Alors que, progressivement, le pays tente de se remettre en ordre de marche, bien des questions se posent au sujet de ce que sera “le monde d’après” et des leçons que l’on aura tirées ou non de la crise. Dans quelle mesure certaines nouvelles habitudes ou solutions choisies dans l’urgence laisseront-elles des marques, se pérenniseront-elles (peu ou prou)? Le temps est sans doute venu, dans tous les secteurs et dans de multiples domaines et registres (opérationnels, logistiques, “comportementaux”…) de s’interroger sérieusement et de (re)penser le passé et l’avenir.
Du côté de l’Union Wallonne des Entreprises, plusieurs sujets viennent à l’esprit d’Olivier de Wasseige, directeur général de l’UWE. Des sujets parmi bien d’autres mais qu’il nous livre dans une sorte de mise en bouche de l’immense chantier qui nous attend – ou qui devrait être sur toutes les tables et espaces de réflexion.
Télétravail: la “révélation”?
La crise sanitaire et le confinement qu’elle a provoqué ont eu pour effet de faire surgir de nouveaux comportements (professionnels, notamment et de nouvelles solutions. Soudain, pour cause d’éloignement, le virtuel et le numérique eurent droit leur heur de gloire.
Premier effet, sans doute le plus visible: le télétravail, la téléformation.
Quelques pistes évoquées par Olivier de Wasseige
– utiliser les futurs DIH (Digital Innovation Hubs) comme vecteurs d’accélération de (l’aide à) la transformation numériques des PME
– repenser et consolider l’encadrement des PME et indépendants
– sensibiliser et prévoir de nouveaux services et structures d’assistance pour faire face aux nouveaux modes de travail et aux risques, encore mal compris, qu’ils engendrent
– communiquer à grande échelle (au niveau des pouvoirs publics) pour rassurer la population en matière de 5G
Pour Olivier de Wasseige, directeur général de l’UWE, “la crise a révélé la capacité du télétravail et a prouvé qu’il permettait de faire pas mal de choses. Elle a surtout mis en lumière un ensemble de technologies – vidéoconférences, mini-chat… – qui supportent le télétravail. Après la crise, il sera probablement utilisé de manière plus assidue que par le passé. ”
En ce compris d’ailleurs à l’Union Wallonne des Entreprises… “Avant la crise, depuis peu [en fait depuis le déménagement de début d’année vers le nouveau site de Louvain-la-Neuve], le principe d’un jour de télétravail par semaine avait été autorisé. Nous allons désormais augmenter le télétravail, organiser moins de réunions physiques ou autoriser des réunions mixtes, avec certaines personnes y participant en visioconférence…”
Mais Olivier de Wasseige le reconnaît, même si la volonté devait être au rendez-vous, des aménagements seront nécessaires dans le chef des entreprises. A un double niveau: organisationnel et encadrement. “Cela exigera une gestion plus intense [lisez: notamment une bonne coordination et organisation des échanges et réunions], la définition d’un ensemble de nouvelles règles d’utilisation, un possible réaménagement des plages horaires…”
Par effet de bord, un télétravail renforcé devrait à ses yeux accentuer l’adoption de la signature électronique et favoriser le recours aux formations à distance, en mode synchrone ou asynchrone.
“Il y a aussi un élément qu’on néglige encore actuellement, à savoir celui de la cybersécurité.”
Les risques liés au télétravail sont encore un domaine largement inexploré – ou insoupçonné chez nombre d’entreprises. Et cela concerne aussi bien la sécurisation des connexions, des échanges de données, le cadenassage des droits d’accès à distance à des outils de vidéoconférence, aux serveurs, aux espaces partagés (sur site ou dans le cloud), qu’une série de procédures qu’il faudra adapter, renforcer et/ou systématiser. Exemple: la sauvegarde systématique des documents, contenus échangés, etc. “Il y a là tout un chapitre encore à ouvrir.”
Quand le télétravail séduit… L’étude d’eBloom
Pendant la phase de confinement, on a vu fleurir les sondages et autres études sur le télétravail. Parmi ce florilège, une étude de la jeune pousse bruxelloise eBloom, spécialisée dans les solutions de rétention et d’engagement des talents au sein des entreprises. Son étude, effectuée fin avril, s’est penchée sur la manière dont a été vécue la période de télétravail forcé. Quelque 1.021 travailleurs belges, âgés de 18 à 65 ans, ont été interrogés sur l’effet que cela a eu sur leur performance, la gestion de leur travail, leur sentiment d’appartenance à l’entreprise et leur ressenti ou style de vie.Citons ici quelques résultats et constats de l’étude:
– pas moins de 94% des personnes interrogées, qui, pour la première fois, ont opéré en télétravail, se déclarent “prêtes à l’intégrer à l’avenir dans leur vie professionnelle” ; il s’en trouve même 10% pour vouloir le faire à temps plein
– seuls 13% des télétravaulleurs se sentent “plus impliqués dans leur travail” quand ils opèrent de chez eux
– la loyauté à l’entreprise ne semble pas trop en souffrir ; en tout cas 62% estiment que télétravailler n’a aucune influence à cet égard*
Côté cloud, les entreprises – comme les personnes actives ayant un profil plus indépendant, sans parler des établissements d’enseignement et de formation – ont choisi, souvent dans l’urgence, sans forcément d’analyse poussée et réfléchie, des outils et plates-formes qui leur permettent de continuer à opérer le mieux possible pendant la période de confinement.
Certains choix furent loin d’être optimaux – que ce soit en termes de facilité d’utilisation, de fonctionnalités adaptées, de sécurité d’accès et d’utilisation, voire d’intégration avec les infrastructures préexistantes. Les choix faits ou ceux encore à faire devront donc faire l’objet d’une (ré-)analyse plus rigoureuse…
Une image de l’e-commerce à redresser?
La période de confinement se révélera-t-elle être un déclencheur, l’occasion d’une prise de conscience de la nécessité d’évaluer de manière plus volontariste vers une dématérialisation des activités commerciales?
Olivier de Wasseige: “Nombre de commerces se sont mordus les doigts de ne pas avoir mise en place plus vite des procédures de vente en-ligne. Ils s’en sont trouvés pénalisés pendant la période de crise.”
A ses yeux, il est sûr et certain que l’e-commerce va connaître un essor “et cela n’a en outre rien d’antinomique avec la volonté de donner une nouvelle dimension aux circuits courts et à l’économie locale.” Il parie donc sur une augmentation de l’e-commerce local, “ce qui sera en outre compatible avec la volonté de limiter les déplacements” – que ce soit pour des raisons environnementales ou sanitaires. “Cette évolution est importante dans la mesure où l’e-commerce ne sera plus forcément perçu comme une menace exploitée par des commerçants du bout du monde.”
Toutefois, bien des obstacles demeurent. A commencer par des réticences qui ne manqueront pas de subsister et par un manque de compétences et de moyens – surtout dans le contexte de la quête de survie qui ne manquera pas de caractériser l’après-confinement.
Olivier de Wasseige (UWE): “Il faudra redoubler les efforts de sensibilisation. Il y a eu, par le passé, une nette sous-estimation de la valeur ajoutée du numérique comme élément de résilience des entreprises. Que ce soit lors de la période de crise actuelle ou, demain, lorsqu’il s’agira de relancer la croissance.”
Comment remédier à ces besoins et lacunes? Olivier de Wasseige évoque deux éléments.
D’une part, un nécessaire effort qui devra être livré par différents acteurs – qu’il s’agisse du gouvernement, d’un acteur tel que l’UWE ou encore l’AdN. Notamment pour sensibiliser et mieux prouver l’utilité de solutions IT et numériques dans l’apport de valeur et de résilience aux entreprises.
D’autre part, il faudra libérer des moyens pour former, accompagner, encadrer. Les efforts d’hier, les différents programmes de sensibilisation (ou de familiarisation) qui se sont succédés en matière de “commerce connecté” ou d’e-commerce n’ont pas encore eu autant d’effet qu’on aurait pu en espérer. Ou pas de manière suffisamment généralisée.
Pour Olivier de Wasseige, il y a là, potentiellement, un rôle à jouer par les futurs “Digital Innovation Hubs” (DIH), ces structures que préconise la Commission européenne depuis un peu plus d’un an et qui sont sensées apporter “aide et soutien aux entreprises, en particulier aux PME, dans l’amélioration de leurs processus d’entreprise et de production et de leurs produits et services grâce aux technologies numériques”. Voir encadré ci-dessous.
Des Digital Innovation Hubs pour quoi faire?
Les Digital Innovation Hubs (DIH) sont définis comme suit: “organisations ou groupes coordonnés d’organisations, dont les compétences sont complémentaires, qui ont pour mission de faciliter et accompagner la transformation numérique des entreprises, et en particulier celle des PME, et ce, dans un esprit non lucratif. Les DIH sont appelés à remplir un ensemble de misions. A savoir:
– “identification et recherche active d’entreprises qui pourraient bénéficier d’une numérisation de leurs procédés, produits ou business models, et de la promotion de cas de numérisation réussie
– compréhension des besoins de ces entreprises par un travail en commun afin de développer des solutions appropriées, et aide à la mise en relation avec des fournisseurs de technologies
– mise à disposition d’infrastructures pour permettre aux offreurs et utilisateurs de technologies de tester l’opportunité de certaines approches et, si nécessaire, adapter la technologie proposée aux besoins spécifiques de l’entreprise
– offre de programmes de mentorat et d’expertises spécifiques en matière de start-up/scale-up, business, accès au financement, aide à l’incubation, internationalisation, marketing, accès au marché, analyse des tendances, analyse de la chaîne de valeur
– apport de compétences numériques avec formation de la main-d’œuvre aux nouveaux produits, procédés et business models liés à la numérisation.”
Source: AdN.
En Wallonie, la phase préparatoire était encore en cours avant que la crise ne se déclare. Plus d’informations au sujet de l’appel à projets via ce lien.
Selon Olivier de Wasseige, il y a donc là, potentiellement, une “opportunité” à saisir. “Ils sont appelés à accompagner la transformation numériques des PME. La chose se justifie plus que jamais. Les DIH pourraient être un outil d’accélération.
Des acteurs tels l’AdN ont traditionnellement surtout un rôle de sensibilisation. Pour l’après-crise, il est important de passer d’une sensibilisation à l’exécution – que ce soit en termes de diagnostic, de réalisation ou de recommandation de prestataires. L’UWE ne manquera pas de demander au gouvernement de miser sur les DIH pour accompagner la transition et la relance d’après-crise.”
Un effort d’encadrement et de promotion demeure nécessaire. Et pas uniquement pour le côté vertueux de la médaille (les avantages de la transformation numérique) mais aussi pour le côté plus obscur de la force. Gare par exemple, souligne Olivier de Wasseige, aux dangers et arnaques qui pourraient se cacher derrière les offres e-commerce. “Entreprises et, en particulier, les PME sont encore mal informées au sujet des risques de l’e-commerce.”
Il cite en exemple – cas très spécifique mais éloquent – le processus d’achat d’équipements de protection pour la reprise du travail. “Si l’UWE a décidé de procéder à un achat groupé de masques, c’est parce que la majorité des sociétés qui constituent le tissu économique local ne disposent pas, contrairement aux grandes entreprises, d’acheteurs en interne qui peuvent opérer sans se faire potentiellement arnaquer en achetant sur de faux sites” [et/ou – Ndlr – sur des sites bourrés de cyber-pièges].
Face à cette méconnaissance des risques ou des bonnes pratiques e-commerce, le patron de l’UWE estime qu’il est important que certains acteurs prennent en mains ce rôle de sensibilisation. Il en appelle aussi, au niveau du gouvernement, à ce que des “organes de contrôle soient mis en place”.
Revoir l’encadrement?
Comment faire en sorte qu’à la sortie du confinement, les acteurs locaux (PME, petits commerçants…), engagés dans une course à la relance et/ou à la survie, trouvent le temps, l’énergie, les ressources pour penser – aussi – à leur transformation numérique?
Une réflexion est-elle en cours à ce sujet, du côté de l’AdN et/ou du cabinet du ministre de l’Economie et du Numérique, Willy Borsus? Y aura-t-il réorientation, réaménagement des outils existants (chèques entreprise, accompagnement par des consultants – dans un contexte où leur certification continue de faire débat…)? “Il y a en effet tout un travail à effectuer. En ce compris”, ajoute Olivier de Wasseige, “du côté de l’écosystème d’accompagnement, qui n’est pas encore suffisant, pas assez spécialisé, rationalisé, avec encore trop de sous-régionalismes…” Là aussi, le patron de l’UWE affirme que l’Union ne manquera pas de remonter au créneau pour insister à nouveau, auprès du gouvernement, sur l’importance qu’elle y voit.
Il affirme également que l’UWE ne manquera pas de réinsister sur la nécessité de remettre de l’ordre du côté des mesures d’accompagnement des PME ou indépendants. “Il y a du travail à faire du côté des chèques entreprise, des chèques technologiques, de la labellisation des consultants et des prestataires…”
Accompagnement et encadrement encore, mais cette fois du côté de l’enseignement et la “transition” numérique que ce secteur, lui aussi, tente de négocier. “La crise actuelle offre une opportunité de réfléchir au type d’enseignement que l’on veut. En Fédération Wallonie-Bruxelles, le principe poursuivi est surtout celui de l’égalité de tous les apprenants tandis que la Flandre se place davantage dans l’optique d’une amélioration pédagogique. Il y a sans doute un meilleur mix à réaliser entre remédiation et dépassement…
Suite à la crise [Ndlr: en ce compris avec le recours accru à l’e-learning], il s’agit de réfléchir comment résoudre la fracture numérique, d’informer sur les outils et possibilités qui existent pour les enseignants, notamment dans le primaire et le secondaire.
Il n’y a pas assez de sensibilisation aux outils possibles, à l’amélioration des contenus de formation… Il faut se poser les bonnes questions, en termes de pédagogie, d’équipements nécessaires et ce, à tous les niveaux – depuis le fondamental jusqu’à l’université”.
En termes d’équipements et de ressources disponibles pour former les enseignants, “même si la Fédération ne dispose pas de beaucoup de moyens, il n’en reste pas moins possible de basculer vers le numérique. Entre autres, en choisissant des solutions open source, en organisant les classes autrement. La remédiation à distance, par exemple, permet dans une certaine mesure de réaliser des économies en termes de locaux…”
Autrement dit, des avancées et choix restent possibles, à condition de faire preuve d’ingéniosité…
Et l’infrastructure en arrière-plan…
Pour qu’il y ait transition numérique, l’infrastructure doit évidemment être au rendez-vous. Olivier de Wasseige ne pouvait passer en revue sa petite liste de sujets à tenir à l’oeil sans évoquer le sujet de la 5G. Et, plus spécifiquement, le raffut de la suspension du déploiement de la 5G de Proximus par plusieurs (grosses) communes wallonnes.
Le soudain vent-debout qui s’est levé – et pas qu’en Wallonie – a plusieurs origines et motivations. De la raison loufoque et conspirationniste jusqu’à l’inquiétude plus mesurée et documentée en matière d’impact environnemental voire économique.
Olivier de Wasseige: “Il faut une communication à grande échelle de la part des pouvoirs publics pour démontrer que les avantages de la 5G sont potentiellement nombreux, en termes de latence, de précision de la géolocalisation, de gain en performances des processus…”
Mais cette rébellion, venue de certains partis et de certaines communes, n’est guère appréciée par le patron de l’UWE: “Nous ne sommes pas satisfait de la manière dont les choses se passent en Wallonie, alors que d’autres pays et régions sont déjà bien avancés dans les déploiements. En Wallonie, cela devient inquiétant. D’une part, la Déclaration de Politique régionale plaide pour que la Wallonie deviennent un territoire connecté en haut débit. De l’autre, un groupe d’experts devra se livrer à une étude épistémologique. Soit mais il n’en reste pas moins que l’évolution, aujourd’hui, n’est pas favorable en Wallonie…”
Il dit par ailleurs s’étonner de la décision prise soudainement par les communes concernées de suspendre le déploiement de la 5G (Proximus). “Un déploiement qui respecte d’ailleurs le spectre technique 3G. Lorsqu’il avait été annoncé, on n’a pas vu de demande d’information émaner des communes qui l’acceptaient donc tacitement. Aujourd’hui, elles reculent. Pourquoi?”
L’UWE dit vouloir attendre la sortie de la crise mais recommande “une communication à grande échelle de la part des pouvoirs publics pour rassurer la population. A ceux qui disent que le 4G peut suffire, il s’agirait de démontrer que la 5G permet des choses intéressantes, le lancement de nouveaux services, que ce soit dans l’industrie, l’enseignement à distance, la santé, la mobilité… Les avantages sont potentiellement nombreux, en termes de latence, de précision de la géolocalisation, de gain en performances des processus…
Le risque, si on ne déploie pas la 5G, c’est que des entreprises délocalisent ou n’investissent pas ou plus en Wallonie. Cela deviendrait un désavantage supplémentaire pour la Région, en plus de critères tels que la différence salariale [par rapport à d’autres régions] ou que le climat social…”
Compte tenu des circonstances pandémiques actuelles, “le dossier de la 5G apparaît comme moins urgent mais n’en est pas pour autant perdu de vue par l’UWE…”
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