Quand Xavier Niel passe à l’Ecole 19

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Par · 26/05/2018

Inauguration officielle, ce vendredi 25 mai à Uccle, de l’Ecole 19, copie conforme belge de l’Ecole 42 de Paris, dédiée à l’apprentissage de compétences en développement informatique.

Une inauguration en présence de Xavier Niel, fondateur de l’Ecole 42 et par ailleurs patron de l’opérateur français Free. Un fondateur qui a eu droit à un accueil plutôt chaleureux de la part des jeunes déjà inscrits à l’école uccloise (150) dont une centaine terminaient, la semaine dernière, leur “bizutage” –  pardon! leur période de décrassage et de sélection dans ce que l’Ecole a coutume d’appeler la “piscine”. Autrement dit, 30 jours de challenge et d’évaluation, sous forme de tests de logique, d’épreuves, de défis mesurant leurs capacités… Plus de détails sur la première cohorte et ce qu’il en adviendra à court terme plus loin dans cet article.

Dix partenaires

Pour son démarrage, les fondateurs de l’Ecole 19 – s’appuyant largement sur le “track record” de l’Ecole 42 de Paris, les résultats qu’elle a déjà obtenus et sur l’image et la réputation de Xavier Niel et de son initiative – ont réussi à convaincre 10 acteurs privés belges de devenir partenaires – financiers, bien sûr, mais pas que.

Ces dix sponsors sont Belfius, Deloitte, Besix Group, RTL Belgique, Proximus, GBL, 4Wings Foundation, De Persgroep (avec lequel une version néerlandophone du programme Ecole 19 pourrait voir le jour), UCB et Solvay.

Avantages et éventuelles obligations de ces partenaires: au-delà de leur investissement purement financier, “nous entretenons avec eux des relations de pair-à-pair”, déclare Stephan Salberter, directeur de l’Ecole 19. “Ils viennent par exemple organiser des conférences et ateliers, sur le campus, au profit des apprenants, peuvent nous proposer des projets et, bien entendu, accueilleront des stagiaires qu’ils pourront ainsi tester et, qui sait?, embaucher…”

“Régénérer l’IT”

Pourquoi ces sociétés se sont-elles engagées dans l’aventure de l’Ecole 19 et qu’en attendent-elles en retour? Deux témoignages. Celui de Dominique Leroy, CEO de Proximus, et celui de Didier Malherbe, administrateur délégué d’UCB Belgique.

Bien qu’évoluant dans des secteurs bien différents, ces deux sociétés confirment la réalité ambiante d’un manque de “talents numériques”. 

Xavier Niel (Ecole 42, Free) et Dominique Leroy (Proximus): le premier franchise son modèle d’école de programmation, la seconde sponsorise la version belge.

Pour Dominique Leroy, l’un des intérêts de l’Ecole 19 est de proposer un cadre pédagogique éloigné du cadre traditionnel: pas de cours ex cathedra, un apprentissage entre pairs où les apprenants s’épaulent mutuellement, travaillent par projet. Le type d’apprenants que l’Ecole (qu’elle ait le matricule 42 ou 19) veut en effet attirer sont notamment des jeunes “en décrochage scolaire ou sociétal, des étudiants peu adaptés, déçus, voire dégoutés, au système éducatif traditionnel”.

“C’est une bonne chose qu’il existe une école vers laquelle des jeunes qui se sentent mal à l’aise dans les formations classiques peuvent se tourner”, souligne Dominique Leroy.

La méthode pédagogique et la non-officialisation des compétences acquises seront-elles compatibles avec un recrutement par Proximus? “Nous sommes en tout cas très intéressés par l’initiative. On verra certes avec le temps mais sur base de ce qu’on a vu se faire à Paris, la formule est intéressante… On pourra d’ailleurs juger de l’efficacité de la formation au travers des stages. On décidera alors potentiellement d’engager.”

Au-delà des compétences purement IT (design, programmation…), un autre aspect de la formation méthode 42/19 lui semble essentiel. “Les participants apprennent aussi à vivre ensemble, en communauté, à s’entraider. C’est important et de plus en plus. Dans le cadre de leur travail, les développeurs, les informaticiens sont appelés à travailler en binôme – avec le business, avec le client. Fini le temps où le programmeur vivait en reclus derrière son écran. La formule de l’Ecole 42 les rend sociables, leur procure des soft skills.”

L’appartenance ne fait aucun doute…

Didier Malherbe, administrateur délégué d’UCB Belgique, attribue des qualités assez semblables à l’initiative. “Chez UCB, nous comptons 250 informaticiens, sur un total de 7.500 personnes. Nous sommes sans cesse en quête de nouveaux talents. Le monde de l’IT et de la médecine se rapprochent de plus en plus – voyez le big data, l’intelligence artificielle, les applications que nous devons développer pour nos clients…

Ce dont nous avons de plus en plus besoin, c’est de jeunes qui pensent out of the box, qui puissent venir régénérer notre équipe IT. Aujourd’hui, les job descriptions sont largement vierges. Ils ne disent pas à la personne qu’on recrute ce qu’elle doit faire. C’est à elle de trouver sa place, de se créer son job, de la valeur ajoutée. Nous sommes donc demandeurs de jeunes qui peuvent se prendre en charge et prendre des initiatives.”

Dominique Leroy voit quant à elle dans l’existence-même d’une école de code telle que l’Ecole 19 et dans l’engouement qu’elle suscite – ainsi d’ailleurs que dans la pénurie de vocations -, la preuve qu’il faut repenser l’enseignement tel qu’il existe.

Pour l’heure, l’initiative d’un renouveau vient clairement du privé (l’Ecole 42 ou 19 ne “fraye” pas avec des acteurs publics de l’enseignement). “Peut-être faut-il en effet que l’initiative vienne du privé, quitte à ce que ce soit copié par le public ensuite”, déclare Dominique Leroy. Regrette-t-elle que le public ne puisse pas être associé au modèle 42? “Le fait pour Xavier Niel de garder la chose dans la sphère privée tient sans doute d’une volonté d’aller vite, de préserver le modèle, sans les contraintes [ou, ajouterons-nous, les lourdeurs] des instances publiques.”

Les premiers pas de l’Ecole 19

L’Ecole 19 démarrera réellement ses formations – d’une durée de 3 à 5 ans, selon les capacités de chacun – en septembre prochain. Pour l’heure, elle en est encore au stade de la sélection des apprenants qui formeront la première promo.

Dans un premier temps, 150 candidatures ont été enregistrées. Une centaine d’apprenants ont bouclé la phase éliminatoire de la “piscine”. Trop tôt encore pour déterminer combien seront retenus, sur base de l’évaluation des exercices et tests effectués au fil du mois de “piscine”.

L’objectif est de démarrer, en septembre, avec 150 apprenants. Pour y arriver, deux nouvelles cohortes seront accueillies en juillet et août et plongées dans la piscine…

“Profil” des 150 premiers inscrits, venus des quatre coins de la Belgique francophone: 70% de chercheurs d’emploi, 20% d’étudiants (qui s’étaient engagés dans d’autres études), 10% de personnes ayant déjà un travail (et qui se sont donc mises en congé, pendant un mois, pour pouvoir tenter leur chance).

Moyenne d’âge: 23 ans (le plus jeune à 18 ans, le plus âgé 30 ans – pile dans la “fourchette” prévue par l’Ecole).

Côté pourcentage féminin, on est très – très – bas: 4 inscrites seulement sur un total de 150. C’est vraiment très peu. “Mais il devrait y en avoir plus dans les deux séries à suivre, notamment grâce aux actions de promotion et de visibilité organisées par le réseau Women in Tech et Actiris”, affirme (ou espère?) Stephan Salberter. 

100 “lessivés”

Cent inscrits ont bouclé la période “piscine”, plongés pendant un mois – du 30 avril au 25 mai – dans un intense programme de tests et d’évaluation.

Photo de groupe pour les premiers inscrits, après immersion d’un mois dans la “piscine” (mécanisme d’évaluation et de sélection).

Combien seront retenus? L’analyse de leurs “performances” le déterminera. La sélection s’effectuera selon trois critères, explique Stephan Salberter: “leur réussite aux tests et exercices, leur évolution tout au long des quatre semaines – ont-ils bien progressé, rapidement, comment… pour franchir des niveaux ? -, et leur comportement.”

L’une des originalités de la “méthode Ecole 42” est en effet de jauger également l’apprenant sur “la manière dont il vit, au quotidien, sa relation avec les autres, son rôle dans la communauté, comment il participe ou non à la vie de l’école”. Petit exemple de règle à suivre: consacrer deux heures par semaine à des travaux d’intérêt général – notamment des tâches d’entretien des locaux. “Ce n’est pas obligatoire mais c’est observé”, indique Stephan Salberter. “Et cela se fait toujours en groupe.”

Cela participe à l’acquisition de soft skills, d’aptitudes relationnelles qui, comme on l’a vu plus haut, dans la bouche de Dominique Leroy, patronne de Proximus (l’un des sponsors de l’Ecole 19), est quelque chose que les partenaires (et possibles futurs recruteurs) apprécient à leur juste valeur… [ Retour en début de texte ]