Stent.Care: bientôt un réseau social confidentiel pour malades

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Par · 14/09/2017

La jeune société Kedroz, créée à Mons fin 2016, s’apprête à se lancer à l’eau avec son “produit”, en l’occurrence un réseau social, prénommé Stent.Care, qui sera spécifiquement destiné et réservé aux malades chroniques et personnes souffrant de handicap ainsi qu’à leur entourage.

Lancement attendu: mars 2018.

Pour en financer les débuts, Kedroz lance une campagne de crowdfunding (sur sa propre plate-forme – v. ci-dessous).

Objectif du réseau: “rompre l’isolement, faciliter l’entraide, faire face aux défis et difficultés du quotidien” à tous les moments de la vie. Mais l’équipe – on le verra plus loin – veut aussi en faire un outil intéressant pour les professionnels de la santé.

Redonner confiance pour davantage de solidarité

Pourquoi créer un nouveau réseau social? “Parce que les réseaux généralistes – du genre Facebook ou Twitter – impliquent une exposition des données personnelles sur des plates-formes commerciales qui n’ont que faire de la vie privée et de la situation spécifique des malades”, déclare Lucio Scanu, l’un des 3 fondateurs de Kedroz et lui-même malade chronique depuis de longues années. “Leurs données sont rapidement “absorbées” par le réseau, monnayées auprès d’entreprises commerciales qui ont intérêt à être “proches” de ces patients.

Lucio Scanu (Stent.Care): “Les réseaux sociaux classiques amplifient l’effet de discrimination par rapport aux personnes souffrant de certaines pathologies. Cette dynamique doit s’arrêter. Nous, les malades chroniques, devons prendre cette problématique en mains.”

Par ailleurs, nous les malades chroniques et les handicapés, nous sommes confrontés à une discrimination croissante. Nous sommes l’une des premières victimes de discrimination quand il s’agit d’obtenir une couverture auprès des assurances, un prêt bancaire, un emploi.”

Pour lui, l’exposition et l’exploitation des données personnelles via les réseaux sociaux est une porte ouverte supplémentaire à la stigmatisation. Ayant peur d’être exploité et stigmatisé sur les réseaux sociaux classiques, les malades les évitent. C’est alors le repli sur soi puissance deux. “Ce qui peut conduire à un état de mort sociale.”

Voilà pourquoi les fondateurs de Kedroz ont jugé nécessaire d’imaginer un réseau social nouveau qui fonctionnerait selon d’autres règles.

 

Deuxième raison de la création de Stent.Care – directement liée à la précédente: redonner aux malades et personnes handicapées un espace de confiance où ils puissent réellement s’exprimer et obtenir les informations dont ils ont besoin, pour un support médical ou purement moral.

Stent.Care promet de préserver une totale confidentialité des données de ses membres (malades, proches, professionnels de santé) et projette de leur proposer un éventail de services. Notamment une page personnelle, des outils de création de pétitions et sondages, un agenda (activités et événements), une messagerie (privée et instantanée), du partage de textes, photos et vidéos, un service d’échange de matériels et dispositifs médicaux inutilisés et, potentiellement, un mécanisme permettant de donner naissance à des études cliniques sécurisées.

Une volonté d’indépendance financière

Dès le départ, Kedroz a fait le choix de ne pas se tourner vers des partenaires financiers potentiels venant du secteur commercial: “notre volonté est d’être autonome par rapport au monde industriel et, dans une certaine mesure, vis-à-vis du monde médical.” Lucio Scanu dit même avoir reçu “des propositions à 6 chiffres mais nous avons toujours refusé. Les acteurs économiques, disons plus classiques, viennent toujours avec des propositions pour nous pousser à aller plus loin [lisez: à être plus ambitieux dans le projet mais avec ce que cela impliquerait comme perte de sens et d’autonomie]. On veut aller loin mais sans que cela porte préjudice aux utilisateurs.”

Quid d’éventuels investisseurs du genre business angels. Le raisonnement est similaire. Avec en plus cette difficulté que ce genre d’interlocuteurs n’est pas forcément prêt à injecter de l’argent dans une “pomme qu’on est encore en train de dessiner.”

Voilà pourquoi Kedroz privilégiera le financement participatif. Et cela, même si le chemin emprunté sera sans doute plus long: “il faut informer, présenter le projet à des gens qui ne sont pas nécessairement dans la sphère économique…”

Fidèle à son leitmotiv d’une protection des données, Kedroz a par ailleurs préféré construire sa propre plate-forme pour son opération de crowdfunding.

Démarrage: ce 17 septembre. Clôture: le 17 décembre.

Somme que Kedroz espère récolter: 300.000 euros hors TVA.

Où trouver la plate-forme de crowdfunding? Via ce lien, qui ne sera bien entendu actif que le 17 septembre. Dans l’intervalle, vous pouvez déjà trouver Stent.care sur Facebook.

Quel usage sera-t-il fait de cet argent? 45% de la somme (si l’objectif est atteint) servira au développement de la première version du réseau Stent.Care. Le reste sera réparti entre financement de l’hébergement, sécurisation, budget communications, perfectionnement des fonctions (les membres du réseau ayant leur mot à dire sur les choix) et internationalisation de la solution.

La campagne de financement participatif obéira au principe de crowdfunding avec contre-parties. Parmi celles-ci, petite originalité de l’opération Stent.Care: les contributeurs pourront choisir une formule de don de jouets aux institutions hospitalières disposant d’un service de pédiatrie.

Dans la suite de cet article, réservé à nos abonnés Premium, découvrez la manière dont Kedroz compte garantir la confidentialité de ses membres ainsi davantage de détails sur son offre de services, le principe de proximité que le réseau compte favoriser, et les avantages que les différentes catégories de membres pourront en retirer – en ce compris le corps médical, voire des sociétés actives dans le secteur des soins de santé.

Un réseau belgo-belge

Pour garantir la confidentialité des données, Kedroz compte se tourner exclusivement vers des hébergeurs locaux. Son premier partenaire est une société bruxelloise – dont elle se refuse à citer le nom (pour éviter d’attiser des envies de piratage, explique Lucio Scanu). D’autres partenaires pourraient être choisis plus tard mais toujours en strict respect de la législation locale et/ou européenne sur la protection des données personnelles.

Dans un premier temps, le réseau Stent.Care visera un public francophone mais l’ambition est de décliner à terme l’outil en néerlandais, allemand et anglais. “Nous voulons être un outil belge mais aussi européen. En effet, cela suffit! Fini, en tant que patients, de donner nos informations à des sociétés non-européennes qui profitent de nos situations…”

Belge et local, Stent.Care le sera également sous une autre perspective. L’échange d’informations et l’entraide solidaire, le trio de Kedroz les voient essentiellement se manifester de manière efficace et pertinente pour les membres du réseau “dans une même zone géographique.”

La “géolocalisation” des membres du réseau Stent.Care se fera de manière volontaire (ils précisent leur lieu de résidence ou de vie lors de leur inscription) et avec un degré de précision qui évitera le pistage ou l’identification de la personne. Pas d’adresse (physique) personnelle à déclarer – seule la région (Hainaut ou Borinage par exemple) sera enregistrée.

Pas de géolocalisation via les dispositifs mobiles non plus.

Mais pourquoi adopter ce principe géo-réducteur pour les échanges et dialogues entre membres? Le fait de converser avec une personne souffrant des mêmes problèmes mais vivant à l’étranger ne peut-il apporter une certaine richesse et pertinence? N’est-ce pas se couper d’informations utiles? L’équipe de Kedroz adopte une autre optique: “à quoi sert de savoir, par exemple, que tel patient français a pu bénéficier de tel remboursement? Quel impact cela a-t-il sur mon quotidien en Belgique? Le monde de mon interlocuteur n’est pas le mien. Les dynamiques, le contexte belges sont différents.”

Autre argument: “Nous sommes noyés sous des quantités astronomiques d’informations. Bien souvent, cela empêche le malade de dissocier cette masse de données du cadre légal qui est le sien.”

Quels seront les services offerts?

Les personnes qui se feront membres du réseau social Stent.Care pourront bénéficier d’un double profil. Au-delà de leur identité réelle, ils seront en effet invités (voire encouragés) à avoir un pseudo, toujours pour favoriser un anonymat optimal et éviter tout risque d’identification par des sociétés ou personnes un peu trop inquisitrices.

C’est qu’une association ou une société “sensibilisée” aux problèmes des malades chroniques pourra avoir une présence, sa page, sur le réseau mais impossible pour elle d’utiliser ce moyen pour en savoir plus sur les membres. Toutes les informations auxquelles elle pourrait avoir seront anonymisées et/ou présentées sous formes de statistiques impersonnelles.

Question au passage sur la manière dont seront gérés les échanges. Vu le contenu des échanges (de nature médicale, avec des demandes d’avis et partage de conseils…), Credoz prévoit-il une modération? Cela ne semble pas devoir être le cas. “En réalité, l’expérience prouve que les utilisateurs de soins de santé ont une importante capacité à contrôler ce qui se dit dans les environnements qu’ils fréquentent. La communauté réagit très rapidement à ce qui s’y dit. L’expérience personnelle des membres permet d’éliminer rapidement les fausses infos. Le groupe s’auto-régule.”

Kedroz interviendra toutefois jusqu’à un certain point: “notre rôle sera de veiller et d’exclure du réseau des gens qui viendraient avec des motivations antinomiques aux finalités de Stent.Care.”

Autres fonctions et services que proposera Stent.Care:

– du partage de textes, photos et vidéos

– une page personnelle pour le malade, une association de patients ou une institution

– des outils de création et de gestion de pétitions et de sondages

– un agenda (activités, événements)

– une messagerie (service privé et messagerie instantanée)

– la possibilité de trouver et entrer en contact avec des personnes souffrant de la même pathologie, grâce à une recherche thématique.

Stent.Care voudrait aussi proposer un service d’échange de matériels et dispositifs médicaux inutilisés (chaises roulantes, déambulateurs, béquilles…). Tout comme l’échange d’informations et de témoignages, mais à un autre niveau, l’équipe y voit un outil permettant de recrééer un esprit de solidarité.

Un autre service devrait voir le jour et concerne les acteurs hospitaliers. Via Stent.Care, Kedroz envisage en effet de mener ou de participer à des études cliniques permettant de récolter des données utiles.

“Pour les hôpitaux, un réseau social tel que Stent.Care peut aussi avoir un intérêt majeur. A savoir, recréer du lien avec ces patients. Les porteurs de maladies rares, par exemple, sont souvent difficiles à joindre.

Via les échanges et la confiance réinstaurée auprès des malades, le dialogue entre ceux-ci et les hôpitaux pourraient être réactivés, les malades encouragés à retourner vers l’hôpital.”

Ce qui est loin d’être anodin, surtout, souligne Lucio Scanu, à l’heure où les durées d’hospitalisation deviennent de plus en plus courtes, sous l’effet des nouvelles politiques. “Les professionnels hospitaliers ne savent plus ce que vivent les patients à domicile. Ils sont privés de feedback concernant les effets et suites des techniques opératoires, des orthèses, des médications… Ce qui entraîne potentiellement une perte d’efficacité.”

L’équipe Kedroz

Date de création de la société Kedroz: octobre 2016

Trois fondateurs:

  • Lucio Scanu: anciennement administrateur de la LUSS – Ligue des Usagers des Services de Santé et membre de l’Observatoire des maladies chroniques
  • Jérôme Clerfayt: régisseur vidéo indépendant, ancien directeur artistique de Requiem4tv
  • Natan Benedetti: agent d’assurance.

Une autre personne, en coulisse, a joué un rôle majeur, encourageant le trio à se lancer dans cette aventure Stent.Care. Cette personne, malheureusement, n’aura pas assisté au baptême officiel. Il s’agit en effet de Geoffrey Dieudonné, conseiller de direction au Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles, la seule victime belge de l’attentat terroriste de Bamako qui, en novembre 2016, a visé l’hôtel Radisson. “Nous lui dédions cette folle aventure”, déclare Lucio Scanu.

Kedroz est actuellement hébergée dans l’incubateur LME (La Maison de l’Entreprise) de Mons.

Dernier détail: quelle signification éventuelle se cache derrière le patronyme “Kedroz”? Les initiateurs de cette société ont choisi ce nom qui est une déclinaison du nom latin du cèdre du Liban. Pourquoi cet symbole? “Parce que le cèdre du Liban est le seul arbre dont on parle dans les trois grandes religions monothéistes.” Choix étonnant de la part d’un trio de laïcs. Mais que Lucio Scanu justifie comme suit: “notre volonté est de fédérer les gens, de fédérer nos différences.” On comprend mieux…