Dans le cadre de ce dossier consacré aux start-ups, trois de nos interlocuteurs – tous des professionnels ou des habitués de l’investissement dans de jeunes pousses – ont spontanément abordé le sujet des PME. Un sujet, selon eux, trop négligé et qui pourrait toutefois tirer parti de certaines mesures ou, en tout cas, d’une petite dose de l’intérêt que l’on porte (trop?) aux start-ups.
Interrogé sur ce qu’il estimerait être une action bénéfique des Régions, notamment, côté wallon, au travers du Plan du numérique, Jean-Pol Boone, de BeAngels, déclarait par exemple que les priorités des actions devraient se porter sur les start-ups mais aussi sur les PME et les sociétés productrices. “Il faut pousser”, déclarait-il, “les PME qui ont une belle histoire, un bon brevet […] Je suis plus en faveur d’une aide à une PME qui dispose d’une bonne barrière à l’entrée qu’à une start-up qui n’en a pas, et dont la création de valeur se situe davantage dans l’approche marketing.”
D’où cette question, un rien iconoclaste: le hype autour des start-ups est-il surfait? est-on passé à côté d’autres choses importantes?
Sa réponse? “On se rend compte, tant au niveau fédéral que régional, qu’on a loupé le premier virage du numérique. A travers certains exemples, on veut démontrer qu’on n’est pas en train de louper le deuxième. Il est plus facile de démontrer l’engouement au travers du B2C qu’en B2B. Mais ce n’est pas pour autant que ces jeunes pousses sont rentables et créent de la valeur.
C’est plus sexy d’expliquer une belle histoire que tout le monde comprend que d’aller raconter qu’une PME, dont personne n’a entendu parler, a développé un bon modèle SaaS pour les PME pour un domaine spécifique. Cela ne passionne personne. Cela n’excite pas la presse, pas plus dès lors que les pouvoirs publics ou que le politique.”
Sur ce dernier point, on le verra plus bas, il rejoint l’analyse de Cédric Donck (Virtuology).
Un déficit de “vision”?
Pour Benoît Lips (Lean Fund), “les outils, l’attention, l’encadrement disponibles pour les start-ups doivent l’être aussi pour les PME et les sociétés unipersonnelles. Je suis par ailleurs personnellement frustré par le fait que les PME belges, de 1, 5 ou 10 personnes, qui constituent notre terreau économique, ne bénéficient pas de l’étiquette “start-up” et en souffrent. Or, le succès de la transformation de notre économie ne sera atteint que lorsqu’on y travaillera, quand les PME seront elles-mêmes dans une dynamique de croissance, d’innovation et de création d’emplois…
Les PME doivent comprendre que le monde change, qu’il y a de nombreuses opportunités mais qu’elles doivent relever de nouveaux défis et s’adapter.
A cet égard, les Creative Hubs wallons peuvent aider à s’approprier de nouveaux modèles business, à expérimenter de nouveaux contextes. Ce sont des espaces où les entreprises, et pas uniquement les start-ups, peuvent s’approprier ces environnements nouveaux…”
Pour Jean-Pol Boone, l’une des lacunes se situe dans la “vision” que peuvent apporter les acteurs de l’encadrement ou, de manière plus large, des acteurs traditionnels pourtant en première ligne. “Face à la numérisation, il y a très peu de personnes qui ont une vision. Là est aujourd’hui la difficulté. Par ailleurs, on compte très peu d’entrepreneurs qui soient en contact avec le marché, avec les clients, dans les groupes de discussion et les groupes de travail. Par contre, il y a beaucoup de théoriciens. Dans ces conditions, il est très difficile de dégager une vision.
Or, aujourd’hui, on a besoin de praticiens, pas de théorie. Il en résulte dès lors trop peu de concret, alors qu’il est grand temps d’agir. Aujourd’hui, ce sont les entrepreneurs qui peuvent dégager une vision. Là aussi, il doit y avoir un changement à opérer dans les mentalités.”
Priorité à la transformation des PME
L’Europe, elle aussi, en est convaincue…
Cédrick Donck est également de ceux qui voient davantage, ou en tout cas, autant d’enjeux du côté des PME. “Un sujet qui me tient à coeur est la transformation numérique des PME. Elles doivent nécessairement se moderniser, changer leurs méthodes de travail, sinon elles seront balayées de la carte. Il existe déjà pas mal de solutions pour la phase de croissance des start-ups – on compte plus de 50 incubateurs en tous genres à Bruxelles – mais là où le bât blesse, c’est dans l’accompagnement à la transformation numérique des PME. Elles sont très démunies et rien n’existe pour elles. Or, ce sont déjà des employeurs, elles ont une valeur économique, sociale. S’il y a un problème, cela risque d’impacter davantage l’économie que le manque à gagner de start-ups qui auraient pu grandir plus vite si elles avaient été accompagnées.
Il faut d’abord avoir une campagne de sensibilisation des chefs d’entreprise. Les organismes publics ou privés peuvent jouer un rôle à cet égard, par des programmes de formation, des séances d’informations sectorielles, des outils. Comeos, par exemple, dans le retail, devrait jouer un rôle dans la sensibilisation des commerçants, des petites chaînes, à l’e-commerce.
L’IT, en Belgique, c’est 6% du PIB. Par contre, si on prend les autres business, c’est nettement plus. Et on risque de perdre beaucoup plus de valeur et d’emplois si cette transformation numérique ne se fait pas.
Autre chose importante: le soutien à la prévention des faillites. On parle de création de valeur mais si on arrêtait déjà l’hémorragie de la destruction de valeur. Je suis parfois honteux d’être actif dans le secteur des start-ups parce qu’il y a de gros moyens qui arrivent de tous côtés alors qu’une faillite affecte tout l’écosystème, les fournisseurs… C’est un sujet moins sexy mais un domaine où il y a beaucoup de choses à faire.
Souvent, il y a faillite parce que l’entrepreneur n’a pas vu que son environnement a changé. Un des éléments qui fait changer cet environnement, c’est justement la disruption numérique. Beaucoup patrons d’entreprise, qui sont de la génération des baby boomers, ne sont pas du tout au fait de l’impact que cela peut avoir sur eux…”
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