Maison des Maths: l’équation impossible?

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Par · 18/06/2018

L’espoir était à son comble voici encore quelques mois du côté de la Maison des Maths à Quaregnon. Cette initiative, lancée en 2015 par l’asbl Entr’Aide, anime un espace entièrement consacré à “l’expérimentation, la découverte et la modélisation [ateliers ludiques actifs] des expériences mathématiques.” Le public ? Des élèves et étudiants – de la maternelle aux futurs enseignants – mais aussi leurs familles ou de simples citoyens lambda, quel que soit leur âge, désireux de donner libre cours à une curiosité matheuse souvent insoupçonnée, voire refoulée, etde découvrir, par l’expérimentation ludique, ce que les mathématiques permettent de faire dans de multiples situations.

A plusieurs reprises, l’asbl avait été sur le point de jeter l’éponge, arguant de sérieux problèmes financiers dus à un manque de financement structurel, demandé de longue date à la Fédération Wallonie-Bruxelles qui octroie à ce genre d’initiatives un certain quota d’enseignants détachés.

Pourquoi ce regain d’espoir? Pour deux raisons, essentiellement. Primo, parce que son initiateur, Emmanuel Houdart, avait été désigné Wallon de l’Année. Et deuzio – et surtout -, parce que, lors de la remise du coq emblématique, le message était très officiellement venu du gouvernement wallon (trois ministres étaient présents!) que, non seulement, le projet était vertueux et digne de support mais qu’un décret permettrait de pérenniser l’initiative, voire même de l’étendre par le biais d’une extension mobile, sillonnant tout le territoire wallon.

La Fédération, disait-on également en mars, passerait elle aussi un décret, pour apporter sa part de garantie à la poursuite des activités.

Emmanuel Houdart, de son côté, rêvait déjà de donner une petite soeur à son initiative qui s’intéresserait non plus à la découverte des maths mais à celle du code et de la programmation… Il nous en avait parlé lors d’une interview (à redécouvrir ici).

Et vlan, retour de l’embardée

Voici quelques semaines, toutefois, Emmanuel Houdart annonçait l’arrêt de la Maison des Maths, se plaignant d’un manque total de signal positif ou d’avancée du dossier. Et d’une situation financièrement (personnellement) intenable. Ce faisant, il prenait tout le monde de court – non seulement les enseignants détachés mais aussi, nous dit-on, ses propres associés.

Maison des Maths. Des soucis de gouvernance, du côté de la direction de l’asbl (dont Emmanuel Houdart, ici sur la photo), qui posent problème aux instances officielles…

Que s’est-il passé – et que se passe-t-il encore, à l’heure actuelle, dans ce dossier qui semble particulièrement complexe et délicat?

Côté face (positif), tout le monde qui a suivi de près ou de loin cette initiative se dit convaincu de l’intérêt pédagogique des animations et des activités qui sont menées par la Maison des Maths – et salue la motivation à la fois de l’équipe de l’asbl et des enseignants qui s’investissent à longueur d’année. Sur ce point, Fédération et Région sont d’accord.

Côté pile (c’est là que les choses s’embrouillent), la gouvernance du projet et de l’asbl qui le porte semble poser problème aux autorités publiques. C’était déjà, depuis longtemps, le reproche majeur que faisait la Fédération. Et, après avoir (mieux ou plus longuement) étudié le dossier, la Région (en l’occurrence, essentiellement le cabinet du ministre Pierre-Yves Jeholet) se range désormais apparemment aux côtés de l’avis de la Fédération.

Stabiliser voire assainir la situation

Tous les professeurs détachés, que la Fédération avait octroyés au fil des ans et encore cette année à l’initiative (ils étaient 13 pour l’année scolaire 2017-2018) ont été payés par la Fédération mais celle-ci attend d’être remboursée par l’asbl. En effet, lors de la convention passée à l’origine, il avait été entendu qu’il y aurait bel et bien remboursement, sur base de ce que les écoles paient pour les activités organisées par la Maison des Maths et sur base des financements privés reçus.

La facture est donc gigantesque pour l’asbl, d’autant plus qu’il faut y ajouter les coûts immobiliers (avec des emprunts contractés pour partie à titre personnel par plusieurs personnes impliquées dans l’asbl Entr’Aide).

Ce sont les détails, dessous et mécanismes de financement et les flux financiers internes qui semblent intéresser – et fâcher – les instances publiques.

Une situation que tant la Fédération que désormais la Région exigent d’être clarifiée, stabilisée voire assainie avant de relancer l’initiative en débloquant le dossier (octroi de moyens financiers, humains, voire logistiques).

Et la position n’est guère différente du côté des Amis de la Maison des Maths, un cercle d’acteurs privés qui soutiennent le principe pédagogique et le concept de l’initiative. Et ce ne sont pas des “bras cassés” ou des illuminés qui en sont membres. Jugez plutôt. On y trouve des représentants d’Agoria, du groupe Frère, du groupe Mestdagh, Luc de Brabandère, Pierre Rion… 

La volonté – nous assure-t-on de toutes parts, en ce compris donc du côté du cabinet Jeholet et des Amis de la Maison des Maths – est bel et bien de poursuivre, de pérenniser, et si possible d’étendre les activités. Si le côté purement financier/budgétaire/administratif est réglé à temps, un redémarrage pourrait être possible à la rentrée… même si les délais paraissent courts, surtout pour disposer de suffisamment de professeurs détachés. Sinon ce serait pour 2019.

Questions: avec une nouvelle asbl? avec une nouvelle équipe aux rênes? avec quelle répartition des moyens financiers entre Fédé, Région et privé?

Autant de questions restant, pour l’heure, sans réponse claire. “Mais on y travaille”, assure-t-on du côté des Amis de la Maison des Maths. Plusieurs scénarios sont aussi à l’étude du côté de la Région, qui pourrait faire entrer dans la danse l’un ou l’autre acteur local déjà impliqué dans la sensibilisation et la formation des jeunes aux compétences nouvelles (informatiques et autres). Un acteur qui pourrait contribuer à résoudre l’embrouillamini actuel – tant d’un point de vue pilotage pédagogique, ancrage immobilier et financement partagé entre Région et Fédération.

L’idée d’une “Math Mobile” (ou MathLab) n’est pas oubliée elle non plus. Elle pourrait en fait être une sorte d’alibi ou d’argument supplémentaire permettant de faire co-financer l’initiative, côté public. Du genre pas toutes les ressources pour une seule structure géo-concentrée sur le seul site de Quaregnon… 

Qu’en dit Emmanuel Houdart?

Le scénario se dirigera-t-il vers une mise à l’écart ou une sorte de rétrogradation de l’équipe actuelle (Emmanuel Houdart, Geoffrey Delcroix)? Sont-ils prêts à faire un pas de côté, quitte à remplir d’autres rôles – purement pédagogiques par exemple?

Du côté d’Emmanuel Houdart, on se dit prêt à revoir certains éléments. “Nous pourrions nous en sortir, être financièrement indépendants [Ndlr: en bénéficiant certes d’un appui du privé et de dons] si les enseignants étaient mis à disposition gratuitement.”

Emmanuel Houdart. Demeurer spontané, inventif tout en respectant un cadre. La chose est-elle possible?

Il se dit également prêt – et même “demandeur” – à faire l’objet d’un suivi, d’un encadrement. “Si on me dit, vous avez droit à 14 personnes et pas une de plus, OK, je sais rentrer dans un moule. Je ne suis pas inconscient, je sais rentrer dans le rang. Pour autant qu’on me laisse ma liberté pédagogique…”

Mais sera-ce suffisant aux yeux des responsables de la Fédération et de la Région? Pas sûr. Le sentiment y est plutôt qu’il faut nettoyer la situation plus en profondeur, garantir des bases de meilleure gouvernance. 

En termes d’“encadrement”, on sent plutôt le climat pencher vers du recadrement, voire de la rénovation de fond en comble. Notamment, entend-on à plusieurs sources, parce que la confiance a été rompue et que certaines promesses de stabilisation antérieures n’ont guère tenu la distance.

Mais il faudra aussi, parallèlement, veiller à ce que les éléments qui ont conduit à la réussite pédagogique de la Maison des Maths ne soient pas perdus dans la manoeuvre. Gare, comme l’évoque Emmanuel Houdart, à ce que ce projet ne devienne “un projet comme un autre, sans saveur, sans force. A la Fédération, ils ne se demandent pas pourquoi ça marche…”

En réalité, les termes de l’équation sont bel et bien connus. Le souci réside plutôt dans leur agencement et dans la faculté – qu’il faudra concrétiser – d’empêcher l’une ou l’autre inconnue de devenir trop variable ou imprévisible. Et vice versa…