Le projet était dans les cartons – et même dans les starting blocks – depuis quelques mois. Un financement accordé par le gouvernement wallon, en cette mi-juillet, lui donne officiellement le feu vert. INAH – acronyme de “Institute of Analytics for Health” – est un projet d’exploitation analytique sécurisée (lisez: confidentialité, anonymisation, neutralité, respect de la vie privée) des données médicales des citoyens wallons.
Bénéficiaires potentiels des traitements qui pourront leur être appliqués: les professionnels de la santé (hôpitaux, médecins…), les chercheurs, les patients eux-mêmes, mais aussi des entreprises commerciales – locales ou non.
Réforme de l’Etat et e-santé
Même si la santé est une compétence fédérale, certains pans de responsabilité et quelques champs d’initiatives ont été dévolus aux Régions et Communautés à l’occasion de la dernière Réforme de l’Etat. A la Région wallonne donc de s’occuper de médecine préventive et dépistage, de la dispensation des soins de première ligne (soins à domicile, réseaux locaux multidisciplinaires…), de droits des patients, de promotion de la santé, de lutte contre les assuétudes, de politique des personnes âgées et “long care”…
C’est dans ce contexte-là que le Plan Digital Wallonia, imaginé en 2015, consacre un chapitre à des initiatives de promotion et de déploiement d’usages numériques novateurs en matière de soins de santé. En particulier, pour “enrichir” certaines initiatives lancées par le Fédéral et pour “garantir l’exportation du savoir-faire wallon en matière d’e-santé”.
Trois axes étaient pré-esquissés dans le plan Digital Wallonia:
– prise d’actions qui soient cohérentes et viennent compléter le plan national eHealth 2013-201
– déploiement d’une vision dont les objectifs stratégiques structurants seront la promotion du Réseau Santé Wallon (RSW), l’accessibilité des soins pour tous et l’accès des patients à leurs données en-ligne (c’est plus précisément à cet axe que le projet INAH vient se raccrocher)
– mise en oeuvre d’un décret “portant sur l’e-health et, plus particulièrement, sur le rôle du RSW comme Hub régional et comme coffre-fort des données médicales informatisées”
A notre époque où l’analyse et l’exploitation des données deviennent un nouveau champ d’exploration et de valorisation à la fois pour des organismes sans but lucratif et des acteurs commerciaux et où le patient-consommateur devient de plus en plus acteur de sa santé et générateur de données santé, comment garantir le capital confiance entre patients et prestataires, pérenniser certains préceptes de base (respect de la vie privée, sécurité, confidentialité, confiance, proportionnalité dans les traitements de données…), tout en permettant que les données contribuent à l’amélioration des soins, à la découverte de nouveaux procédés, ou encore à l’optimisation des processus et des coûts dans un contexte budgétaire de plus en plus contraint?
Les données médicales ont une valeur, une importance qu’il s’agit de défendre – pour éviter les exploitations sauvages, non balisées, dont on a déjà eu un avant-goût ces dernières années… Mais cette valeur, cet intérêt doivent pouvoir être accessibles – à des conditions et degrés divers – par des chercheurs, les professionnels de la santé, des start-ups qui développent de nouvelles solutions, des sociétés pharmaceutiques, par les patients eux-mêmes (ces derniers étant propriétaires de leurs données, ne l’oublions pas…).
C’est tout cela que l’on retrouve comme éléments justificatifs du projet INAH (Institute of Analytics for Health). Imaginé par l’équipe du plan de redéploiement carolo CATch (Catalyst for Charleroi) et confié pour la réalisation technologique au centre de recherche Cetic, il est l’une des initiatives que la Wallonie désire déployer en matière d’e-santé.
De quoi s’agit-il ?
Pour l’instant, INAH est un projet, géré et piloté par le Cetic, qui entame sa phase-pilote (d’une durée de 6 à 12 mois). A terme, il faudra en définir le statut, les modalités pratiques, les parties prenantes, la responsabilité… Tout cela fera l’objet d’un des volets de la phase-pilote (voir ci-dessous).
La volonté est d’en faire un organe “au sein ou très proche du Réseau Santé Wallon”, plate-forme d’échange des données de santé entre les professionnels wallons du secteur de la santé, qui demeurera à la fois la colonne vertébrale du projet INAH, le garant de la qualité et sécurité des échanges de données, et le pourvoyeur de ressources (données, éléments d’infrastructure, outils, compétences…).
INAH se propose de devenir “une porte d’entrée, un “guichet” unique, opérant comme tiers de confiance, permettant de connecter les informations de tous les hôpitaux, docteurs traitants et autres sources [authentiques] de données santé”. Le but? Permettre à tous les bénéficiaires des services d’analyse prestés (professionnels de la santé, institutions publiques, chercheurs, sociétés commerciales…) de lui confier des missions d’analyse, de simulation, de tests de faisabilité de projets… en exploitant la totalité ou une partie des données santé des patients wallons tels que répertoriées dans le Réseau Santé Wallon mais en respectant des règles strictes de confidentialité et sécurité.
Exemples?
Un service hospitalier désire développer, valider, scénariser un nouveau concept ou parcours thérapeutique ou identifier une relation entre un certain type (profil) de patient et divers paramètres (âge, habitudes de vie…).
Une société commerciale désire pouvoir accéder à certaines données patient de la population wallonne ou d’une cohorte définie par certains paramètres afin de réaliser une analyse, une simulation… et valider ainsi la pertinence d’un nouveau service ou produit.
Un chercheur désire étendre son champ d’analyse en confrontant sa théorie à une plus grande masse de données objectives.
Un service public ou un prestataire de soins mène un projet de médecine préventive, voire prédictive, et désire pouvoir identifier et valider certains paramètres sur une large population, déterminer l’éligibilité d’un patient pour un traitement déterminé.
Autre scénario en mode médecine préventive: lancer un algorithme sur la masse des données santé afin d’identifier proactivement les individus présentant tel ou tel risque de développer telle ou telle maladie en raison d’une confluence de paramètres précis. Sur base du profil de risque qui s’en dégagerait, une alerte pourrait être envoyée ou une information serait accessible aux médecins traitants, quitte à eux de mettre en garde les patients dont ils s’occupent des risques identifiés de développer telle ou telle pathologie. Un processus qui permet de respecter la confidentialité des données et la vie privée de chacun.
INAH se propose donc d’être le prestataire neutre, indépendant, certifié qui prendra en charge la majeure partie du travail. Les requêtes sont définies par le demandeur. Les algorithmes éventuels viendront eux aussi des requérants (analystes, centres de recherche, sociétés privées…). Les demandeurs n’auront pas accès eux-mêmes aux données. Dès la demande formulée, c’est l’INAH qui entre en jeu et joue les go-between et qui prend en charge les différents volets de l’exécution de la requête: validation de la demande, application des nécessaires “verrous” éthiques et technologiques, connexion vers les différentes sources de données, préparation de ces dernières (vérification de qualité, formatage éventuel, anonymisation), traitement analytique (sur les sites où sont hébergées les différentes bases de données concernées), collecte et concaténation des résultats d’analyse distribuée, fourniture des résultats aux demandeurs.
Un “data lake” virtuel
Selon le principe-même du RSW (et des autres réseaux santé belges – voir encadré ci-dessous), les données santé ne sont pas échangées, transférées, amalgamées dans un quelconque silo, entrepôt ou “lac” de données. Le RSW joue le rôle de “hub”, de relais d’accès aux données santé, conservées auprès des prestataires professionnels (hôpitaux, médecins…). Il procure les outils et processus permettant par exemple d’interconnecter les Dossiers Médicaux Informatisés (DMI) des professionnels de la santé, en intra- et extra-hospitalier. Il sert, pour ceux qui ne disposent pas de serveur en-ligne, de plate-forme sécurisée d’hébergement de données de santé (InterMed). Pour en savoir plus sur la totalité des rôles joués et des services prestés par le RSW, un document détaillé peut être consulté à cette adresse.
Les réseaux santé tels que mis en oeuvre en Belgique sont des plates-formes d’échange des données de santé entre les professionnels du secteur. Le principe étant que les données demeurent gérées (et, pour beaucoup, localisées) chez les acteurs (hôpitaux essentiellement) qui prestent les soins. Le “réseau santé” se charge d’établir les connexions, de sécuriser les accès en fonctions de droits spécifiques (accordés aux professionnels et aux patients).
On dénombre cinq “réseau santé” en Belgique: le RSW – Réseau Santé Wallon -, Abrumet pour Bruxelles, et trois réseaux flamands (CoZo – Collaboratieve Zorgplatform) dans la région de Gand, ARH-Antwerpse Regionale Hub dans la région d’Anvers, et VznKUL- Vlaams Ziekenhuisnetwerk KU Leuven, dans la région de Louvain).
Au dernier décompte (chiffres datant de 2017), le Réseau Santé Wallon répertorie quelque 1,3 million de patients. 37 millions de documents (en tous genres) y sont répertoriés. Côté prestataires, on dénombre 37 hôpitaux généralistes inscrits, 2 hôpitaux spécialisés, 10 hôpitaux psychiatriques et 1.267 généralistes.
Tout cela signifie – il est utile de le rappeler – que les données sur lesquelles seront effectuées les requêtes, simulations et analyses demeurent là où elles sont stockées. Il n’y a pas de constitution de data stores spécifiques ou de data lake global. On se situe ici dans un scénario de “data lake” virtuel, avec distribution de l’analyse et des requêtes sur les bases de données existantes (distribuées, donc), selon le principe d’une fédération ponctuelle, éphémère, de bases de données. Avec sollicitation des capacités (et disponibilité) serveur des hôpitaux, éventuellement dans des tranches horaires précises.
C’est d’ailleurs là l’un des principaux défis du projet qui justifie d’en faire un projet de R&D financé par la Région et qui requiert l’intervention du Cetic. Notamment pour les mécanismes de distribution des requêtes sur les différents serveurs et bases de données, de synthèse des résultats…
Le Cetic mettra ses propres compétences à disposition mais fera aussi appel à des professionnels et experts externes (analystes, data scientists, professionnels de la consultance hospitalière…). Il lui reviendra aussi d’apporter son soutien actif aux hôpitaux pour la structuration normalisée des données (en respect des normes belges et internationales).
INAH sert à la fois d’intermédiaire, de pourvoyeur d’outils. Un prestataire de confiance, garantissant “transparence et étanchéité”, pour reprendre l’expression d’Augustin Coppée (CATch).
Quel que soit le statut futur d’INAH, ses instigateurs sont déterminés à préserver son indépendance et sa neutralité, un ancrage étroit au sein du RSW (qui a déjà mis en oeuvre nombre d’outils et processus essentiels – accès, échanges, protection des données…) et un rôle qui soit guidé par une notion de service public.
“Nous ne voulons pas devenir un instrument qui soit uniquement au service de sociétés privées”, déclare Augustin Coppée. “L’argent investi étant public, les efforts déployés doivent être finançables”, avec un ROI qui puisse par exemple s’exprimer en termes d’économies réalisées pour la sécurité sociale.
Par ailleurs, insistent en choeur Augustin Coppée et Jean-Christophe Deprez, coordinateur scientifique au Cetic, “INAH n’a pas pour vocation de devenir un validateur ou créateur de nouveaux algorithmes [du moins tant qu’un statut ad hoc n’a pas été défini]. Le but premier est de faciliter le contact entre professionnels de la santé et sociétés privées, d’accélérer les liens entre ces deux types d’acteurs, la livraison des résultats, dans une perspective d’amélioration des soins au patient.”
Et Augustin Coppée de poursuivre, en replaçant le projet dans son contexte Digital Wallonia: “nous voulons développer un outil qui renforce l’écosystème de santé wallon. C’est nécessaire d’avoir ce genre de projet, porteur, ambitieux, qui apporte une valeur spécifique et qui est soutenu par toutes les parties prenantes – hôpitaux, RSW, association de patients, gouvernement.”
Phase-pilote
Acteurs impliqués dans la phase-pilote d’INAH: le Cetic, qui sera le coordinateur et la cheville ouvrière du projet; le Réseau Santé Wallon (en la personne d’André Vandenberghe, assisté de plusieurs personnes de l’équipe du RSW); et trois hôpitaux-cobayes: le GHdC, Grand Hôpital de Charleroi), l’ISPPC (Intercommunale de Santé Publique du Pays de Charleroi) qui gère notamment le CHU de la ville, et le CHC (Centre Hospitalier Chrétien) de Liège. Ces trois établissements ont notamment été sélectionnés en raison de leur degré de maturité en termes de qualité de données et de masse de données et de scénarios de traitements suffisants pour effectuer des analyses big data.
Quatre projets-pilote ont ainsi été définis à ce stade. Ils ont pour cadre les domaines de l’oncologie et de la rhumatologie et le dépistage précoce notamment de diabète et du burn-out.
Deux sociétés wallonnes sont également proches du dossier: OncoDNA et DNAlytics. Pas encore d’implication réelle de leur part lors de cette première phase mais un partenariat en vue pour la suite, pour valider les concepts qui auront été développés.
Financement octroyé pour le gouvernement: 1,2 million d’euros. Ce budget servira en bonne partie à financer les ressources humaines à solliciter (Cetic, intervenants externes). “Les traitements et analyses se faisant sur des infrastructures pré)existantes – dans les hôpitaux et, pour partie, sur l’infrastructure du RSW -, les investissements nécessaires en matériels, pour les besoins du projet INAH, seront mineurs”, souligne Jean-Christophe Deprez. “Il s’agit surtout de financer les ressources humaines, les analystes – qu’ils opèrent au sein des hôpitaux, pour la structuration des données, ou qu’il s’agisse de spécialistes en structuration des résultats.”
Chef de projet INAH: Dr. Mohamed Boukhebouze, chef de département adjoint Software and Services Technologies au Cetic.
La première phase du projet, d’une durée de 6 à 12 mois, aura à la fois des finalités purement techniques et un volet plus opérationnel.
Côté technique, le but sera de développer les mécanismes et modalités d’accès et de traitement distribué de requêtes et de traitement analytique sur des données hétérogènes, par ailleurs, distribuées. Certains mécanismes existant déjà au niveau du RSW devront évoluer et/ou être renforcés. Le Cetic devra notamment plancher sur les processus de distribution des analyses, sur les échanges d’informations entre les divers “segments” d’analyse, sur la qualification des résultats…
Un comité éthique veillera à la confidentialité des données et à la validité des types de requêtes et d’analyses sollicitées. Un groupe de travail se concentrera sur l’aspect qualité des données.
Côté mise en oeuvre, il s’agira de définir les modalités et conditions d’un déploiement généralisé: modèle d’affaire, coûts (infrastructure, outils logiciels, ressources humaines), ébauche d’un scénario de financement récurrent, modélisation des ressources nécessaires pour effectuer différents types de requêtes et analyses, statut et forme juridique future d’INAH, conditions de financement et de “rentabilité” des missions d’analyse…
L’une des tâches consistera également à “évangéliser” les bienfaits de l’informatisation et des processus et données numériques auprès des hôpitaux. En la matière, bien des progrès demeurent à faire, en termes de structuration (standardisée) des données, de vérification de leur qualité, de renforcement des capacités des serveurs à traiter les big data et les requêtes analytiques…
La phase suivante de déploiement généralisé concerna en priorité les établissements hospitaliers, médecins généralistes et professionnels de santé opérant sur le territoire wallon mais se fera aussi dans une perspective d’intégration avec “tout projet, base de données, méthode d’échange de données ayant pour cadre la Région, le niveau fédéral [on pense notamment au projet healthdata.be] ou l’international”, souligne Jean-Christophe Deprez.
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