La crise que nous vivons appelle une réponse collective. Démarrant de ce principe et voyant émerger aux quatre coins de l’espace francophone projets et initiatives pour atténuer les effets du Covid 19, l’Organisation internationale de la francophonie vient de mettre en ligne un catalogue d’initiatives créatives et de personnes ressources qui luttent à leur façon au quotidien.

Créé il y a tout juste 50 ans, l’espace francophone compte aujourd’hui plus de 300 millions d’habitants répartis sur les 5 continents et 54 Etats-membres.

De fil en aiguille…

Le projet trouve ses origines en Belgique au tout début de la crise. “L’idée était initialement de rassembler des gens de la civic tech et du numérique sur un Slack pour générer de la conversation autour du Covid-19, échanger des idées et questionner la façon dont les médias doivent se réinventer dans pareil contexte”, se souvient Catherine Joie, journaliste indépendante, aujourd’hui active au sein de l’initiative Pilote.media. 

La discussion évolue vite vers la nécessité de créer un canal de données sanitaires, un outil open data manquant encore à l’époque pour la gestion de la crise. Nous sommes, en effet, à ce moment-là à la veille de la première conférence de presse Covid 19 de Sophie Wilmès. Le site www.cov19.be voit le jour, anticipant la mise en ligne des données sanitaires de la crise par l’organisme Sciensano début avril.

Générer un espace de conversation élargi à tout type d’innovations numériques solidaires développées en francophonie.

L’équipe n’en reste pas là et se tourne vers le Media Innovation & Intelligibility Lab (MiiL), un institut de recherche de l’UCLouvain qui étudie les usages et appropriations du numérique pour développer de nouvelles solutions. Se forme rapidement un consortium autour du MiiL composé du lab.davanac de Damien Van Achter et de Code H (h pour humain), initiative de la coach en innovation d’origine malgache Hasina Razafindratandra, aujourd’hui basée à Montréal.

Le réseau se déploie et s’enrichit, telle une toile thématique. Source: Social Media Lab

Objectif: réinventer le modèle initialement imaginé et générer un espace de conversation élargi à tout type d’innovations numériques solidaires développées en francophonie.

“La plate-forme réunit des personnes-ressource dans tous les domaines: journalistes, codeurs, spécialistes du tourisme, de la santé, de l’éducation, experts des zones rurales en Afrique, ingénieurs, acteurs de la culture… Ca pourrait tout aussi bien être aussi des innovateurs dans les sciences politiques”, commente le manager du MiiL, Sébastien Nahon.

Parce qu’elle est bien connue de la communauté des créatifs et start-ups, et qu’elle bascule en mode premium dès le début de la crise, l’application Slack est plébiscitée. Au fil des jours s’y développent différents canaux de discussion, de l’alimentation et de la restauration jusqu’au matériel et aux applications sanitaires, de la culture à l’économie et à l’entrepreneuriat, de la continuité pédagogique aux médias, du tourisme aux hackathons, ou encore le respect de la vie privée comme enjeu démocratique. Une manière de taguer les effets de la crise, une ontologie pour mieux la circonscrire.  

Sébastien Nahon (MiiL, UClouvain): “La plate-forme réunit des personnes-ressource dans tous les domaines: journalistes, codeurs, spécialistes du tourisme, de la santé, de l’éducation, experts des zones rurales en Afrique, ingénieurs, acteurs de la culture…”

Lors de son inscription, l’utilisateur est invité à signer une charte qui résume la philosophie du projet, en ce compris le caractère exclusivement non commercial de la plate-forme. Des tutoriels accompagnent la prise en mains de l’outil, peu aisé de prime abord, il est vrai, pour les non initiés. Et une émission hebdomadaire se déroule en live sur les réseaux sociaux (voir ici sur Facebook) pour présenter les projets et donner la parole aux contributeurs de la plate-forme. “Nos chercheurs analysent le comportement de la communauté (les discussions qui ont le plus de succès, les posts…) en temps réel”, précise Sébastien Nahon.

Une toile dynamique

18 canaux de conversations ont été créés à ce jour, où les membres d’un réseau francophone solidaire “en construction” échangent de la veille sous forme d’articles, de médias divers, des conseils, mais aussi des projets initiés pour lesquels il manque encore une expertise à leur développement. Une toile dynamique qui se tisse sous la nécessaire impulsion de hui animateurs-experts originaires du Sénégal, de Belgique, du Maroc, de France, du Cameroun, etc.

Henri Monceau (Organisation de la Francophonie): “C’est la dialectique autour des projets qui va permettre d’identifier ce qui est vraiment intéressant et solide pour le futur”.

Démarré sous forme de fil de conversation, “Solidarité Covid-19” évolue en deux temps vers un espace semi-privé (il faut s’inscrire via ce lien pour participer au slack) composé de canaux de conversation où se tissent les connexions et s’échangent les informations, et, en surface, un catalogue publié sur le site de la francophonie alimenté par le réservoir de projets identifiés sur le slack – au nombre de 140 à l’heure de sa mise en ligne.

“Solidarité Covid-19 se distingue des initiatives classiques basées sur la dynamique des appels à projets”, commente Henri Monceau, directeur de la division Economie et numérique de l’Organisation de la Francophonie, que l’on connaît notamment pour avoir conçu et impulsé le programme Creative Wallonia. “Sur le schéma “discutons et construisons autour des projets ensemble”, c’est la dialectique autour des projets qui va permettre d’identifier ce qui est vraiment intéressant et solide pour le futur”.

Selon Henri Monceau, qui pilote le projet, l’existence de ce type de plate-forme “met en lumière le côté positif du numérique qui stimule l’intelligence collective” par contraste avec l’image véhiculée lorsqu’on évoque méga données ou encore technologies de traçage. “Le volet de la médiation est important pour ré-humaniser le numérique.”

Petit tour d’horizon

Certains des projets indexés sur la plate-forme sont nés via le réseau. D’autres – pré-existants – y ont trouvé un écho et des expertises complémentaires à leur développement. Comme le déjà médiatisé “Breath 4 Life”, porté par une équipe d’ingénieurs de l’UCLouvain qui, au départ de l’Open hub (le hub créatif du Brabant wallon), ont développé un prototype de respirateur pour venir en soutien à l’infrastructure des hôpitaux belges.

Leur présence sur la plate-forme Solidarité Covid-19 leur permet d’échanger avec des porteurs de projets similaires, pour démultiplier leur expérience en francophonie. Par exemple avec l’équipe française du projet M.U.R. (“Minimal Universal Respirator”) ou encore avec le DoniFAB, fab lab de Bamako au Mali qui a développé un système de lavage de mains automatisé et qui travaille avec une équipe de spécialistes de la santé du Mali sur un respirateur artificiel.

L’application Ouicare, carnet de santé numérique embarqué…

Toujours dans le registre de la santé, ouicare est un carnet de santé numérique (téléchargeable sur Google Play) développé au Cameroun par une équipe multidisciplinaire en réponse au fort taux de mortalité en Afrique subsaharienne dû à une méconnaissance de l’historique de santé des patients. 

Les données de santé étaient justement le point de départ de l’initiative “Solidarité Covid-19”. C’est l’un des canaux de discussion qui tourne le plus ces derniers jours: on y trouve des visualisations de données tunisiennes, des tableaux de bord interactifs, des appels à bénévoles comme celui de l’ONG Techfugees pour collecter des données locales dans tous les pays. Ces données soulignent l’épineuse question de la protection de la vie privée, débattue sur un canal spécialement prévu à cet effet à l’heure du recours au “contact tracing” pour lutter contre la propagation du Covid-19.

Le canal de discussion “sensibilisation aux fake news” compte aussi parmi les plus actifs et a donné naissance à la création de “Journalistes solidaires”, une rédaction collaborative de fact checking réunissant journalistes, experts et citoyens pour parer aux “infox”, virus d’un autre genre, d’autant plus nocif en temps de crise sanitaire.

Exit les journaux télévisés et la presse papier: quand les historiens raconteront comment la communauté créative a entrepris la crise du coronavirus, ils évoqueront le recours à la conversation comme catalyseur d’action sociale et sociétale. Car s’il faut épingler une innovation parmi les autres dans “Solidarité Covid-19”. C’est bel et bien l’innovation d’ordre médiatique: “La fonction médiatique percole le dispositif à différents niveaux: la plate-forme est une source d’information pour les journalistes. Ils peuvent y prendre le pouls de la société. On y trouve aussi de l’info sur l’innovation médiatique à travers une crise comme le Covid, puisqu’on y discute réinvention des médias. Et pour les utilisateurs du slack, c’est un espace où l’on fait de la veille et où on fait passer de l’info. L’objectif premier restant de faire de l’intelligence collective pour éviter de réinventer la roue continuellement”, commente Catherine Joie.

Sur cette agora virtuelle, à l’image du confinement, le temps semble s’être distendu tant la fin du mois de mars paraît déjà loin. Les échanges y sont nombreux et dynamiques, ils traduisent l’espoir pour la société de demain: un numérique au service de l’humain, co-construit aux quatre coins de la francophonie.