Agoria: à quoi sert le potentiel d’emplois (numériques) s’il n’est pas exploité?

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Par · 20/09/2018

Pronostic en mode bonne nouvelle du côté d’Agoria: oui, robotisation et digitalisation sont “disrupteurs” pour l’emploi mais 4 fois plus d’opportunités se créeront d’ici 2030 pour compenser pertes et disparitions de fonctions et de métiers. Gros défi par contre: y pourvoir en compétences adéquates. Un appel est donc lancé à l’implication de tous – des autorités publiques jusqu’au citoyen.

L’effet de l’automatisation et de la généralisation des processus et dimensions numériques sur l’emploi en Belgique? Pas de panique, annonce Agoria: pour chaque emploi menacé – de disparition pure et simple ou de mutation plus ou moins intense -, il se créera 3,7 nouvelles offres d’emploi, à plus ou moins forte teneur numérique, à l’horizon 2030.

Ce chiffre est l’une des conclusions de l’étude qu’Agoria a confiée au cabinet Roland Berger et qui a été menée avec la participation active (chiffres, statistiques et méthodologie) des trois organismes belges compétents en termes d’emploi et de chômage (Forem, Actiris et VDAB) et avec, par ailleurs, consultation de quelque 60 experts. Voir encadré ci-dessous pour plus de détails sur la méthodologie suivie.

Que trouve-t-on dans cette étude? “Une analyse du marché belge du travail jusqu’en 2030, une évaluation des évolutions dans 16 secteurs et pour 75 profils d’emploi, des prévisions (perte, création et évolution de l’emploi), des analyses sur le nombre de postes vacants, le chômage par région, secteur et profil, les flux de travailleurs, l’écart entre offre et demande, les compétences numériques futures…” Ainsi qu’une liste de recommandations.

D’ici quelques mois (janvier 2019?), il sera en outre possible d’avoir une vue micro-économique des tendances, via un portail en cours de réalisation par Agoria et la VRT. “Il sera alors possible à chacun, en fonction de son métier, de ses aptitude actuelles et des orientations futures, de déterminer quelles compétences (numériques notamment) il lui faut acquérir pour remplir telle ou telle fonction ou s’engager dans telle ou telle direction”, déclare Marc Lambotte, patron d’Agoria.

Méthodologie

Les chiffres et statistiques sur lesquels l’étude s’est basée proviennent des trois offices régionaux de l’emploi (Forem, Actiris, VDAB), de la Banque nationale, du Bureau du Plan et de Cedefop.

L’étude propose une vision macro mais aussi micro – dans une série de secteurs d’activités (16 au total), de métiers, avec possibilité d’analyser les détails par profil d’emploi, profil de compétences (actuelles et futures)…

Petit exemple? Augmentation des besoins en compétences numériques, entre 2016 et 2030, pour quatre profils: managers: x 1,2 ; experts : x 1,4 ; personnel administratif et technique: x 1,3 ; ouvriers: x 1,5.

L’étude inclut également une série de recommandations d’Agoria pour faire face à la problématique, via quatre leviers majeurs: mise à niveau des compétences, reconversion (des travailleurs et des demandeurs d’emploi), activation des personnes aptes à l’emploi (population active actuelle ou future, personnes issues d’une “migration économique judicieuse”…), amélioration de la productivité (notamment via “la digitalisation accélérée, en particulier dans l’enseignement, la santé et les services”).

Les chiffres marquants

Croissance globale de la demande entre 2016 et 2030: 629.000 unités. Agoria/Roland Berger arrive à ce chiffre en considérant que 235.000 emplois, à l’échelle de la Belgique, seront perdus à cause de la “digitalisation” et automatisation, mais que 840.000 emplois seront créés dans le même temps.

Base utilisée pour imaginer ce taux de création: une poursuite de la demande de travail de 0,9% par an. “Chiffre raisonnable si l’on considère que, sur ces 15 dernières années, en ce compris quelques années noires dues à la crise, la progression moyenne a été de 0,8%”, estime Marc Lambotte.

Répartition régionale de cette croissance de la demande? + 0,8% en Wallonie ; + 0,6% à  Bruxelles ; + 1% en Flandre.

Mais cette création de demande ne veut évidemment pas dire que tous les nouveaux métiers et tous les postes trouveront chaussure à leur pied. Si rien n’est entrepris, on court à la catastrophe, souligne en substance Marc Lambotte. “Sans politique adaptée, il y aura 584.000 postes vacants non pourvus en 2030”.

Dès 2021, la demande d’emploi dépassera l’offre (de bras et compétences disponibles)… même en tenant compte du report de l’âge de départ à la retraite. Nous reviendrons, dans de futurs articles, sur une analyse plus précise par région et par secteur.

Le fossé entre demande et offre ne fera que s’accentuer par la suite. D’où la nécessité de combattre l’apparition et l’élargissement de ce fossé en prévoyant et en faisant la promotion de formations – initiales et continues. 

“Opportunités” à saisir

En raison de la fluctuation des compétences nécessaires et des déficits en profils, 584.000 vacants à pourvoir risquent donc, selon les chiffres Agoria/Roland Berger, de ne pas trouver de profils pertinents à l’horizon 2030. Soit 11% de tous les postes vacants.

Marc Lambotte (Agoria): “Sans politique adaptée, on dénombrera 584.000 postes vacants non pourvus en 2030”.

Le chiffre est important. Or, on sait que les pénuries de main-d’oeuvre dans nombre de secteurs et métiers sont déjà une réalité et qu’elles risquent de s’accentuer si des mesures concrètes ne sont pas prises pour pallier à l’impact “disrupteur” du numérique.

Les trois secteurs qui seront les plus demandeurs d’emploi: l’ICT (+ 18%), les soins de santé (+ 18%) et l’enseignement (+ 13%).

Répartition régionale du pourcentage de postes d’emplois vacants non pourvus:
– Wallonie: 7%
– Bruxelles: 10%
– Flandre: 12%.

Toutes les parties concernées sont donc invitées à passer à l’action: gouvernements (fédéral, régionaux), organismes publics chargés de l’emploi (Forem, Actiris, VDAB)… mais aussi – et c’était un élément sur lequel Agoria insiste fortement – responsabilité de chacun(e) – travailleur actif comme demandeur d’emploi – de se prendre en main. D’où le slogan choisi par Agoria: “Be the Change” – “Soyez le changement”.

A noter que les agences régionales pour l’emploi ont toutes lister un certain nombre d’initiatives à prendre. Voir plus loin.

A l’échelle wallonne, si on transpose les chiffres d’Agoria, 80% de la population active (1,49 million de personnes) et quelque 158.000 chercheurs d’emploi seraient concernés par la nécessité d’acquérir et développer des compétences numériques (nouvelles ou non).

Prenant la problématique par le petit bout rose de la lorgnette, Marc Lambotte soulignait que ces besoins de profils et de compétences sont autant de chances à saisir. Il s’autorisait même ce qui pourrait apparaître comme une provocation. A savoir que l’économie et les différents secteurs ont besoin de plus d’automatisation. “Si la demande d’emploi est plus importante que l’offre, on peut en déduire que l’on doit automatiser plus pour éviter le trop-plein de demande.”

Il prenait l’exemple du secteur des soins de santé (le plus demandeur, avec ses 18% de croissance en termes d’emplois). “La numérisation permet de procurer des soins en dehors des hôpitaux, de quoi nécessiter moins de personnel”. Du moins en intra muros. Une partie de la charge des soins (surveillance et certains soins) sera basculée vers la prise en charge à domicile et l’ambulatoire.

Aux yeux d’Agoria, “soutenir davantage la productivité […] passe par une accélération de l’automatisation et de la digitalisation dans les secteurs présentant le plus grand nombre de postes vacants” ou, plus exactement, de postes (et fonctions) pour lesquels on ne trouve pas de profil adéquat. Est-ce là laisser tomber les bras et désespérer de pouvoir réorienter formations et filières?

Conversion, reconversion et adaptation de profils et de compétences

4,5 millions de personnes actives ayant besoin de mettre leurs compétences à niveau: le chiffre est dantesque. Selon les analyses de Roland Berger et ‘Agoria, le défi est plus urgent et crucial pour quelque 310.000 Belges (travailleurs ou demandeurs d’emploi) qui devront carrément se reconvertir ou – au moins – se recycler.

“150.000 d’entre eux auront besoin de formations d’une durée de deux à six mois. 160.000 devront en passer par des formations plus intensives, en vue d’une réorientation totale”, déclarait Marc Lambotte.  Et pour eux, les formations pourraient durer de “6 à 18 mois”. 

“Il en va donc de la responsabilité des entreprises et des pouvoirs publics de leur donner les chances de formation dont ils ont et auront besoin.” 

Des métiers pas égaux face au défi

Profils les plus fortement victimes de l’automatisation (au sens large)? Sans surprise, les ouvriers manuels non qualifiés, mais aussi le personnel administratif et des jobs tels que caissiers et guichetiers.

Profils “en mutation” – autrement dit dont le panel de compétences devra se mettre au goût du jour? Pratiquement tout le monde bien entendu, mais Agoria pointe en exemples les représentants de commerce, les employés de magasin, les opérateurs de production (processus de plus en plus automatisés voire robotisés). 

Exemples de nouveaux métiers? “Planificateurs de mobilité, coachs à la consommation, responsable du filtrage et de la protection des données…”

Les engagements des offices régionaux de l’emploi

Forem, Actiris et VDAB ont, chacun, annoncé vouloir prendre une série de mesures et d’engagements afin de tenter de combler les carences en compétences, actuelles et futures, suscitées ou aggravées par la numérisation des activités et industries.

Quelques exemples de mesures annoncées?

Du côté du Forem, on veut notamment s’appuyer et amplifier l’action et l’expertise acquise par les cellules de reconversion (constituées à la suite de précédents licenciements collectifs) en vue “d’adapter outils et méthodes au profit des travailleurs actifs. Autrement dit, ne pas attendre que les licenciements ou pertes d’emploi se produisent pour anticiper”, déclare Basilio Napoli, directeur général Stratégie au Forem. 

L’une des actions nécessaires consistera par ailleurs à se concentrer davantage sur les compétences que sur les métiers en tant que tels afin de faciliter reconversions et recyclages, “compte tenu du fait que transférer une personne d’un secteur vers un autre est surtout une question de compétences.”

Les capacités des centres de compétences [tels que Technifutur, Technofutur TIC ou Technobel en matière numérique] devront être renforcées afin qu’ils puissent intervenir davantage dans la prise en charge des personnes ayant déjà un travail. De même, “il faut agir davantage, éventuellement au niveau des réseaux européens d’organismes d’emploi, afin d’élargir leur rôle d’accompagnement vers l’emploi afin de maintenir et de développer l’employabilité de toute la population active.“ 

A Bruxelles, Actiris évoque deux mesures visant à élargir le socle de personnes employables. D’une part, en favorisant la mobilité trans-région [compte tenu de la réserve d’emploi existant en Flandre] et, d’autre part, en identifiant et accompagnant mieux les compétences latentes du côté des migrants. Agoria, de son côté, déploiera des actions destinées aux “Neets” (not in education, employment or training).

Du côté de la Région wallonne, le ministre Pierre-Yves Jeholet a indiqué avoir l’intention d’“inviter très prochainement les différents acteurs concernés, pour une présentation détaillée de cette étude ainsi que pour évoquer ensemble les différentes pistes pour accélérer la transition numérique et pour faire en sorte que les profils de compétences correspondent aux attentes professionnelles.”

Petit coup d’oeil du côté de la Flandre et des intentions du VDAB. Les engagements pris sont davantage orientés “activation” de chômeurs de longue durée, des Neets, des malades de longue durée (favoriser un retour anticipé vers le monde du travail), ou encore des femmes inactives issues de l’immigration… Sans oublier une action transversale pour tous les actifs, afin de préserver leur employabilité au travers d’une meilleure formation aux nouvelles technologies.

Les recommandations d’Agoria

Passons rapidement en revue les principales recommandations d’Agoria…
– mise à niveau spontanée et continue des compétences numériques des travailleurs actifs
– mieux communiquer, de manière ciblée, sur les opportunités du marché du travail
– élaborer des programmes de reconversion professionnelle (ou dans de plus grandes proportions); destinataires plus spécifiques: les demandeurs d’emploi et les “profils d’emploi menacés”
– stimuler une migration économique “ciblée”
– harmoniser davantage les filières d’études et l’adéquation entre choix d’études et secteur d’activités offrant des perspectives d’emploi
– augmenter les budgets pour les filières STEM (sciences, ingénierie, technologie, maths)
– donner aux compétences numériques – et connexes – une place plus importante dans toutes les filières d’études.