La Déclaration de Politique Régionale (DPR) 2019-2024 consacre plusieurs de ses paragraphes à la stratégie wallonne en termes d’exploitation des données spatiales -“en poursuite” des engagements – ou promesses – antérieur(e)s, pris(e)s sous l’égide des ministres Marcourt et Jeholet.
L’espace figure en outre en bonne place parmi les thématiques prioritaires en matière de RDI (recherche, développement & innovation). Aux côtés de l’aéronautique ou encore de la cybersécurité (qui est un peu bizarrement cataloguée “sécurité civile”), le spatial – et donc les applications et services basés sur les technologies d’exploitation des données – est pointé comme prioritaire parmi les priorités RIS3 (Research and Innovation Strategies for Smart Specialisation).
Que dit, en résumé, la DPR? Il est question de :
– support à divers projets d’infrastructure: Euro Space Center ; pôle spatial de Galaxia appelé à “devenir un pôle spatial d’excellence en matière d’enseignement, de cybersécurité et de petits satellites” ; infrastructure de calcul et de stockage de données (Collaborative Ground Segment pour traitement des données satellite Sentinel 1 – voir ci-dessous) ; …
– “meilleure coordination” entre acteurs publics, universitaires et chercheurs avec le secteur industriel “pour soutenir les projets de recherche et structurer la force de proposition spatiale wallonne”
– soutien financier via le Fonds spatial, confié à la SRIW qui est invitée à “soutenir le développement de nouvelles entreprises du secteur […] avec les invests régionaux” ; la décision de création de ce Fonds, prise fin 2018, prévoit une dotation initiale de 20 millions d’euros
– soutien à renforcer pour les entreprises et les start-ups impliquées dans le spatial, avec synergie et convergence de ressources entre structures d’accompagnement – un regroupement (concernant notamment les Centre d’entreprise CEEI) est évoqué, “autour d’un pôle régional spécialisé”.
“Nous avons été entendus”
Ils ne s’y attendaient pas forcément mais ces quelques lignes figurant dans la DPR réjouissent tout naturellement les dirigeants du Pôle de compétitivité Skywin.
“On retrouve en fait dans la DPR certaines des idées pour lesquelles nous avions milité, avec remise d’un plan stratégique spatial wallon au Cabinet Jeholet [alors ministre de l’économie et du numérique] en 2018”, se réjouit Etienne Pourbaix, directeur général de Skywin.
Ce plan concocté par Skywin était structuré en trois axes. Premier volet: une demande de soutien officiel au niveau de la politique régionale afin de pouvoir aller piocher – de manière cohérente et efficace – dans les budgets de l’ESA, attribués en fin d’année, des projets auxquels participer.
Deuxième axe: la nécessité d’un fonds dédié au développement du spatial, afin de se faire une petite place au soleil du new space (scientifique et commercial), en développant des activités et compétences en matière de micro- et pico-satellites (12 à 60 kg).
“En dehors des financements de l’ESA, qui passent par le niveau fédéral, il y a clairement besoin et place pour une politique économique régionale”, souligne Etienne Pourbaix.
Le message semble avoir été entendu puisqu’un Fonds spatial a été annoncé, associant financements d’origine publique et privée. Comme indique, la dotation de départ est de 20 millions.
Objectif: entrer au capital ou accorder des prêts à des acteurs de ce secteur, essentiellement pour des applications d’observation de la terre. “La gestion et la transformation des données collectées par satellites permet d’imaginer et de déployer une grande variété de services pour tous les domaines d’activités – exploitation minière, environnement, agriculture, logistique, urbanisme…”, énumère Michel Stassart, directeur adjoint de Skywin et “Monsieur Espace” du Pôle de compétitivité.
Le positionnement de la Wallonie devrait pencher du côté des applications et des services développés sur base des données, plutôt que dans le champ de la construction et commercialisation de satellites ou d’équipements de captation. “Le filon à exploiter est celui du traitement des données, de leur transformation en informations intelligentes et intelligibles”.
Avec comme défi majeur, selon Etienne Pourbaix, de “faire connaître l’existence et les potentiels des données à tous ces secteurs.” Données de plus en plus temps réel, en tout cas réactualisées et produites quasi quotidiennement par les constellations de satellites de nouvelle génération (Sentinel et compagnie).
Troisième pilier du plan stratégique spatial proposé par Skywin: “l’espace 4.0”. Autrement dit, les incidences industrielles. Et là, on retrouve des activités de conception et construction de (micro-)satellites en petites séries. A condition de rendre ce secteur compétitif, en termes de prix, et de le faire vivre sans devoir dépendre des agences, telles l’ESA, qui, par le passé, étaient le passage obligé pour décrocher aides, financements et projets. Le modèle économique du new space est passé par là et bouscule tous les schémas existants… Une réalité nouvelle que les acteurs locaux devront apprendre à maîtriser et exploiter.
Question de “modèle” et de moyens
Il n’y a d’ailleurs pas que du côté matériels et équipements que le modèle économique est chamboulé. Côté applications et services, aussi, la donne est bouleversée. Les acteurs, tant traditionnels que nouveaux, ont besoin d’un nouveau paradigme – une nouvelle martingale? – pour rester compétitifs et pertinents en services, “alors que les clients [tous secteurs d’activités confondus] exigent des prix très abordables.”
Paiement à l’usage (requête par requête, bloc de données par bloc de données), micro-analyses ou simulations perso, services que l’on picore… le paradigme change.
Comment tout cela se concrétisera-t-il?
Les intentions formulées dans la DPR ne présagent évidemment pas de manière concrète de la forme que prendront les projets, initiatives et investissements réels. Plusieurs questions restent en suspens et on attend que le ministre en charge du dossier – désormais Willy Borsus – précise les axes, priorités et modalités.
Quelles sont les missions d’un C(oll)GS ou Collaborative Ground Segment ?
– construire ses propres archives de données miroirs, baser ses services opérationnels sur les données Sentinel et redistribuer les données et produits à valeur ajoutée des “sites miroirs” aux utilisateurs institutionnels, commerciaux et scientifiques
– acquérir des données presque en temps réel
– traiter des produits complémentaires, définir des algorithmes complémentaires ou fournir des traitements hébergés
– développer des outils et des applications innovants
– soutenir les activités de calibrage et de validation
On attend notamment la prise de position concrète au sujet du Collaborative Ground Segment (CGS ou CollGS), infrastructure qui a pour but de collecter, héberger et redistribuer les données produites lors des missions Sentinel (voir encadré ci-contre).
La DPR 2019-2024 semble devoir confirmer la volonté d’enfin le concrétiser – cela fait deux ans et quelques mois déjà (vous savez le fameux moment où une certaine prise a été débranchée vous-savez-par-qui) que le ministre Jean-Claude Marcourt a signé un partenariat avec son homologue grand-ducal concernant l’exploitation des données spatiales collectées par les satellites Sentinel 1 (données radar) et Sentinel 2 (imagerie optique haute résolution), dans le cadre du programme européen Copernicus (observation de la terre).
Début 2018, le gouvernement MR-cdH avait confirmé la stratégie.
La mise en oeuvre du volet wallon du Collaborative Ground Segment est donc aujourd’hui confirmée. Elle vise à permettre d’héberger, gérer et exploiter en propre et au service de multiples secteurs et acteurs – les données d’imagerie satellite venant des satellites Sentinel (programme Copernicus).
La Sogepa sera à la manoeuvre pour scénariser le financement – en mode 50/50 public-privé. Rappelons ici que le partenaire luxembourgeois a été plus proactif, décidant que le public, du côté grand-ducal, assurerait 100% du financement de sa partie.
Quels seront les intervenants? Quelle sera la répartition? Quel sera le modèle de financement/facturation de services? Qui pour piloter le tout? Comment Wallonie et Grand-Duché se répartiront-ils les rôles? A suivre…
Faut-il d’ailleurs investir dans le “dur” (une infrastructure de stockage et d’hébergement des données), avec les Luxembourgeois? Est-il nécessaire de “dupliquer” d’une certaine manière le CGS belge Terrascope, impulsé par Belspo et le Vito (Institut flamand pour la recherche technologique)? Une entente cordiale et efficace est-elle possible, en la matière, avec le Vito flamand? Ou faut-il davantage se concentrer sur l’applicatif et les services? Les deux axes doivent-ils être encouragés et financés de concert? Les avis sont encore partagés.
Mais, comme le soulignait Michel Stassart, il est toujours bon d’avoir toutes les rênes en mains, sans devoir dépendre des disponibilités du CGS belgo-flamand ou devoir attendre que les disponibilités système se libèrent pour des requêtes ne recevant pas forcément la priorité par rapport à des clients commerciaux payant rubis sur l’ongle…
Nous ne manquerons pas de revenir sur le sujet, avec confrontation des différents points de vue des diverses parties prenantes – ou intéressées – à la question…
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