMons, ULB, ULiège, UNamur) et quatre centres de recherche (Cetic, Multitel, Cenaero, Sirris), a reçu, à la mi-décembre, ce qui correspond à une ratification officielle de la part des autorités wallonnes, sous la forme d’un budget couvrant une période de six ans. Et ce, au travers de la convention “ARIAC by DigitalWallonia4ai” (ARIAC étant l’acronyme de “Applications et Recherche pour une Intelligence Artificielle de Confiance”). De quoi financer travaux de recherche à caractère différenciateur, activités de formation/mentoring et transferts pour la création de nouveaux acteurs.
L’atout confiance
Bref rappel de ce qu’est le TRAIL Institute…
Le TRAIL Institute est une alliance objective entre les acteurs précités qui est spécifiquement dédiée à la recherche de pointe en IA et, plus spécifiquement encore, à la dimension “confiance / lisibilité / interprétabilité / gouvernance / validation” des mécanismes algorithmiques automatiques et de leur mode de fonctionnement dans la pratique. Un domaine ô combien sensible et stratégique dans lequel la Wallonie (ou la Belgique francophone) espère donc se positionner et se distinguer clairement sur la scène internationale.
Outre les cinq universités francophones et les quatre centres de recherche agréés (opérant en Fédération Wallonie-Bruxelles), le “pacte d’entente” dévoilé début septembre et aujourd’hui adoubé officiellement par la Région a bénéficié et continuera de s’appuyer sur le support actif de l’Agence du Numérique, dans le cadre de la stratégie Digital Wallonia, et de AI4Belgium.
L’initiative vise à concevoir, valider et opérationnaliser des outils, logiciels et compétences informatiques orientés intelligence artificielle “de confiance”, de favoriser l’émergence d’un réservoir de talents de haut niveau, de projets venant d’acteurs socio-économiques, de spin-offs et start-ups et de solutions nouvelles.
Quatre secteurs d’application sont plus particulièrement visés. A savoir, la médecine (prédictive, notamment), les médias, la mobilité, l’industrie manufacturière. Mais également les secteurs de l’énergie, de l’éducation et – selon une couche plus transversale – la gouvernance de l’IA.
En termes de structuration de son action et de mécanismes à mettre en oeuvre, le TRAIL s’organisera selon trois axes:
– le TRAIL “Institute, un organe virtuel, opérant en mode réseau et collaboration, pour la formation d’experts en IA – il s’agira, en l’occurrence, de poursuivre, d’affiner et de spécialiser la formation de jeunes diplômés en IA qui seront parrainés et encadrés par les chercheurs “senior” existants, qui opèrent dans le cadre des laboratoires francophones (universités et centres de recherche)
– une TRAIL “Factory, plate-forme de mutualisation d’outils permettant d’implémenter des solutions basées sur une intelligence artificielle de confiance – “il s’agit d’une marketplace, à la manière d’un app store, mais qui comportera bien plus que des briques logicielles IA”, explique Benoît Macq, professeur en traitement de l’image à la Polytech (Institute of Information and Communication Technologies, Electronics and Applied Mathematics) de l’UCLouvain, spécialiste de l’IA et co-fondateur du TRAIL.
“Le but est que chercheurs et entreprises puissent venir y télécharger des briques logicielles (algorithmes…) mais aussi des compétences – pour adapter les briques -, des jeux de données (associés spécifiquement aux algorithmes), des méthodologies, des résultats de recherche tels que des concepts technologiques nouveaux.”
Une gradation dans les droits d’accès et d’implication sera développée. Certaines “briques” par exemple seront plus visibles que d’autres. Les services prestés et avantages exploitables varieront selon l’identité du destinataire – selon qu’il soit par exemple un partenaire impliqué dans le TRAIL ou une entreprise wallonne ou encore un acteur hors-territoire. “La TRAIL Factory a également pour finalité de procurer une plus grande visibilité des compétences et du savoir-faire wallon à l’international, de devenir un instrument pour rayonner à l’international.”
– un pilier TRAIL4Ventures, dont l’objectif est de “susciter davantage de vocations d’entreprises positionnées en IA, de multiplier les structures et spin-offs, en captant les besoins et les idées venant des entreprises existantes et d’entrepreneurs et en facilitant le développement de nouveaux produits et services sur base des outils et connaissances développés au sein de TrAIL.” TRAIL4Ventures est destiné à fonctionner comme un “écosystème d’innovation”, avec différentes activités telles que hackathons, sandboxes impliquant des partenaires-clé, rencontres dans le cadre d’incubateurs… “Les actions menées permettront de s’assurer de l’impact des briques technologiques développées et des interactions entre recherche et monde socio-économique, notamment pour assurer une remontée des besoins.”
Budget et plan d’action sur six ans
La Région wallonne a donc accordé, à la mi-décembre, un budget de près de 32,4 millions d’euros au TRAIL en vue de couvrir les activités (recherche, développement, collaboration industrielle…) du projet ARIAC pendant six ans (2021-2026).
Ce budget servira essentiellement à couvrir les frais de “personnel”. Un “personnel” haut de gamme puisque l’on parle ici de chercheurs spécialisés en Intelligence Artificielle qui seront recrutés par l’Institut TRAIL dans le cadre du projet afin de plancher sur les différents domaines de travail et sur une série de défis qui ont été définis et qui vont baliser le travail pendant (au minimum) les six prochaines années.
Deux-tiers du budget sera donc consacré aux salaires de ces chercheurs chargés d’effectuer une recherche de pointe en matière d’IA. Nombre visé: une cinquantaine d’équivalents temps plein.
“Il s’agira essentiellement de jeunes chercheurs et thésards recrutés une fois diplômés, qui seront formés dans les labos universitaires participants et qui, à terme, nourriront le projet et les réalisations et initiatives au service des acteurs socio-économiques (industriels ou autres) de la région, voire qui pourront épauler, ou même constituer, de jeunes pousses ancrées sur le terreau IA”, explique Benoît Macq.
Le dernier tiers budgétaire financera les activités des centres de recherche pour l’“animation” de laTRAIL Factory, la “plate-forme commune de développement” qui sera mise sur pied afin d’interagir avec les acteurs socio-économiques et d’accélérer les transferts de compétences, de connaissances et de résultats de recherche vers le monde industriel et économique. Et ce, en collaboration avec les sociétés du secteur IT/numérique francophone actives dans le monde de l’IA et celles qui se transforment par l’usage de celle-ci.
Quatre thèmes et quatre “défis”
Dans le cadre du TRAIL et de la convention ARIAC, les chercheurs plancheront sur quatre grands thèmes “fil-rouge”:
– l’interaction homme-IA – “avec minimisation des demandes de l’IA en annotations humaines et explicabilité des décisions prises par l’IA” – Il s’agira notamment “de mettre à disposition des explications intelligibles par un expert du domaine d’application, au sujet des décisions et prédictions suggérées par un algorithme boîte noire” dans des domaines divers et variés – médecine, justice…
– les mécanismes d’IA de confiance – en faisant intervenir des concepts et des compétences en cryptologie, protection des données personnelles, apprentissage distribué… – le but étant de mettre en place les conditions d’une confiance dans des modèles qui offrent des garanties
– l’interaction ou intégration entre IA et modèles mathématiques – “actuellement, l’IA fonctionne essentiellement comme une boîte noire. En réalité, on lui dédie souvent plus de puissance de calcul que nécessaire”, explique Benoît Macq. “Lorsque, par exemple, des régressions linéaires suffisent, il n’est pas nécessaire de recourir à l’Intelligence Artificielle. Mais, pour en arriver là, il faut une bonne connaissance des modèles mathématiques…” Une meilleure connaissance et exploitation de potentiels moins “gourmands” que l’IA, tels que les modèles, les contraintes, voire les “intuitions” des experts, devra déboucher sur des solutions plus “frugales” mais aussi “plus robustes, moins erratiques, dans des situations qui sont par ailleurs plus difficiles à caractériser”
– l’optimisation de l’implémentation de l’IA dans différents domaines – en ce compris sous l’angle de la minimisation des jeux de données nécessaires pour entraîner une IA ou encore pour un usage plus efficace des ressources de calcul (permettant un déploiement de l’IA sur des systèmes disposant de ressources limitées – IoT comprise).
La cinquantaine de chercheurs junior et leurs mentors et, potentiellement, la totalité de la communauté des chercheurs francophones (des 5 universités et des 4 centres de recherche impliqués) plancheront donc sur ces quatre thèmes ainsi que sur une série de projets, dans chacun des domaines de travail sélectionnés, projets qui sont qualifiés de “défis”.
A savoir, des problématiques concrètes répondant à des besoins de terrain bien réel. Quatre thématiques de “défis” ont déjà été décidées. Elles ont trait aux domaines de la médecine, de la maintenance prédictive (dans l’industrie), de l’énergie des bâtiments ainsi qu’au registre de l’interaction IA-être humain, dans une finalité davantage “soft” puisqu’il s’agira notamment de se pencher sur l’optimisation des flux, des charges de travail et des schémas d’implémentation pour éviter l’épuisement des ressources.
Ces “défis” ont été sélectionnés et sont en cours de scénarisation et de définition par une équipe trans-labo de chercheurs. Mais le balisage de ces défis “sera un processus itératif”, précise Benoît Macq. “Comités de chercheurs et personnes venues de grandes entreprises et de PME – que ces dernières prestent des services en IA ou l’utilisent pour se transformer – travailleront en étroite collaboration.
A ce stade, les défis ont été préparés par des chercheurs des différents partenaires du TRAIL qui, tous, ont déjà collaboré avec des spin-offs et des entreprises et ont donc une expérience de terrain à leur actif. Le but est d’enrichir, de raffiner, de solidifier ces défis avec les entreprises, avec les membres du Réseau IA, avec les Pôles de Compétitivité…”
L’agenda et la méthode de travail
Les activités et actions du TRAIL Institute démarrent dès le début 2021. Mais, dans les tout premiers mois, il s’agira essentiellement de définir plus avant les modalités et le cadre des actions.
“D’ici l’été, les premiers chercheurs [des détenteurs de thèses orientées IA] seront engagés. Jusqu’à cette date, nous travaillerons essentiellement sur la mise en oeuvre de la plate-forme TRAIL Factory et sur les défis afin d’obtenir un cadre de travail précis”, souligne Benoît Macq.
“L’un des objectifs que nous nous fixons est d’avoir mis à disposition, dans la Factory, un minimum de 20 briques d’ici mars 2021, des briques logicielles significatives existantes, développées dans nos labos universitaires, ainsi que des compétences. Elles serviront en quelque sorte de teaser afin que l’on puisse déterminer la manière d’interagir avec les entreprises.”
Benoît Macq (UCLouvain, TRAIL Institute): “Il y a une excellente dynamique entre les universités et les centres de recherche impliqués. Le but est de maintenir cette dynamique, de travailler en inter-universitaire. On se plaint souvent ou on regrette, en Wallonie, de ne pas avoir l’équivalent d’un IMEC. La dynamique TRAIL Institute pourrait permettre, à terme, de faire émerger un véritable institut.”
Pour leurs travaux et activités, les chercheurs opèreront en équipes trans-labo, chaque université assumant le pilotage d’un domaine de travail (ou “work package”):
– l’ULB est responsable du work package Interaction humain-IA
– l’UNamur pilotera les travaux dans le domaine des mécanismes de confiance
– l’ULiège se chargera d’organiser les interactions sur le thème de l’intégration modèles-IA
– l’UMons planchera plus spécifiquement sur les implémentations optimisées de l’IA
– Multitel est nommé coordinateur de la mise en oeuvre de la plate-forme TRAIL Factory et des grands défis
– enfin l’UCLouvain assurera la coordination globale du projet.
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