Fin octobre, la start-up Digiteal, créée à l’origine à Enghien et aujourd’hui domiciliée à Mont-Saint-Guibert (AxisParc), a reçu une autorisation qui allait enfin permettre au projet de prendre son envol.
L’idée de départ et le développement de sa solution – un mécanisme de paiement de facture via voie électronique, reposant sur un simple code QR – remonte en effet à… 2015. Relire d’ailleurs ici la présentation que nous en avions faite à l’époque.
Entre la génèse de l’appli jusqu’à son lancement commercial effectif (ce 14 novembre), le chemin parcouru fut en fait une longue lutte pour écarter obstacles et réticences. Voir plus de détails plus bas, au chapitre “Un obstacle en moins”. Le processus s’est brusquement débloqué lorsque la jeune pousse a reçu, fin octobre, l’agrément de la BNB l’autorisant à opérer comme établissement de paiement.
Flashez, c’est payé
La solution de Digiteal permet de payer une facture et, surtout, d’effectuer un suivi et une gestion de ses factures – que ce soit côté destinataire ou côté émetteur – en utilisant un simple code QR (respectueux de la norme européenne EPC069) que l’on “flashe” avec son smartphone ou sa tablette.
Ce code, selon les modalités qu’aura prévues l’émetteur de la facture et/ou le mode de réception décidé par le destinataire, est soit apposé sur une facture papier, soit dématérialisé et affiché à l’écran. Il comporte toutes les indications nécessaires: numéro bancaire, montant, destinataire, communication…
Un consommateur prudent (ou suspicieux) pourra utiliser le lecteur de code QR de son mobile pour vérifier la validité des détails “cachés” derrière ce code. Mais il a un autre moyen de vérifier l’authenticité du code: Digiteal le flanque systématiquement de la mention www.scan2pay.info. Impossible de payer si cette mention fait défaut. De quoi ne pas tomber dans le piège éventuel de QR codes malveillants ou purement promotionnels…
Le but de Digiteal? Simplifier au maximum l’opération de paiement de factures mais aussi, et peut-être surtout, sécuriser et documenter ce processus. Tant du côté destinataires que du côté émetteurs de factures.
“Côté émetteurs, les problèmes rencontrés se définissent en termes de suivi des documents eux-mêmes – le client l’a-t-il bien reçu, consulté, payé? -, de suivi du paiement, de lutte contre les fraudes”, explique Cédric Nève, co-fondateur de la société. “Côté citoyens [ou professionnels], les problèmes qu’induit la gestion des factures, s’appellent oublis de paiement, conservation des documents (papier et/ou électroniques), erreurs d’encodage…”
La solution Digiteal est sensée balayer ces soucis ou, en tout cas, les simplifier ou minimiser.
Les petits plus
Digiteal propose une série de fonctions et de services pour garantir une gestion de bout en bout. L’opération de paiement de la facture n’en est en fait que la face émergée.
Cédric Nève (Digiteal): “Là où la domiciliation impose le prélèvement automatique, notre système redonne le contrôle au consommateur.”
Services proposés? Envoi de rappels (telle facture arrive à échéance à telle date, telle facture reste impayée…), archivage (10 ans), constitution d’un historique, possibilité d’effectuer un suivi en-ligne de l’état d’une facture (réceptionnée, payée ou non, argent en transit…), intégration avec des solutions de gestion ou de comptabilité (actuellement SAP et Sage 50; d’autres suivront).
L’un des services distinctifs imaginés par Digiteal modifie quelque peu le principe de la domiciliation. Sa fonction de “paiement automatique contrôlé” permet à l’utilisateur de garder la main. “C’est l’utilisateur qui fixe les critères”, explique Cédric Nève, co-fondateur de Digiteal. Par exemple, paiement automatique d’une seule facture mensuelle pour tel émetteur, ou un plafond mensuel à ne pas dépasser, ou encore la programmation d’un paiement dans tel ou tel délai selon l’identité de l’émetteur.
Si les critères programmés par l’utilisateur ne sont pas respectés, la solution Digiteal lui envoie une notification, lui permettant de décider du sort à réserver à telle ou telle demande de paiement de facture. “Là où la domiciliation impose le prélèvement automatique, notre système redonne le contrôle au consommateur.”
Un obstacle en moins
Contactées dès le début du projet, les (grandes) banques locales n’ont pas répondu favorablement à l’appel du pied de Digiteal de reconnaître le code QR comme sésame de paiement. Seule KBC/CBC le propose aujourd’hui au coeur de son appli mobile.
En cause, notamment, le fait que les choix technologiques posés par les banques s’alignent sur ceux de Worldline “qui n’est pas très chaude à l’idée de perdre ainsi une partie de sa mainmise sur des mécanismes transactionnels rémunérateurs”, indiquent Cédric Nève.
“Demain, lorsque la masse des utilisateurs de factures à QR code aura augmenté, les banques reverront peut-être leur position…”
Entre-temps, grâce à l’agrément de la BNB, Digiteal a trouvé le moyen de sauter l’obstacle pour s’insérer dans la chaîne de paiement.
Cette chaîne se présente comme suit: Digiteal relaie la facture “QR codée” de l’émetteur vers le destinataire ; celui-ci s’identifie au moyen de son PIN sur son mobile et valide le paiement (par activation du code QR) ; le prélèvement s’effectue sur le compte du client ; l’argent arrive dans un compte de transit Digiteal ; et, de là, le virement est effectué vers l’émetteur.
Petite précision: les données des transactions sont stockées sur une infrastructure d’hébergement AWS (Amazon) en Allemagne, une solution préférée à un hébergement belge pour des raisons de tarifs plus avantageux et à des solutions de public cloud concurrentes, du genre Google et Microsoft, pour des raisons de meilleure adéquation technologique et, dans le cas de Google, de plus grandes garanties en termes de respect de la confidentialité.
Ce qui nous amène au chapitre sécurité. Digiteal affirme avoir pris les mesures de protection nécessaires, “ce qui était d’ailleurs une condition sine qua non pour obtenir l’agrément de la BNB”, souligne Cédric Nève. La robustesse de l’infrastructure (serveurs d’hébergement) a été validée, des audits ont été effectués et des tests de pénétration (pour simuler des attaques) seront effectués régulièrement.
Pour ce qui est de la sécurisation des paiements mobiles, la solution implique, pour l’utilisateur, de s’identifier au moyen d’un code PIN. Le support de la solution Itsme est-il envisagé? La réponse semble être négative. “Nous sommes en contact depuis plusieurs mois avec Itsme et nous attendons leur proposition de tarifs. Mais ils ne seront sans doute pas compatibles avec notre propre canevas de tarification.” (A noter ici que seuls les émetteurs de factures devront payer le service proposé – voir détails plus loin dans l’article).
QR code, le “déclencheur”?
Pour Digiteal, le code QR n’est qu’un moyen, un prétexte, un outil permettant de convaincre les utilisateurs et les émetteurs de factures de passer à la facturation électronique. Le taux d’adoption de cette dernière demeure minime, quasi marginal, en Europe (de l’ordre de 10%).
Ce qui manque, aux yeux de Cédric Nève, pour faire décoller le concept, c’est “une solution facilement intégrable pour les émetteurs, qui touche l’ensemble de leurs clients, qui favorise les paiements automatiques et qui soit peu onéreuse. Côté clients, ce qui manque, c’est une interface de gestion Web et mobile complète, qui procure des factures et un processus de paiement sans réencodage.”
Le code QR sera-t-il le déclencheur? Seul l’avenir le dira. On l’a vu, les banques freinent des quatre fers. Les opérateurs et prestataires ne l’ont pas encore adopté en masse.
Même dans des pays qui ont été parmi les premiers dans les starting blocks, le taux d’adoption demeure faible. Exemple en Autriche où la majorité des factures arborent ce QR code standard mais où seulement 5% des clients utilisent le code pour effectuer le paiement.
Tout le monde semble attendre un signal de pérennité et de volume porteur. Les plus volontaristes sont, sans surprise, quelques nouveaux venus, du genre Digiteal ou POM.
Digiteal estime avoir concocté une solution qui détient les clés nécessaires pour faire sauter verrous et résistances. Pour elle, le QR code est en quelque sorte le pied qui se glisse dans la porte. Le but est de faire adhérer le marché à des services plus modernes, dématérialisés.
Pour lancer sa phase-pilote, la société brabançonne peut compter sur plusieurs partenaires, tant du côté émetteurs (générant des volumes de factures encore relativement modestes) que du côté partenaires technologiques. Citons:
- AP Kiosk: solution ERP pour écoles; elle permet de débiter des comptes ouverts pour les enfants afin de payer la cantine ou les activités scolaires ; la solution de paiement automatique contrôlé Digiteal permettra par exemple aux parents de surveiller les prélèvements opérés par l’école et de programmer des règles de réapprovisionnement du compte de leur bambin
- MIS Data: intégrateur Bob 50 et Winbooks
- la fiduciaire ComptaPlan
- Outwares, éditeur de logiciels de gestion d’infrastructure pour PME, TPE et professions libérales
- Striktly Software: éditeur d’un logiciel de gestion d’administration
- LLN Juris Club: une jeune entreprise gérée par des étudiants de l’UCL qui se positionne comme prestataire de conseils juridiques…
Autre partenaire de la première heure, le courtier en assurances Alliance-Bokiau qui a vu dans la solution de Digiteal un moyen de mieux assurer le suivi de sa gestion des factures et quittances. “La solution Digiteal sécurise les paiements, sans forcer les destinataires à changer leurs habitudes. C’est une solution neutre pour eux”, indique Roger Dumont, administrateur délégué. “Les avantages, pour nous, sont nombreux: facilité d’envoi, traçabilité et, surtout, système de paiement automatique contrôlé. Le nombre de clients, B2C ou B2B, qui acceptent la domiciliation tend à diminuer. Ils veulent garder le contrôle sur les prélèvements. Pour nous, cela implique d’opérer par avances de caisse vis-à-vis des assureurs et d’assumer la responsabilité de la récupération. Le système de Digiteal est une réelle réponse à ce problème.”
En plus de ces premiers convaincus, quelques autres noms, plus connus et plus “influenceurs”, ont signé une lettre d’intention, promettant de se mettre au QR code dans des délais plus ou moins rapproché. Citons ainsi la SWDE (société wallonne des eaux), le SPW (administration wallonne – pour la taxe de mise en circulation et la bientôt défunte redevance TV), le SPF Finances, AG Insurance.
Mais le tout, pour Digiteal, sera de faire prendre la sauce, de démontrer qu’il y a preneurs pour ce nouveau canal de paiement, et de convaincre ainsi les grands acteurs et émetteurs qui dégainent des milliers voire centaines de milliers de factures régulièrement – les fournisseurs d’énergie, de services de communications…
Citoyens lambda et professionnels
La solution Digiteal s’adresse aussi bien au citoyen lambda, qui doit payer des factures récurrentes, du genre abonnements, électricité, énergie, téléphonie, assurances…, qu’aux professionnels (entreprises, associations, indépendants). Pour ces derniers, la solution Digiteal devra nécessairement pouvoir s’intégrer avec les solutions de gestion et de comptabilité existantes.
L’intégration avec SAP, Sage 50 et Winbooks a déjà été réalisée (pour ces deux derniers via MIS Data. D’autres suivront sans doute à court ou moyen terme. Des négociations ont en tout cas été engagées.
Prochaines étapes: l’international et un nouveau tour de table
La start-up devra utiliser la phase-pilote qui démarre aujourd’hui pour créer des adhésions au principe, attirer des utilisateurs, convaincre ainsi les grands émetteurs. Et passer des accords avec des intégrateurs.
Son champ d’action, dans un premier temps, sera la Belgique mais, dès que possible, elle visera l’Europe, d’où viendra la masse nécessaire pour faire de Digiteal un réel succès. La start-up dispose en tout cas de quelques cartes en mains pour se lancer à l’assaut de clients internationaux: son alignement sur les normes européennes (EPC069, SEPA…), le soutien d’une banque (Belfius) et un cachet de crédibilité venu de l’Europe elle-même puisque Digiteal a reçu le Sceau d’Excellence Horizon 2020.
Elle a en effet soumis, avec succès, son projet d’innovation dans le cadre du programme SME Instrument. En août 2016, un subside lui a ainsi été octroyé pour l’aider dans la phase POC (preuve de faisabilité). Elle répondait également aux critères nécessaires pour être qualifiée pour une phase de réalisation. Malheureusement pour elle, aucun subside ne lui a été accordé pour cette phase (par manque de moyens suffisants, côté Europe, pour financer tous les projets acceptés).
En guise de consolation, elle a donc reçu ce “Sceau d’Excellence”, sorte de label de qualité ou de diplôme qu’elle peut faire valoir pour sa recherche de financement auprès d’instances plus nationales ou régionales. Comme le signalent les instances européennes, “ce sceau aide aussi les organismes de financement qui sont désireux d’investir dans des propositions prometteuses (en ce compris des autorités nationales et régionales passant par des Fonds d’Investissement et Fonds structurels européens) à identifier plus aisément ce genre de projets”.
Quel est le modèle économique de Digiteal?
Les revenus de la société viendront exclusivement des émetteurs de facture. Le modèle choisi est en effet celui de la gratuité pour l’utilisateur final (le destinataire de la facture). L’émetteur lui paiera quelques cents d’euros, selon un tarif dégressif (en fonction des volumes de factures).
En attendant que la sauce prenne, Digiteal compte vivre de son petit matelas de capitaux (une augmentation de 625.000 euros a été réalisée auprès d’amis et de connaissances en décembre 2016). Une nouvelle augmentation de capital, d’une valeur inférieure à la précédente, se fera dans les semaines à venir. Auprès de nouveaux investisseurs, qui devront avoir un profil “smart money”. Autrement dit, la capacité d’aider et de conseiller la société dans son entreprise de conviction auprès des grands émetteurs et acteurs.
Digiteal compte également lancer une campagne de crowdfunding, essentiellement pour toucher et convaincre un plus large public.
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