Bringr: bpost va-t-elle légitimer le transport “participatif” de colis?

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Par · 22/06/2016

Pendant 3 mois, bpost mènera une expérience-pilote de transport de colis par… le citoyen lambda. Du “colis voiturage”, comme on dit outre-Quiévrain. Ou du crowd shipping, pour parler anglo-saxon.

Pas de facteur, pas d’emballage classique, pas d’étiquette traditionnelle, pas de circuit administratif habituel. Tout se règle via une plate-forme collaborative et une appli (iOS et Android) – baptisées Bringr – via lesquelles chauffeurs et expéditeurs se “rencontrent” et conviennent du service de transport.

La plate-forme calcule le coût en fonction de la taille, du poids du colis, de la destination, du nombre de kilomètres. La rétribution du chauffeur est calculée selon les mêmes critères. Au passage, bpost/Bringr se rémunère itou (commission de… 20%). A noter qu’une garantie (contre le vol, la perte et les dégâts) est incluse d’office.

Quoi d’neuf, Doc?

Officiellement – et c’est l’espoir de bpost -, ce service n’est pas destiné à remplacer les services de transport de colis habituels (officiels, aurions-nous tendance à dire). L’espoir est d’étendre le volume et le type de colis transportés. “Pas d’impact à prévoir sur les services existants”, affirme Baudouin de Hepcée, porte-parole de bpost. “Bringr sera un service complémentaire.”

Comment? “Les produits et biens transportés seront différents. Le mode opératoire Bringr n’impliquera aucune contrainte d’emballage ou d’étiquetage.

Les clients, eux aussi, seront différents. Ceux qui ont recours à notre service de paquet traditionnel sont par exemple des acteurs de l’e-commerce – en ce compris Amazon ou Zalando – qui ont besoin de processus industriels, d’un cadre classique.”

Comment garantir que les expéditeurs n’en profitent pas pour des colis qu’ils faisaient transiter jusqu’ici via les canaux “normaux”? bpost compte sur la différenciation du prix: Bringr sera plus cher que le service postal classique. Ce qui, bien évidemment, ne tiendra la route que tant qu’il n’y aura pas de la concurrence…

Et le coût plus important pourrait ne pas être un frein pour certains envois Bringr, plus rapides potentiellement que les envois postaux classiques (en J+1).

Anvers a été choisie comme terrain d’expérimentation. Pendant 3 mois. Passé ce délais et après analyse des résultats, la Poste décidera d’étendre – ou non – l’initiative. Les porte-parole de la Poste évoquent d’autres “grandes villes”. Pas d’inter-villes, pas de rural? “Trop tôt pour le dire. Cela devra être déterminé lors de l’analyse du test-pilote.”

Etre les premiers

En lançant Bringr, bpost veut prendre les devants et éviter de se faire brûler la politesse par Uber ou par des concurrents spécialisés dans l’expédition de colis – les DHL, UPS et autres acteurs plus récents. Car, eux aussi, se sont lancés, dans d’autres pays, dans ce genre de services assurés par le citoyen lambda.

“Des solutions similaires, prenant la forme de plates-formes collaboratives, ont déjà vu le jour, en France, en Allemagne, au Royaume-Uni… Il est certain qu’elles vont aussi se développer en Belgique”, dit-on chez bpost [le cadre légal et fiscal nouveau a en tout cas été un déclencheur pour le passage à l’acte du côté de la Poste…]

Petit coup d’oeil justement sur ce qui existe ailleurs…

La France a accueilli deux “opérateurs” de livraison collaborative – Cocolis et dacOpacK. Au Royaume-Uni, on peut citer Nimber. Aux Etats-Unis, Roadie qui… a retenu l’attention d’UPS qui a investi dans la société.

Amazon, que citait Baudouin de Hepcée, comme “client e-commerce qui a besoin d’un processus industriel”, a lui aussi mis le pied à l’étrier. Avec son propre service de livraison de colis “à la demande”. Baptisé Flex, il s’appuie sur des chauffeurs indépendants, payés de 18 à 25 dollars l’heure, qui, à la mode Uber, utilisent leur propre véhicule. Originalité: ils doivent s’engager à opérer selon un schéma horaire prédéterminé, d’une durée de 2, 4 ou 8 heures.

Uber, qui ne pouvait demeurer en reste, s’est elle aussi lancée dans quelques expériences. Notamment avec l’opérateur de services de fret et de messagerie philippin LBC Express. Dès la fin 2014, un service de livraison un peu spécial a vu le jour à Manille, à l’époque des fêtes de fin d’année. Objectif: faire livrer les cadeaux de fin d’année par des coursiers à moto utilisant l’appli Uber, avec facturation via le compte Uber (4 dollars la livraison !).

Citons encore la start-up américaine Postmates qui propose des services de livraison de proximité. Le transport est assuré à moto ou vélo, essentiellement par des étudiants qui se font livreurs l’espace de quelques heures pour la livraison d’emplettes ou de repas.

Et une start-up belge le fait déjà…

Elle se prénomme PiggyBee, a vu le jour en 2012 et propose une plate-forme en-ligne où on peut convenir de se faire livrer ou de faire livrer un colis. Particularité toutefois: PiggyBee ne vise pas le transport local mais plutôt le créneau des transports internationaux longue distance.

Un créneau difficile (on pense aux problèmes de passage à la douane et au service de sécurité pour des paquets qui n’appartiennent pas à celui qui les véhiculent!) mais choisi sciemment par David Vuylsteke, à l’origine de l’initiative.

Après quatre ans d’existence, le service n’a pas encore décollé (sans vilain jeu de mots) et se cherche toujours un modèle économique – David Vuylsteke avoue un petit côté “hippie” et fleur aux dents qui ne le pousse pas vraiment vers un réflexe de monétisation.

PiggyBee, c’est du transport de colis entre particuliers. A longue distance. Se faire ramener un gadget de New-York, acheminer des chocolats belges à un expat… Parmi les “convoyeurs”, pas mal de… pilotes et d’hôtesses de l’air. Peu d’hommes ou femmes d’affaires, par contre, pourtant grands voyageurs. Mais leur emploi du temps ne permet pas les petits détours.

Problème: “les particuliers sont difficiles à activer et il faut disposer d’un répertoire de convoyeurs bien étoffé, pour les principales liaisons, pour être sûr qu’une demande de transport trouvera quelqu’un pour l’assurer.”

Depuis quelques mois, David Vuylsteke a toutefois trouvé un petit filon qui semble faire grandir la communauté: il “démarche” en fait, via Facebook, des groupes d’expats – “les francophones du Sri Lanka, les Belges d’Indonésie…” “Cela semble marcher. Cette année, j’ai déjà autant d’utilisateurs que pendant les 3 dernières années réunies…”

Qu’est-ce qui motive ces voyageurs lambda à devenir convoyeurs? “La curiosité pour l’idée. Le fait d’avoir déjà tâté de l’économie collaborative et de vouloir essayer le crowd shipping. Mais aussi le pourboire – laissé à l’appréciation de la personne qui demande une livraison…”

PiggyBee semble surtout opérer selon quelques grandes lignes aériennes – partant pratiquement toutes des Etats-Unis à destination de l’Europe mais aussi de l’Asie ou de l’Amérique du Sud. L’intra-français semble aussi marcher, sur quelques grands axes: Paris-Lyon, Paris-Bordeaux. En avion, train ou par route.

Comment David Vuylsteke voit-il l’arrivée de Bringr? D’un oeil plutôt positif. C’est vrai que l’initiative de bpost pourrait donner une nouvelle crédibilité à la sienne, attirer l’attention et l’intérêt pour son propre service. Signalons au passage qu’il avait contacté bpost, voici 3 ans, pour présenter l’idée, dans une formule locale. Idée dédaignée à l’époque – mais peut-être pas tombée dans l’oreille d’un sourd…

Quoi qu’il en soit, voici ce qu’il dit aujourd’hui de Bringr: “L’arrivée du nouveau service de bpost est plutôt une bonne nouvelle. Avec PiggyBee, voici 4 ans que je « prêche » la livraison de colis entre particuliers. La notoriété de bpost jette enfin un éclairage de poids sur cette pratique innovante. La vision initiale de PiggyBee est que tout le monde devienne transporteur lors de ses déplacements, quel que soit le moyen de locomotion.

A priori, le modèle Bpost s’apparente plutôt au modèle Uber, dans lequel les “particuliers chauffeurs” risquent de se transformer en véritables “mercenaires du transport”. Une société privée comme UPS, leader du secteur logistique, a déjà investi dans un modèle similaire aux Etats-Unis. De là à voir une entreprise publique sauter à pieds joints dans l’économie collaborative, ça ne pouvait arriver que chez nous ! Après, on connaît la Belgique et ses puissants syndicats. Le courrier pourrait être plus que ralenti ces prochains mois.

Le plus intéressant sera de suivre l’évolution du projet et le rythme d’adoption éventuelle par une plus grande masse…”