Un peu avant la trêve estivale, le gouvernement wallon décidait de trois mesures (voir encadré ci-dessous) destinées à mieux combler les vides laissés sur le marché du travail – et dans les capacités opérationnelles et concurrentielles des entreprises – par des “métiers en pénurie” qui ne parviennent pas à trouver suffisamment de profils et de personnes compétentes pour remplir les emplois vacants.
Selon les critères appliqués par le Forem, un métier est catégorisé comme étant “en pénurie” dès l’instant où, pour un même poste, il y a… 1,5 fois plus de candidats ou demandeurs d’emplois que d’offre.
Ce qui, d’ailleurs, laisse transparaître une inadéquation entre les profils disponibles et ceux recherchés…
Les trois mesures gouvernementales
– révision des conditions PFI (Plan Formation Insertion)
– incitant financier (prime de 350 euros) pour les demandeurs d’emploi qui réussissent une formation menant à l’un des métiers en pénurie
– opération “coup de poing”: formation “clé sur porte” organisée à la demande d’une ou plusieurs entreprises qui s’engagent à engager les personnes formées.
Ce mercredi, le ministre Pierre-Yves Jeholet (Economie) et les représentants de diverses organisations et fédérations sectorielles ont signé un Protocole d’accord afin de s’engager dans des actions concrètes visant à lutter contre les pénuries de main-d’œuvre. Elles s’engagent à sensibiliser leurs membres aux mesures décidées et à “collaborer avec les centres de compétence, le Forem, l’Ifapme et les à la mise en oeuvre de ces mesures.”
Parmi les signataires, citons notamment Agoria Wallonie, l’UWE, l’UCM, les fédérations Essenscia, Federgon, Febiac, l’UPTR, Indufed, Educam…
Mais c’est loin d’être le seul paramètre de définition d’un métier en pénurie. Il faut aussi compter avec les nouveaux métiers, qui surgissent et s’inventent tous les jours. Notamment dans le monde bouillonnant du numérique.
Par ailleurs, comme le souligne Thierry Castagne, directeur général (pour quelques semaines encore) d’Agoria Wallonie, le secteur IT/numérique est, comme certains autres, le témoin vivant d’une pénurie qui ne se traduit pas (entièrement) dans les chiffres et sur les tablettes du Forem (ou d’Actiris ou du VDAB).
Depuis des années, si ce n’est des décennies, on relève en effet dans le secteur une carence chronique de profils.
Derniers chiffres en provenance d’Agoria: environ 30.000 pour l’ensemble de la Belgique et quelque 5.000 pour la Wallonie.
Combien de ces postes à pourvoir tombent dans la catégorie “pénurie” (selon le critère du Forem)? “Sans doute de l’ordre de 8.000 pour la Belgique et de 1.500 pour la Wallonie”, estime Thierry Castagne.
Le Forem, pour sa part, ne liste que 4 métiers IT en pénurie : analyste IT, analyste business, développeur informatique, chef de projet informatique. Deux sont signalés comme souffrant de profils inadéquats: développeur Web et gestionnaire d’exploitation IT.
Six, c’est à la fois déjà quelque chose de significatif et fort peu au regard de la multitude de métiers et de profils numériques (ce numérique étant bien plus large et diffus que l’IT). C’est la preuve que les chiffres du seul Forem sont loin d’être le reflet fidèle de la réalité et qu’il est nécessaire d’affiner les intitulés et définitions de profils. Là aussi, un défi que l’on tente de relever de longue date et qui n’est sans doute pas prêt de disparaître…
Une carence croissante
La formule peut paraître éculée, voire facile, dans la bouche de certains: “les métiers en pénurie sont l’un des freins majeurs à la croissance économique et à la compétitivité des entreprises.” Mais le fait est que la pénurie pose réellement des problèmes: postes restant vacants, équipes incomplètes, forces vives qui manquent pour accepter ou honorer un contrat ou une commande, projets qui sont raflés par la concurrence belge ou, pire, étrangère, etc.
Petit témoignage d’une situation vécue – et toujours bien réelle – du côté de la société Sapristic/BiiON.
“Il y a chez nous pour l’instant 25 postes ouverts que nous ne parvenons pas à depuis pas mal de temps. Et c’est pour une mise immédiate en opérations: les projets de clients sont là”, déclare Jean Martin, directeur de la société (et par ailleurs président d’Agoria Wallonie) et administrateur à l’UWE.
De quels profils la société a-t-elle besoin? D’un peu de tout, en quelque sorte: informaticiens, électroniciens, roboticiens, compétences en automatisation d’environnements industriels (en tous genres)…
“Nous avons désigné trois personnes qui, à plein temps, recherchent de tels profils. Faire appel à des chasseurs de tête ne sert guère à grand chose, tant la pénurie est grande. En tant que PME, nous n’avons pas droit au même degré de service [d’un chasseur de tête] qu’une grande société…”, regrette Jean Martin. “Par ailleurs, passer des annonces, en ce compris via diverses plates-formes numériques, ne donne rien dans la mesure où les gens qui ont un emploi préfèrent la stabilité, rester là où ils sont.”
Jean Martin: “Nous sommes confrontés à une pénurie de profils IT et numériques d’une ampleur qu’on n’avait plus connu depuis 10 ans. Et elle va sans doute encore empirer à l’avenir”
Comment procéder dès lors? Au-delà de cette équipe interne de trois personnes, Sapristic/BiiON s’est tourné vers une jeune société locale qui avait démarré sur le créneau du référencement pour réseaux sociaux, à finalité marketing et commerciale, et qui désormais ajoute une corde plus RH à son arc. Mais toujours sur base de sa maîtrise desdits réseaux sociaux et canaux numériques.
Il s’agit en l’occurrence d’Universem, chargée par Jean Martin, depuis le mois de juin, d’écumer LinkedIn et Facebook à la recherche des profils en souffrance.
La société namuroise se charge de les repérer, de fournir une liste brute à l’équipe interne de Sapristic/BiiON qui prend le relais pour les prises de contact directes.
Lorsqu’il était encore à la tête de BSB Software, Jean Martin a vécu les affres de la croissance et de la recherche de profils qui se font rares. Il a aussi dû, à un moment donné, faire l’exercice inverse, réduire la voilure et remettre sur le marché pas mal de talents. Mais comment voit-il la pénurie actuelle de compétences et profils IT? “Elle est plus importante que ces dernières années et elle devrait encore empirer à l’avenir.”
La raison? “La reprise des activités, le fait que les carnets de commande se regarnissent” et qu’il faut donc pouvoir suivre… “Le seul véritable facteur freinant, actuellement, est véritablement le manque de profils. Nous sommes confrontés à un scénario qu’on n’avait plus connu depuis 10 ans. Nous allons être obligés de trouver des personnes ayant d’autres formations que les STEM (sciences, technologies, ingénierie, mathématiques) et les former nous-mêmes…”
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