AI 4 Belgium: et si l’on plaçait la Belgique sur la carte de l’IA?

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Par · 19/03/2019

Depuis la fin de l’été dernier (2018), à l’initiative d’Alexander De Croo, ministre qui, à l’époque, était encore en charge de l’Agenda numérique, un groupe de quelque 40 “experts” a planché sur des idées et recommandations devant servir de base à la définition d’une stratégie belge en matière d’intelligence artificielle.  Voir en fin d’article la liste des membres de cette “coalition” AI 4 Belgium.

Ce groupe AI 4 Belgium a travaillé, notamment par le biais de sous-groupes thématiques (secteur public, éthique…), réunissant des profils venus de divers horizons – universités, sociétés, publics. Leurs travaux viennent de déboucher sur une sorte de cahier de recommandations qui a officiellement été présenté au gouvernement fédéral. Le rapport arrive évidemment très tard dans le courant de la législature et le fait que le gouvernement fédéral soit en affaires courantes n’a en fait guère d’importance. Toute décision, politique et budgétaire, n’aurait de toute façon pas pu être prise immédiatement.

Le cahier de recommandations servira donc surtout au futur gouvernement. Tant au fédéral qu’au niveau régional.

Cinq axes

Que dit le document? La “coalition” AI 4 Belgium a structuré son travail en cinq axes essentiels: formation et compétences ; stratégie et partage de données ; adoption par le secteur privé ; promotion de l’innovation et diffusion ; rôle du secteur public.

>> Formation et compétences

Nous y reviendrons plus spécifiquement dans un tout prochain article: ce sujet a été choisi par le groupe d’experts comme élément critique de toute stratégie future. Et pour cause: les compétences, la compréhension de l’IA, de ses enjeux, de ses arcanes, sont essentielles pour tous – actuelle et future génération de personnes actives, citoyens lambda, politiciens, responsables décidant du cadre légal et juridique…

AI 4 Belgium plaide dès lors pour une “redéfinition d’un pacte pour l’éducation” qui touche tous les publics visés: élèves, étudiants, professionnels actifs, personnes en reconversion professionnelle… Avec un constat de carence pour ce qui est de la situation actuelle: “Nous n’avons actuellement ni la masse critique, ni les outils nécessaires pour soutenir cette transition. Nos écoles ne préparent pas les prochaines générations pour le 21è siècle. […] Les programmes publics de reconversion professionnelle sont sous-financés et la gamme des services de formation est insuffisante et inadaptée.”

Plus de détails sur quelques propositions, avec des commentaires et avis de plusieurs acteurs ayant participé aux travaux, dans un prochain article.

>> Stratégie de données “responsable”

En la matière, la coalition AI 4 Belgium recommande de progresser dans le cadre d’un cadre juridique pertinent et évolutif. Sans ce cadre, pas de confiance possible – que ce soit celle du grand public ou celle des acteurs appelés à partager (potentiellement) leurs données ou à les exploiter grâce à l’IA pour développer de nouveaux services ou produits.

Autre élément-clé dans ce chapitre: une politique d’open data plus volontariste et plus homogène. Cela passera notamment par un sérieux travail de pédagogie et de conviction à destination des décideurs politiques…

“Une plate-forme belge indépendante de partage des donnés rendra plus de données disponibles pour les acteurs privés. Cela nécessiterait la création d’un groupe de travail aidant à développer des outils et des protocoles pour partager les données publiques en toute sécurité.”

Le concept de “responsabilité” et la portée du cadre juridique recouvrent également une autre dimension, sur laquelle le groupe d’experts préconise que la Belgique s’appuie pour se différencier sur la scène IA internationale. A savoir, l’IA éthique.

Il recommande dès lors la création d’une commission éthique multidisciplinaire “pouvant aider à orienter et à garantir un cadre légal et une éthique stable”. Tous les secteurs, avec leurs contraintes et leurs sensibilités propres, seront sollicités et devront s’accorder au travers d’une “approche nationale, trans-sectorielle.”

En quoi la Belgique pourrait-elle faire oeuvre de pionnier, de “labo” ou d’expérimentatrice en la matière? Cela reste à préciser. Mais l’une des raisons pour lesquelles cette idée à germer au sein du groupe d’experts, c’est la volonté de ne pas attendre que d’autres Etats (européens) prennent les devants et imposent leur vision des choses ou que l’Europe ne dégaine une directive. Toutes choses que la “petite Belgique” serait alors bien incapable de contrer. Autrement dit, autant tenter de prendre les devants et faire preuve de volontarisme…

>> Promouvoir l’adoption dans le secteur privé

Pousser le secteur privé à utiliser davantage l’IA passera par un programme de sensibilisation et de formation. Sont notamment visées les PME.

Pour faciliter le travail de veille de ces dernières et faciliter leur parcours d’adoption, le groupe d’experts conseille de créer un lieu unique regroupant toutes les informations sur l’IA belge. Une sorte de “guichet IA unique”.

L’une des recommandations du groupe d’experts est par ailleurs de favoriser davantage l’expérimentation (moyennant d’éventuels programmes de financement venant en partie du secteur public) et de choisir quelques thématiques porteuses, ayant des impacts sociétaux plus immédiats et visibles.

Nous développerons, dans un prochain article, les pistes envisagées par AI 4 Belgium pour pousser davantage les PME belges vers l’IA.

>> Innover et diffuser

La carence, en matière d’innovation et de “poids” belges, se définit en termes de “masse critique” de chercheurs, de spécialistes ou de compétences IA mais aussi de manque de visibilité à l’international et une incapacité à “attirer et retenir suffisamment de talents en IA”.

L’une des solutions possibles: accentuer les collaborations entre universités, faire davantage collaborer leurs chercheurs, encourager davantage de collaboration entre universités et privé, lancer des projets-pilotes de recherche, mieux financer les start-ups spécialisées en IA, veiller à former davantage de types de profils (data scientists, architectes de données, “data translators”…), ou encore à développer de nouveaux programmes de formation interdisciplinaires…

>> Améliorer les services publics et stimuler l’écosystème

Le secteur public devrait donner l’exemple en matière d’implémentation de l’IA – pour améliorer ses services ou en créer de nouveaux. Ce qui est loin d’être le cas ou loin d’être dans son ADN. Ici encore, il faudrait donc davantage inculquer une culture d’open data et open services, pousser le secteur public à prendre à bras-le-corps l’opportunité de la “gouvernance IA”, s’ouvrir davantage à des collaborations avec les start-ups. Et se lancer lui-même dans l’innovation et dans l’expérimentation de l’utilisation de l’IA.

Le groupe d’experts AI 4 Belgium recommande également la désignation d’un Chief Data Officer dont les responsabilités transcenderait les niveaux de pouvoir et qui travaillerait notamment sur la définition de normes éthiques et dans une perspective de “stratégie IA inclusive qui profite à l’ensemble de la société.”

Ambition et budget

La tournure finale que prendra la stratégie belge en matière d’IA dépendra, répétons-le, des choix politiques de la prochaine législature. Le groupe d’experts recommande toutefois de l’ambition.

Ils vont même jusqu’à imaginer que la Belgique pourrait (devrait?) se positionner en “laboratoire” d’IA. En se différenciant notamment par une stratégie de “données responsable” et d’IA éthique, prenant davantage en compte les intérêts de l’être humain. Wishful thinking? En quoi la Belgique pourrait-elle réellement se différencier sur la scène européenne notamment? La question reste ouverte. Et fera l’objet des futurs travaux de la plate-forme AI 4 Belgium.

Budget à débloquer, tel que recommandé par le groupe d’experts? “Au moins un milliard d’euros d’ici 2030. Ce qui ne représente somme toute qu’un investissement annuel d’environ 83 millions d’euros par an, pendant 12 ans.

Il s’agit là du budget total – à l’échelle belge. En incluant donc les apports des Régions. On sait que la Flandre a déjà annoncé vouloir investir 30 millions d’euros (en recherches, sensibilisation et appel à projets). Bruxelles étude son propre dossier financier et la Wallonie pourrait dévoiler de premières intentions dans les prochains jours (ou semaines).

Si l’on attaque ce chiffre annuel de 83 millions sous un autre angle, on s’aperçoit que l’ambition belge se situe dans la frange inférieure de ce qui se fait à l’échelle internationale. Très certainement si l’on se risque à une comparaison avec ce que font ou feront la Chine et les Etats-Unis. Mais également en comparaison des pays voisins.

Ferdinand Casier, responsable Digital Industries chez Agoria, se livre à un petit calcul: “Les 30 millions d’euros par an que veut investir la Flandre ne représentent après tout qu’une somme de 4,6 euros par citoyen. Si la Wallonie devait suivre le même ratio, cela signifierait un budget de 17 millions d’euros.

Si l’on regarde ce que les budgets annoncés par la France et l’Allemagne représentent, on s’aperçoit que cela correspond à 5,7 euros par an et par habitant pour la France et 5,2 euros pour l’Allemagne. C’est plus que ce qu’on imagine de faire en Belgique mais c’est encore inférieur par rapport à la norme européenne et très très peu par rapport aux Etats-Unis et la Chine.”

Retour au petit calcul belgo-belge. Un milliard d’ici 2030. Soit 83 millions par an au niveau national. La Flandre met 30 millions sur la table. Si Bruxelles et la Wallonie suivent le ratio flamand, le fédéral ne devrait y aller que de… quelque 30 millions par an de sa poche. Faisable, non? “A l’échelle belge, c’est certes ambitieux mais réaliste”, estime Ferdinand Casier.

Les moyens étant comparativement modestes et de toute façon limité, plusieurs voix venant tant du groupe AI 4 Belgium que d’autres sources préconisent de se concentrer sur quelques thématiques et/ou priorités: santé, sciences de la vie, industrie 4.0, mobilité et logistique…

La suite…

Le travail accompli par le groupe AI 4 Belgium n’a encore débouché que sur des recommandations et quelques grandes lignes de force. Reste à choisir et à concrétiser.

Toutefois, l’histoire ne s’arrête pas abruptement, une fois le rapport du groupe d’experts remis à qui de droit. AI 4 Belgium compte bien poursuivre et invite même d’autres acteurs à rejoindre la plate-forme.

L’élargissement a déjà commencé. Parmi les nouveaux adhérents, citons en tout premier lieu le Réseau IA wallon, mais aussi DigitYser (hub bruxellois accueillant et animant une communauté de data scientists), Agoria, BeCentral (pour l’offre de formations orientées IA), Beacon (centre d’affaires et d’innovation anversois dédié à l’IoT, à la logistique et à l’IA, créé par Agoria, le port d’Anvers, l’IMEC et l’Université d’Anvers), ou encore l’AIABN/BNVKI (association Benelux de recherche universitaire pour l’Intelligence Artificielle).

L’un des enjeux futurs d’AI 4 Belgium sera de structurer le travail, d’assurer l’animation tant de la plate-forme que de l’“écosystème” AI belge, et de réaliser le meilleur équilibre possible dans les profils et compétences des différents acteurs participants. En accueillant éventuellement davantage de start-ups et en favorisant une meilleure représentativité sectorielle…

Parmi les premiers dossiers sur la table: une cartographie précise des ressources disponibles et des actions de sensibilisation et de démythification. Nous reviendrons sur ces différents points dans un tout prochain article.

 

Prochains articles:

Les membres de la plate-forme AI 4 Belgium – par ordre alphabétique…

Karim Benseghir, SPF Economie, Division Télécommunications et Société de l’Information
Professeur Hugues Bersini, co-directeur du laboratoire IRIDIA, professeur à l’UL
Jonathan Berte, CEO de Robovision.AI
Pascal Coppens, “évangéliste” chez nexxworks
Koenraad Debackere, professeur à la KULeuven (faculté d’Economie et de Management) et administrateur général R&D
Jo De Boeck, Chief Strategy Officer et vice-président exécutif de l’IMEC
Mieke De Ketelaere, évangéliste IA & éthique, directrice Customer Intelligence chez SAS
Pieter De Leenheer, co-fondateur et Chief Science Officer de Collibra
Wouter Denayer, Chief Technology Officer d’IBM Belgique
Nicolas Deruytter, directeur général de ML6
Yves Deville, professeur à l’UCLouvain, conseiller du président de la Digital University de l’UCLouvain
Patrick Devis, directeur informatique de Belfius
Tom Dhaene, professeur en IA à l’UGent, co-fondateur de ML2Grow
Hans D’Hondt, président du comité de direction du SPF Finances
Philippe Dubernard, responsable Cognitive Solutions, secteur public, chez IBM
Joseph Fattouch, conseiller au Cabinet du ministre en charge de l’Agenda numérique Philippe De Backer)
Thierry Geerts, CEO de Google Belgique
Stef Heylen, CEO de Janssen
Lorelien Hoet, directrice Affaires publiques chez Microsoft Belux
Laurent Hublet, directeur général de BeCentral, et ancien conseiller numérique d’Alexander De Croo
Marc Lambotte, CEO d’Agoria
Rudy Lauwereins, vice-président de l’IMEC
Tom Lenaerts, professeur en IA et Bio-informatique à l’ULB
Fons Leroy, administrateur délégué du VDAB
Pattie Maes, professeur au MIT
Erik Mannens, professeur en data sciences à l’UGent, directeur de la valorisation de la recherche à l’IMEC
Omar Mohout, entrepreneurship fellow au Sirris
Ann Nowé, professeur à la VUB
Frédéric Pivetta, co-fondateur et associé-gérant de Dalberg Data Insights
Marc Raisière, CEO de Belfius
Gregory Renard, responsable Applied Artificial Intelligence chez xBrain
Pierre Rion, président du Conseil du Numérique Wallon
Frank Robben, CEO de la Banque Carrefour de la Sécurité Sociale
Julie Scherpenseel, ML6
Bruno Schröder, Technology Officer, Microsoft Belux
Georges Theys, responsable du département Analytique chez Ageas
Luc Van Gool, professeur à la KULeuven, spécialiste en reconnaissance visuelle auprès de l’ETH Zurich (Ecole Polytechnique fédérale)
Michel Van Hoegaerden, directeur de programme au SPF Finances
Guido Van Humbeek, directeur Architecture et Innovation au VDAB
Bart Vannieuwenhuyse, directeur Health Information Sciences chez Janssen