Les 24 projets-pilote “santé mobile” ont rendu leur verdict

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Par · 09/03/2018

Début 2017, 24 projets-pilote m-health (lisez: des solutions s’appuyant sur des applis d’e-santé mobiles) se lançaient dans une phase d’expérimentation de six mois. Initiés par le Cabinet de la Ministre de la santé Maggie De Block et le SPF Santé, ils avaient préalablement été sélectionnés sur base des diverses propositions formulées suite à l’appel à projets lancé fin juin 2016. Relire notre article “24 projets m-santé au banc d’essai. En jeu: validation et remboursement”.

Ces 24 projets couvraient quatre grandes thématiques: l’organisation des soins (communication, téléconsultation…), l’aide à la formulation d’un diagnostic, l’accompagnement de patients à divers stades de leur trajet de soins (post-hospitalisation, rééducation fonctionnelle…) et l’implication active des patients dans le déroulé de leur traitement.

Analyse en deux phases

Source: Agoria

Une première évaluation intermédiaire avait été faite l’automne dernier. Parmi les premiers constats tirés, les responsables pointaient notamment la flexibilité que procurent des contacts à distance, une “vue plus complète, et donc meilleure, sur les paramètres de santé à suivre”, un sentiment de meilleur encadrement (du point de vue du patient) et davantage d’implication (toujours vu du patient).

Aujourd’hui, une série de conclusions définitives ont été rendues publiques. On y trouve à la fois des constats somme toute évidents (du genre “les meilleurs projets étaient ceux dans lesquels toutes les parties concernées étaient représentées” ou “pour garantir un confort d’utilisation, l’application doit être facile à utiliser et sécurisée”) mais aussi, de manière plus fondamentale et “procédurale”, une évaluation de l’impact “économique” potentiel de ces applis de m-santé (possible “remboursabilité” ou non?).

Des patients toujours réticents

L’un des constats qu’ont permis de poser certains projets, c’est que, d’une manière générale, une frange certes minoritaire mais non négligeable des patients-cobaye sollicités ont refusé ou se sont dits “pas intéressés” par un recours à une appli m-santé. “Mais cela dépend beaucoup du type de projet, et des contraintes qu’implique la solution”, souligne Eric Van Der Hulst, conseiller externe auprès du cabinet de Maggie De Block et par ailleurs directeur de programme Santé chez iMinds, centre d’expertise et de recherche numérique.

Eric Van Der Hulst: “L’utilisation d’applis n’apportera jamais rien si les choses n’évoluent pas du côté de l’organisation des soins.”

“Les refus dépendent souvent de la manière dont on a présenté les choses, de ce qu’on demande au patient, et aussi de la technicité du logiciel” (voir plus bas).

De même, en fonction de l’état médical du patient ou du stade d’évolution de la maladie, une appli e-santé est parfois jugée inutile. “A un certain stade, par exemple en fin de vie ou à un stade très sérieux d’une maladie cardiaque, cela ne sert à rien de donner d’autres outils. Soit parce que c’est trop tard, soit parce que le stade est trop compliqué pour que les patients puissent encore être motivés à utiliser une appli…”

Autre précaution dans l’interprétation des résultats: si la majorité des patients participants se sont dits satisfaits de l’expérience, c’est aussi, souligne Eric Van Der Hulst, parce qu’ils avaient tout à y gagner: “l’expérience leur apportait quelque chose de plus et ils ne devaient pas payer…”.

Il relève aussi que “l’utilisation d’applis n’apportera jamais rien si les choses n’évoluent pas du côté de l’organisation des soins. En matière d’utilisation d’applications comme de soins intégrés, aucune plus-value n’est possible si les communications et la collaboration entre professionnels des soins ne s’améliorent pas.”

Appli facile, non contraignante, sinon passez votre chemin

En comparant les résultats engrangés par les différents projets, on a pu observer que le degré de simplicité et de facilité d’utilisation joue un rôle majeur dans l’adoption et l’usage effectif de la solution. Cela peut paraître une évidence mais certaines manipulations, qui peuvent paraître insignifiantes ou allant de soi à ceux qui sont plus technophiles, constituent un obstacle devant lequel d’autres bloquent carrément. “Plusieurs projets cardio mettaient à disposition des outils, tels que des balances et capteurs, mais où il suffisait au patient de brancher un routeur, comportant une carte 4G, pour que tout se passe automatiquement. Beaucoup de patients impliqués dans ces projets ont joué le jeu.”

“L’implication importante du patient constitue l’un des avantages majeurs. Les patients qui utilisent une application suivent mieux leur traitement, se sentent en sécurité et mieux soutenus du fait que les professionnels des soins de santé suivent le tout à distance.”

“Par contre, d’autres projets exigeaient un minimum d’installation, le chargement d’un appli, la nécessité d’installer un navigateur spécifique… Là, on a essuyé davantage de refus”, indique Eric Van Der Hulst. Qui en déduit que la solution doit réellement être la plus facile possible à utiliser.

Or, il est certaines contraintes dont on ne peut se passer mais auxquelles il faut aussi apporter une solution. Exemple typique: l’authentification du patient. A la fois pour contrôler que les mesures relevées viennent bien de la bonne personne et pour éviter tout problème de sécurité ou de confidentialité. “En matière de santé, il faut une authentification forte, avec identification certaine du patient, recours à la carte d’identité numérique, introduction d’un code… C’est là quelque cbose qui rebute fortement, en particulier à partir d’un certain âge.”

Pertinence financière?

Dans ses conclusions globales, le rapport indique que dans environ 50% des projets-pilote, des avantages “économiques” et/ou médicaux divers ont pu être relevés, allant d’un nombre de consultations non planifiées en baisse jusqu’à une diminution du nombre de journées de soins à l’hôpital (on sait que c’est là un objectif prioritaire des autorités publiques), en passant par une médication plus pertinente et une réduction des situations d’urgence ou du nombre de complications.

Source: Healthology

Toutefois, les auteurs du rapport reconnaissent que “la durée de six mois [durée des projets-pilote] était trop courte pour pouvoir rassembler suffisamment de preuves cliniques”.

Explication par Eric Van Der Hulst. “Pour certains projets, il est difficile de déterminer le rapport coût-bénéfice et de tirer des conclusions parce que les malades participants étaient trop peu nombreux et la durée de test trop courte.

Pour certaines pathologies, les complications et dès lors le besoin de réhospitalisation ne se manifestent qu’après six mois. Un test-pilote d’une durée de 6 mois, comme ce fut le cas, ne permet donc pas de juger de la pertinence ou de l’efficacité de l’utilisation d’une appli et, dès lors, de juger de son effet sur la charge financière à terme.

Les projets qui ont pu dégager les conclusions les plus probantes furent ceux qui s’appuyaient déjà sur des études cliniques préexistantes.” Ce fut notamment le cas du projet “Stay On Track/AMTRA” (Ambulant Monitoring of cancer Therapy using smaRtphone Application). Etablissements concernés: AZMM Gand, UZ Anvers, AZ Monica Antwerpen, AZ Heilige Familie Reet, CHU UCL Namur et le GHdC (Grand Hôpital de Charleroi).

Comment dès lors ne pas mettre à la poubelle les données et conclusions des projets jugés “trop courts”? “D’un point de vue impact financier, il y a encore beaucoup de choses à faire. Pour l’instant, les résultats ne sont souvent pas suffisants pour pouvoir décider si un remboursement [par la sécurité sociale] se justifie. Mon espoir est que l’Inami enclenche un processus itératif afin de pouvoir réévaluer les conditions et les résultats après une période de 6, 9 ou 12 mois…”

Projets cherchent bonne(s) volonté(s)

Qu’attendre de l’Inami alors qu’une décision en termes de remboursabilité semble difficile dans l’état actuel des choses? “L’Inami demandera sans doute parfois que des études cliniques plus poussées soient menées. Mais cela nécessitera plus de temps et de l’argent. Mon espoir est que l’Inami en liaison avec le Cabinet [de Maggie De Block] prenne un petit risque. Par exemple, pour octroyer un petit remboursement sur une durée d’un an pour une population de patients déterminée. Cela permettrait d’étendre l’expérience sur une population plus importante [que celle du ou des tests-pilote]. Ce qui est en jeu, ce n’est plus l’évidence médicale mais l’évidence statistique.

Eric Van Der Hulst: “Ce qui est en jeu, ce n’est plus l’évidence médicale mais l’évidence statistique.”

On peut aussi imaginer une démarche de remboursement temporaire, avec réévaluation tous les ans.”

Certains premiers résultats encourageants doivent d’ailleurs être confirmés par un échantillonnage plus large. L’un des projets [en cardiologie] a procédé par comparaison d’impact entre un groupe de patients disposant de l’appli et un autre qui en était dépourvu. “Sur un échantillon de 100 patients, on a pu déterminer que le nombre de jours de réhospitalisation était de 4 dans le premier groupe et de 16 dans le second. C’est un effet clairement positif mais ce qui risque de fausser l’analyse, c’est le fait que, potentiellement, ce sont les plus motivés qui se sont retrouvés dans le “meilleur” groupe.” Le terme “motivés” se rapportant notamment ici au taux d’implication qu’un patient met dans le suivi régulier de ses soins et de sa santé. Un facteur qui influence sensiblement les résultats, qu’on utilise ou non une appli.

En attendant une prise de position par l’Inami, certaines mutualités pourraient-elles prendre les devants? C’est déjà le cas, en Flandre, de Partena Onafhankelijk Ziekenfonds qui rembourse (partiellement) l’appli FibriCheck (nous vous en parlions dans notre article Mutualités libres: l’innovation devra venir de la co-création). 

Pour Eric Van Der Hulst, une intervention des mutuelles est quelque chose qui pourrait se concrétiser. “Les mutualités peuvent en effet considérer que certains aspects rendent tel ou tel projet intéressant. En favorisant par exemple un retour au travail plus rapide, grâce à une appli aidant le processus de rééducation. Un retour plus hâtif implique moins de dépenses pour elles. Cela vaut donc éventuellement le risque de payer ou de rembourser une appli. Et c’est là un calcul que l’Inami ne peut pas faire puisque le budget dépend d’un autre Ministre.”

Quid des assurances? “Je n’ai pas encore reçu de signaux positifs venant d’elles”, indique Eric Van Der Hulst. “Mais il y a de l’espoir, à mes yeux, car plusieurs projets [orientés cardiologie] ont démontré une diminution des réhospitalisations. Une appli de suivi des femmes enceintes pourrait aussi avoir de sérieux impacts sur la limitation de certains risques.” Mais d’ajouter: “du côté des assurances, il leur faudra sans doute d’abord combiner usage d’une appli et police d’assurances. Et, dans ce registre, les choses ne bougent pas vite pour du home care…”

Stop ou encore?

Que deviendront les 24 projets-pilote? Deux ont été arrêtés prématurément, par manque de base suffisante ou de sérieux problèmes techniques. Les 22 autres, de toute façon, ne sont plus supportés financièrement par le fédéral puisque la phase de test, pour laquelle un budget avait été débloqué, est terminée.

Tout prolongement dépendra donc des sources de financement que certains pourront – ou tenteront de – trouver. “Certains se sont mis en quête de financements alternatifs, en attendant une décision sur le remboursement. D’autres se sont d’ores et déjà arrêtés parce que l’hôpital ne peut plus payer les médecins et infirmières qu’il mobilisait pour le projet.”

A noter que certains projets portaient sur des applis qui – la chose est déjà certaine – ne peuvent donner lieu à des remboursements. Notamment pour un traitement par un psychologue (projet d’appli permettant de préparer une consultation avec ce spécialiste).

Certains projets, même d’ampleur modeste, ont donné des résultats potentiellement prometteurs en termes d’économies possibles pour la sécurité sociale. C’est le cas, selon Eric Van Der Hulst, du projet SleepCloud (surveillance du sommeil), porté par le CHU de Liège. “Le port d’un masque connecté qui collecte des données permet de réduire d’une journée le séjour à l’hôpital. Le projet a permis de prouver qu’une surveillance à distance à domicile était possible”. Mais voilà… “cela risque de provoquer une réaction négative du côté des pneumologues qui risquent d’estimer que cela empiète sur leurs prérogatives et la raison d’être de leur intervention…”

Des projets lacunaires

Les tests ont par ailleurs permis de faire émerger certaines lacunes ou conceptions trop peu conviviales. Par exemple, des données insuffisamment partageables ou accessibles (aux personnes autorisées) ou encore des formats de données trop spécifiques, interdisant l’ajout automatique au DPI (dossier patient intégré) hospitalier. Sans parler des projets qui n’ont pas réussi à se constituer un pool d’expérimentation (nombre de patients) suffisant pour pouvoir dégager ne fut-ce que des indications minimales.

Un autre travers généralisé, aux yeux d’Eric Van Der Hulst, est la trop grand segmentation (spécialisation) des applis. “Une appli se concentre généralement sur une seule pathologie. Cela implique qu’en cas de multi-morbidité [coexistence de plusieurs maladies], le patient doive utiliser plusieurs applis, rentrer plusieurs fois ses données et paramètres. En Flandre, les réseaux santé [Ndlr: le CoZo – Collaboratieve Zorgplatform – dans la région de Gand et VznKUL – Vlaams Ziekenhuisnetwerk KU Leuven – dans la région de Louvain] s’orientent vers une appli pouvant être élargie au suivi d’autres pathologies que celle d’origine et qui est intégrable au DPI (dossier patient informatisé) de l’hôpital. Je n’ai pas encore réellement vu ce genre d’initiative du côté wallon…”

Prochaine étape?

Outre les décisions côté remboursement, le sort réservé au phénomène des applis santé passera aussi par la mise en oeuvre du principe de “Pyramide de validation” (encore à affiner et entériner) que le cabinet de Maggie De Block dévoilait récemment. Relire notre article.

Cette pyramide, pour rappel, est structurée en trois niveaux:

  • niveau 1: respect de critères de base: fonctionnement correspondant aux fonctionnalités annoncées, respect de la réglementation en matière de vie privée et de sécurité des données
  • niveau 2: applis pouvant communiquer avec d’autres applications de santé mobile officielles dans notre pays (d’autres conditions doivent encore être définies)
  • niveau 3: applis “dont l’utilisation a démontré une plus-value sur le plan économique de la santé”. Elles seules donneraient droit à un remboursement, selon un “modèle de financement sur mesure”.

Il ne faut sans doute pas s’attendre à un catalogue riche en applis jugées “aptes pour le service” et remboursables. “D’autres pays – Espagne, Royaume-Uni… – procèdent à des tests sur une population de patients nettement plus large et pour des centaines voire des milliers d’applis”, commente Eric Van Der Hulst. “J’estime que, pour la Belgique, il y a sans doute entre 5 et quelques dizaines d’applications intéressantes. Et je serais déjà très content s’il était possible de faire franchir tout le processus de certification à ces quelques applications, jusqu’au niveau donnant droit à remboursement.”

Travailler sur les facteurs bloquants

Autre remarque d’Eric Van Der Hulst: “Si le processus de certification s’avère efficace et fluide, on verra sans doute de grandes multinationales venir frapper à notre porte, arguant de certifications décrochées à l’étranger et que leurs applis sont donc éligibles. L’acceptation ou le refus de ce genre de scénario dépend de l’AFMPS (Agence fédérale des médicaments et des produits de santé), de l’Inami et de la plate-forme eHealth…”

Sa conclusion? “Certaines choses bloquent encore l’adoption. Notamment la manière dont certains comités d’éthique [d’hôpitaux] perçoivent les choses. Pour certains projets-pilote, il fallait obtenir l’accord de plusieurs comités d’éthique. Or, ils n’étaient pas toujours d’accord entre eux. Cela pose problème.”

Eric Van Der Hulst: “Il faut démarrer avec des applis-pilote qui ont été reçues très positivement. On étendra le champ au fil du temps. Le plus important, c’est le démarrage, pas le nombre d’applis et le nombre de remboursements.”

Un exemple? “Un projet orienté téléconsultation nécessitait le stockage de vidéos. L’un des comités a refusé. Mais comment rembourser, en Belgique, si on ne stocke pas les données? C’est le genre de choses qui bloque encore.”

Pour avancer malgré tout, il préconise de “commencer avec des solutions pour les domaines du diabète, de la cardiologie, de la téléconsultation et des applis-pilote qui ont été reçues très positivement. On étendra le champ au fil du temps. Le plus important, c’est le démarrage, pas le nombre d’applis et le nombre de remboursements. Ce qui compte surtout c’est que l’on considère comme acceptable de traiter les gens à distance.”