Le secteur wallon des drones a du plomb dans la pale. Et, de manière étonnante, voire interpellante, c’est l’acteur le plus ancien qui déclare forfait. La chose a d’ailleurs “surpris” tant du côté de Skywin que de l’AdN.
La déclaration de forfait émane de Drone Valley qui, depuis quelques années, avait statut de “Fédération professionnelle francophone belge du drone”.
Drone Valley avait vu le jour en 2012-2013 sous forme de sprl dédiée à la veille stratégique en matière de drones. Sa focalisation première – qui était encore l’une de ses caractéristiques premières – était la sécurité et la cyber-sécurité des et via les drones. Avec comme ambition initiale de “devenir le centre de référence au sein de la Grande Région, voire de l’Europe.”
De manière plus large, son rôle était de favoriser et de susciter “l’intégration des innovations technologiques, apportées notamment par le drone, dans l’économie réelle”. Ses activités incluaient également des formations métier, des formations de télé-pilotes, des actions de sensibilisation grand public ou thématiques en liaison avec diverses fédérations ou associations – notamment le CSTC (Centre Scientifique et Technique de la Construction) ou encore avec l’Ifapme (pour des cours en cybersécurité). Plusieurs missions à l’étranger avaient été effectuées (en Chine, à Madagascar…) ou étaient encore planifiées.
Clap de fin
Drone Valley déclare forfait en raison d’un refus de subvention par le gouvernement wallon et par manque de moyens propres. Ces derniers trimestres, doute et démotivation s’étaient clairement installés dans le chef des “pilotes”, à commencer par Bernard Van Lysebetten, fondateur et président de Drone Valley. Jusqu’à ne pas redemander, cette année, le paiement de leur cotisation à la soixantaine de membres (intégrateurs, sociétés de test et d’audit aéronautique…).
Cette démotivation est le fruit du flou peu artistique qui a prévalu ces dernières années sur l’aide potentielle de la Région.
La perspective d’une subvention avait été une réelle possibilité, sinon une certitude, voici deux ans, estime Bernard Van Lysebetten. Il ne manquait que la signature du ministre (Jean-Claude Marcourt, à l’époque) sur la convention. Puis vint le “coup” du cdH. Et le gel de ce dossier, comme de bien d’autres.
Voici ce que vous ne verrez plus…
Le dossier avait été repris, pour analyse, par le cabinet du ministre Pierre-Yves Jeholet, avec un accueil a priori favorable, se remémore le président de Drone Valley, même si la hauteur des moyens était sans doute appelée à être quelque peu rognée. D’autres signes semblaient également être au vert, à la lumière des contacts noués avec Skywin et avec l’AdN, “duègne” de l’application du programme Digital Wallonia.
Plusieurs réunions avaient eu lieu entre les différentes parties (auxquelles était récemment venu s’ajouter l’incubateur ID2Move de Nivelles), afin de créer un écosystème drones.
Mais entre-temps, les critères de décision ministérielle ont apparemment changé. ID2Move a vu le jour, avec ses propres soutiens, et a obtenu une subvention des mains du ministre wallon de l’Economie et du Numérique. Quasi dans le même temps, Drone Valley a lui reçu l’avis que la sienne lui était refusée.
Drone Valley interprète cela comme du sabordage. Y a-t-il eu télescopage et influence néfaste? La concordance des temps laisse à tout le moins songeur. Même si l’on sait que la destination du budget Digital Wallonia, pour 2019, a été dernièrement réétudiée, notamment pour allouer quelques moyens à des activités et projets orientés Intelligence artificielle…
Quoi qu’il en soit, il faut souligner que les deux dossiers, les deux acteurs – ID2Move et Drone Valley -, ne sont pas “concurrents” ou redondants. Que ce soit dans le cadre de Skywin ou dans celui de l’ébauche d’écosystème conseillé par Digital Wallonia, on parlait plutôt de complémentarité. Rappelons en outre qu’à la clé, il y a (ou avait) la perspective de construire un réel écosystème Drones en Wallonie, avec des retombées économiques certaines, dans de multiples secteurs…
Complémentarités…
Dans la foulée de la création de l’incubateur ID2Move, les deux acteurs avaient pris contact. L’incubateur nivellois avait “invité” Drone Valley à collaborer, laissant envisager une répartition des rôles. Relire à ce sujet l’article consacré récemment à ID2Move.
Aux yeux de Bernard Van Lysebetten, il y avait une complémentarité évidente entre le côté innovation / accompagnement de start-ups et d’idées naissantes par ID2Move et la capacité de Drone Valley à identifier des opportunités ou besoins réels sur le terrain, dans les différents secteurs.
Toute une palette d’activités et de compétences à reconstruire ou “récupérer”...
Quels étaient les arguments mis sur la table, au fil du temps, par Drone Valley? Une proximité géographique – et thématique – avec le centre Galaxia, l’ESA BIC de Redu, les aérodromes civil et militaire de Saint-Hubert. Des activités (tests) réalisés avec cet aéroport.
Diverses activités (formations, réflexion, veille technologique) en matière de gestion des plans de vols, de contrôle des vols en temps réel, d’analyse de risques pour les plans de vol, les engins autonomes, les failles de cybersécurité… La formulation de propositions d’animations et de séances de sensibilisation et de formation pour les écoles de la Fédération Wallonie-Bruxelles, “le drone pouvant servir notamment d’outil éducatif ludique”. Des activités et conférences avec l’Infopole, avec le CSTC pour les débouchés dans le monde de la construction, notamment dans le cadre de solutions et de projets BIM (modélisation des données de bâtiments).
“L’impact du drone est transversal”, aime à souligner Bernard Van Lysebetten. “De multiples secteurs d’activités sont concernés: la construction, la surveillance, la sécurité, l’agriculture, l’architecture, les travaux publics – on avait par exemple identifié très tôt le potentiel des drones pour l’inspection de structures et de ponts pour de la maintenance préventive. Mais nous n’avons pas été suivis…
Des études scientifiques étaient prévues, notamment pour constituer une base objective pour la validation des clichés de photogrammétrie afin de pouvoir garantir leur qualité et précision pour une utilisation documentée par les entreprises…”
Arrêt prématuré ?
Se voyant refuser sa subvention, Drone Valley a donc décidé de capituler, “dégoûté”. Pourquoi ne pas avoir attendu ne serait-ce que quelques mois, le temps qu’un nouveau gouvernement (quelle qu’en soit la couleur) s’installe et remette du carburant dans le dossier? Ou encore le temps de voir comment s’organiser, en liaison avec Skywin, avec le programme Digital Wallonia, avec ID2Move?
Une occasion manquée pour la Wallonie ?
Le refus de subvention a été ressenti comme une sanction, voire une trahison. Une punition en quelque sorte (et une préférence qui serait éventuellement accordée désormais à ID2Move, davantage “compatible” avec la couleur bleue de l’actuelle majorité).
Punition peut-être parce que Drone Valley n’a pas pu – ou voulu – s’engager dans deux pistes qui lui avaient été “suggérées”. Mais s’agissait-il d’une “suggestion” ou d’une condition sine qua non à la moindre aide?
Quelles étaient ces “suggestions”? La première: se constituer en véritable cluster, ce qui promettait une aide (dégressive) sur trois ans mais ce qui, évidemment, impliquait des contraintes et la constitution d’un cadre organisationnel plus élaboré et plus strict. “Le temps qui nous était imparti pour créer un cluster était trop court”, estime Bernard Van Lysebetten. “Raison pour laquelle nous avons préféré réintroduire une simple demande de subvention.” Sans pour autant rejeter formellement l’idée de futur cluster, mais dans une perspective plus longue…
Autre piste suggérée: que Drone Valley “s’arrime” à l’Infopole (cluster ICT), sous la forme d’une “grappe” (groupement thématique d’acteurs). Mais cette caractérisation avait bien entendu ses limites, tant en termes de type d’activités, de représentativité du secteur et de liberté d’actions. D’où le refus de Drone Valley de s’orienter en ce sens.
La demande de subvention, elle, a donc été finalement refusée. Alors que celle sollicitée par ID2Move a été octroyée…
Il faudra reconstruire…
Drone Valley met la clé sous la porte. De manière définitive? Pourra-t-on rouvrir la porte? Relancer une nouvelle structure?
Le rôle sera-t-il “récupéré” par ID2Move? Ou cela pourrait-il se faire au sein de ou sous l’égide de Skywin? Trop tôt pour le dire, estime Etienne Pourbaix, directeur de Skywin. “Il faut réfléchir à la manière de reconstruire quelque chose.”
Tout le monde semble en tout cas d’accord pour dire qu’il serait en tout cas plus que regrettable de se priver du volet d’activités et de débouchés économiques que représentait et laissait présager Drone Valley. Mais qui pour remonter l’échafaudage, réactiver ou reconstruire (au prix d’efforts certes importants), ce qui avait été mis en oeuvre ou ce qui était encore en préparation?
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