Données spatiales et IA: “il faut hybrider les idées et les collaborations”

Article
Par · 19/09/2019

Cette semaine se tenait à Namur une conférence dédiée à l’intelligence artificielle au service de l’analyse et exploitation spatiale et, de manière plus spécifique, de l’observation de la terre.

Co-organisée par le pôle de compétitivité Skywin, le centre de recherche luxembourgeois LIST, Spacebel et l’ISSep, “AI 4 Copernicus” avait en filigrane l’ambition de “marquer le coup pour la Wallonie”. Pour, d’une part, envoyer le signal que la région est prête et partante pour faire de l’IA appliquée au domaine de l’observation de la terre (et de l’espace, d’une manière plus générale) l’un de ses axes de positionnement thématique. 

D’autre part, pour apporter des témoignages d’experts sur les applications possibles, le potentiel que cela procure pour des acteurs existants ou encore à faire émerger.

A cet égard, le message, émis de concert par plusieurs intervenants de la journée (venus de l’ESA, de la Commission européenne, de sociétés telles qu’Aerospacelab, Deltatec ou encore Spacebel, du monde universitaire), se voulait clair: le besoin est immense, tout comme les opportunités. Besoin en talents, en imagination, en collaborations…

Plusieurs des orateurs soulignaient notamment ce besoin de faire se rencontrer plus souvent et de manière pratico-pratique acteurs privés et publics du secteur de l’espace, chercheurs universitaires, acteurs commerciaux, start-ups ou encore développeurs. Sans oublier le monde de l’enseignement, en particulier pour aller prêcher le bon discours auprès des jeunes. 

Etienne Pourbaix (Skywin) : “AI 4 Copernicus ? Un événement faisant se croiser IA (intelligence artificielle) et EO (observation de la Terre), conçu notamment afin que la Wallonie puisse marquer son territoire, se faire remarquer au niveau international.”

 

Le moment est propice, voire crucial, estime pour sa part Etienne Pourbaix, directeur général de Skywin.

Le Réseau IA et le projet régional Digital Wallonia 4 IA sont en phase de démarrage effectif. L’espace a droit à signalement dans la DPR (nous y reviendrons plus largement dans un prochain article).

Les entreprises, y compris de toute jeunes start-ups, se positionnent.

Petite phrase, à ce sujet, d’Etienne Pourbaix. “La Wallonie a toujours été active dans l’espace. Les acteurs qui y sont actifs de longue date ont encore de beaux restes.” Lisez: même à l’heure du “new space”, avec tous ces nouveaux entrants qui redéfinissent les règles et les modèles économiques. Le savoir-faire de ces acteurs “historiques” ne demande qu’à “pivoter” et à s’orienter vers les nouveaux défis.

L’Europe, elle, pousse sur le champignon, avec divers projets, programmes et plans d’investissement. Et l’ESA, entre autres, est demandeur de collaborations et de sollicitations.

Que rêvez de plus? 

Côté plus critique et crucial, il est vital pour la Wallonie d’avancer ses pions et ses ambitions dès maintenant, vu que le concert international risque fort de devenir tonitruant, plus encore qu’il ne l’est aujourd’hui.

Lilliputien au pays des données

Ce n’est pas forcément le secteur qui génère le plus de données mais le spatial est malgré tout un champion en la matière (voir quelques chiffres éloquents dans notre encadré ci-dessous). La multiplication des déploiements (d’armées) de satellites et l’explosion des usages qui sont fait des données – dans un nombre quasi illimité de domaines – font littéralement crouler les équipes et “outils” actuels sous le poids des données.

L’humain, ses yeux et son cerveau, ne suffisent plus à y faire face. Seuls des outils automatisant et rendant les traitements “intelligents” peuvent tenter de résoudre l’équation. Pour des cas d’usage les plus fous et décoiffants les uns que les autres.

Quelques exemples cités dans le cadre de la conférence AI 4 Copernicus? 

Utiliser l’analyse des données d’images satellite pour… prédire les résultats nets annuels d’une chaîne de distribution (les Colruyt, Delhaize et consorts). Comment? En analysant le taux de remplissage des parkings des supermarchés et la taille des caddies…
Permettre au vendeur local d’un équipement quelconque de prévenir son client (par exemple dans la construction) que la livraison aura du retard, via analyse des images d’un port asiatique lointain où un incident provoque un blocage au chargement…

Des réseaux neuronaux pour cartographier les océans. Source: ESA.

Procéder à une classification temps réel de chaque parcelle cultivée ou non, à l’échelle d’un pays, voire d’un continent.
Toujours dans le domaine agricole, exploiter les données satellite pour assurer le suivi de la politique agricole commune (PAC) et vérifier la pertinence des financements octroyés aux agriculteurs, avec suivi proactif des cultures et des opérations de fauche, avec envoi de rappels de délais à respecter par les agriculteurs. Par le passé, la surveillance de l’exploitation agricole, conforme aux engagements pris, se faisait via échantillonnage (5%) de photos prises à espaces réguliers et contrôle sur site. Désormais, grâce à l’IA et à l’automatisation, toutes les fermes de l’UE sont “surveillées”, tout au long de l’année. Le taux de classification et vérification automatique est de 95 à 98%.

“L’IA offre des outils redoutables au service de l’intelligence économique”, souligne Michel Stassart, directeur adjoint de Skywin. “Il est clair qu’il faut marier IA et observation de la terre, ne serait-ce que pour automatiser la reconnaissance des objets, confier au machine learning le soin de nettoyer les infos non pertinentes.”

Quelques chiffres vous en diront bien plus que de longs discours…

° Les résolutions d’image satellite actuelles et la masse croissante d’images générées par leurs passages réguliers rendent l’analyse des volumes de données impossible par l’homme. Pierre-Philippe Mathieu (European Space Research Institute de l’ESA) : “A raison d’une seconde d’analyse par pixel, il faudrait des milliers d’années pour déterminer ce qui se passe sur terre à un instant T.”
° On dénombre actuellement 199 satellites de grande taille et 468 satellites de moindre envergure circulant autour de la Terre. Les déploiements planifiés? 71 satellites de grande taille, 1.524 de (plus) petite taille. Chiffres Frost & Sullivan.
° Volume de données (brutes) générées, sur base annuelle, par les satellites du programme Copernicus: 60 péta-octets.
° Si l’on conserve le format et la capacité actuelle du stockage sur disque [avec des unités pouvant contenir 12 To], un data center de 5.000 m2 ne pourrait stocker que les données générées par 3.000 voitures connectées (autonomes).
° Volume de données actuel dans le centre d’archives du DLR allemand (Deutsches Zentrum für Luft- und Raumfahrt, centre national de recherche pour l’aéronautique et l’astronautique): 30 péta-octets.
° Un euro investit dans le programme Copernicus génère 3,8 euros en retombées potentielles (applications).

 

L’union des ressources

La complémentarité des compétences et des rôles était l’un des avis convergents que l’on a pu entendre à l’occasion de cette journée AI 4 Copernicus.

Besoin, en premier lieu, de collaboration et de complémentarité entre grands, moyens et petits acteurs locaux. “Si les acteurs locaux ne s’allient pas, ils risquent le déclassement”, estime Michel Stassart.

En ligne de mire, notamment, la nécessité d’encourager et d’aider les plus petites structures (PME, start-ups) à initier projets et tests et à s’accrocher aux (plus) grosses locomotives que sont les projets régionaux, initiés par les Pôles de Compétitivité, et les projets européens. 

La taille des sociétés, leurs ressources et disponibilité, et l’ampleur (plus contraintes) des projets ont toujours joué les trouble-fête. Il faut donc revoir ou flexibiliser la méthode. “Les projets des Pôle impliquent la participation de minimum quatre partenaires, dont deux en recherche, et démarrent à un million d’euros (soit 250.000 par société). Cela exclut souvent d’office les PME”, rappelle Etienne Pourbaix. “Il faut penser à un mécanisme de projet plus modeste, de l’ordre de 200.000 euros, pouvant être porté par une ou deux sociétés.” 

Des passerelles entre ce type de projets et Skywin pourraient alors être imaginées. 

C’est un peu l’idée que tente de mettre sur pied le projet Innovation numérique de la Région (avec toutefois un décret recherche qui doit être adapté…].

Etienne Pourbaix (Skywin) : “Le Pôle Skywin peut aider les autres Pôles de Compétitivité à identifier des cas d’usages et des problèmes pour lesquels ils n’auraient pas pensé faire appel aux ressources du spatial.”

 

Autre piste: “raccrocher” les futurs projets-pilote du Réseau IA au cadre plus vaste des projets régionaux. “Les POC que veut lancer le Réseau IA [avec coordination dans le cadre de Digital Wallonie 4 AI] serviront de démonstrateurs, d’analyses préalables, qui sont bien nécessaires avec de telles technologies nouvelles. Skywin en a besoin. On peut donc trouver un terrain d’entente et de collaboration avec le Réseau IA”, ajoute encore Etienne Pourbaix.

“On organisera d’ailleurs des séances d’idéation communes entre Pôles, cluster [Infopole] et Réseau IA, en identifiant des problématiques précises”.

Il faudra toutefois trouver… le moyen de moyenner. En effet, du côté du Réseau IA, le financement (public) imaginé pour les POC prévoit certes une aide de la Région mais à condition que le POC soit porté et mutualisé entre minimum 4 ou 5 sociétés, opérant potentiellement dans des secteurs différents. Histoire d’éviter le piège du financement (public) d’une seule et même société…

Frédéric Peters (Thelis, Réseau IA): “Il est important de rassembler tout le monde dans un même élan et essentiel de mettre de côté l’idée de concurrence si l’on veut avoir une visibilité à l’international.”

 

Le besoin de collaboration et de complémentarité se fait aussi sentir – et a été souligné à divers reprises lors de la journée AI 4 Copernicus – entre industrie et recherche. Ainsi Francesco Barbato, chargé de mission au sein de l’unité “Données spatiales pour les défis sociétaux et la croissance” de la DG Marché interne (Commission européenne), insistait sur le fait que “jusqu’à présent, le monde de l’exploration de la terre a été un cercle fermé. Aujourd’hui, il est important de s’ouvrir à d’autres acteurs, en ce compris les développeurs d’applications. Il existe en effet, du côté des sciences informatiques, des acteurs qui sont désespérément en quête de problèmes auxquels appliquer leurs solutions. Il est essentiel d’établir le contact avec eux afin de pouvoir résoudre des problèmes que les acteurs de terrain ignorent, aujourd’hui, qu’il est déjà possible de résoudre…

Des partenariats public-privé permettent d’interconnecter des acteurs, des domaines applicatifs, de créer de nouvelles communautés. Il faut procéder par coordination croisée, par-delà les frontières sectorielles.”