L’un des effets que pourrait avoir le Tax Shelter PME est de provoquer une inflation des valorisations. Un phénomène qui est perçu comme présentant à la fois des avantages et des inconvénients par les professionnels que nous avons interrogés.
“Le Tax Shelter peut provoquer une inflation de la valorisation des jeunes entreprises en attirant davantage les investisseurs. Cela n’est toutefois pas forcément négatif…”, estime par exemple Guillaume Desclée (MyMicroInvest). “Dans nos cultures, dans nos pays, on a tendance à être très strict en termes de valorisation pour les jeunes entrepreneurs parce que l’aversion au risque est très grande. Souvent, les entrepreneurs peuvent se faire fortement diluer dans les premiers tours. Or, pour soutenir le succès d’une entreprise dans le long terme, il faut “incentiver” l’entrepreneur en lui octroyant une part importante dans son entreprise.
Si le Tax Shelter risque d’entraîner une inflation de la valorisation, il peut aussi, par conséquent, augmenter le commitment des entrepreneurs dans leur propre projet à long terme.”
“Je crois que, par comparaison à la situation dans d’autres pays – les Etats-Unis, mais aussi l’Allemagne ou la France où les valorisations belges sont inférieures -, cet effet rectificatif peut avoir du bon”, déclare pour sa part Jean-Pol Boone (BeAngels).
“Du point de vue d’un entrepreneur, un léger effet inflationniste peut être une bonne chose.
Du point de vue de l’investisseur, il ne faut pas que l’incitant fiscal soit un effet d’aubaine, avec une augmentation de la valeur, encouragée par l’augmentation de l’offre. Cela aurait pour effet de diminuer l’intérêt que peut avoir un investisseur à investir dans une société puisque, pour un même montant investi, il détiendrait moins d’actions…
Il faut donc éviter que les valorisations explosent.”
Cédrick Donck (Virtuology) y voit, lui, un risque réel. “Déjà aujourd’hui, il y a plus d’argent que de bons projets. Si on ajoute un nouveau paquet d’argent, il y a un risque d’inflation des prix avec des dossiers qui deviennent beaucoup trop cher. C’est ce qui s’est passé en France. Il faut raison garder au sujet de la valeur du projet par rapport à son état d’avancement et à ses chances de succès. Dans ce domaine, des structures comme BeAngels ou MyMicroInvest aident les gens à valoriser les projets.”
Pour Olivier de Wasseige, “beaucoup rêvent encore de valorisations à l’américaine. La valeur d’une communauté n’est pas encore quelque chose de bien maîtrisé. Avec toutefois des modèles de raisonnement et de décision qui, chez nous, sont sans doute plus rationnels sur base des indicateurs d’un plan financier plutôt que des indicateurs de nombre d’internautes sur une plate-forme…
Il faut trouver des moyens pour contourner ce phénomène afin d’éviter que cela devienne une cause de rupture [entre la start-up et le financeur].”
La course à la capitalisation
Assiste-t-on à une recrudescence de la course aux grosses capitalisations, même à un stade précoce d’un projet de start-up? Que pensent nos interlocuteurs de l’“effet licornes”? Considèrent-ils qu’il est nécessaire de rechercher une grosse capitalisation?
Pour Guillaume Desclée (MyMicroInvest), la réponse à cette dernière question est clairement oui… “C’est nécessaire parce que, dans le domaine du numérique, le marché n’est pas la Belgique mais l’international. Bien sûr, il faut d’abord prouver le modèle. On ne commence jamais par un premier tour de table à 5 millions mais les suivants – 2ème, 3ème voire 4ème – à plusieurs millions sont nécessaires pour donner les moyens d’investir massivement dans la croissance. Parce que le time to market est extrêmement important.
Si je prends notre propre exemple, mais qui s’applique à d’autres: MyMicroInvest a acquis de la crédibilité, a compris son marché, a atteint une certaine masse critique, a amélioré son modèle, l’a préparé à la scalability. Aujourd’hui, il faut une internationalisation forte, il faut s’imposer, en leader.
Dans des domaines ultra-compétitifs, des marchés ouverts, une fois qu’on a trouvé un modèle sain, il faut investir massivement. Cela permettra d’avoir de grosses success stories belges dans le Web, qui se développeront pour devenir de réelles industries à l’avenir.
Je trouve qu’on est encore très très très en-deçà. Il faut dès lors être très ambitieux dans la manière dont on veut développer nos entreprises pour qu’elles s’imposent en leaders bien au-delà de nos frontières.”
Concurrence illusoire?
Pour Jean-Pol Boone, la course à la (grosse) capitalisation n’a rien de nouveau. “Il y a eu Groupon, des exemples dans les médias du type Yahoo! ou, plus récemment Zalando.
Dans ce contexte, l’entrepreneur belge, s’il veut rester en Belgique, doit être conscient qu’il a affaire à des interlocuteurs (locaux) qui ont moins de moyens, et que l’investisseur belge s’inscrit davantage dans une approche de retour sur investissement, là où de grands fonds étrangers adoptent plutôt une optique de spéculation.
S’ils veulent lever des fonds en Belgique, ils doivent s’attendre à ce que les investisseurs belges veuillent de la rentabilité.
Un gros acteur B2C du genre Zalando mise sur la prise de marchés et raisonne davantage en termes de valorisation au moment de la mise en Bourse. Entre-temps, il ne cherchera jamais la rentabilité
Jean-Pol Boone: “Si les porteurs de projet veulent lever des fonds en Belgique, ils doivent s’attendre à ce que les investisseurs belges veuillent de la rentabilité.”
Aller se frotter à ce type de société, en B2C, est donc très risqué. La preuve en est que le nombre d’acteurs rentables en B2C en Belgique est très faible comparé aux acteurs B2B. En conséquence, comparer les écosystèmes belges et ceux issus des gros pays est un danger pour les entrepreneurs car leurs valorisations sont ‘hors marché’ pour les investisseurs belges. Chaque pays a ses forces. Je ne suis pas certain que la Belgique doive se lancer dans cette course, même si, une fois encore, le B2C est plus sexy en matière de visibilité médiatique.
Jean-Pol Boone: “Pour se démarquer sur le marché B2C, il faut passer par le marketing. Ce qui implique de gros budgets et donc de gros fonds. Ce n’est pas la Belgique…”
Si le phénomène des “licornes” ne touche qu’une fraction du monde des start-ups, il a malgré tout un effet psychologique, un effet d’entraînement vers le haut et de recherche de plus fortes capitalisations pour le peloton des jeunes pousses.
“Au niveau des “licornes” ou même en-deçà, il y a un certain nombre d’investisseurs qui jouent au monopoly et qui achètent des parts de marché, parfois d’un marché potentiel, émergent, où il y a sans doute beaucoup d’utilisateurs potentiels mais pas nécessairement beaucoup de clients”, déclare Benoît Lips (Lean Fund). “Cela donne lieu à d’importants mouvements. Du coup, on en parle beaucoup. Mais ce n’est que le sommet de l’iceberg. Seuls quelques gros fonds peuvent se le permettre, voire créer un marché.
Benoît Lips: “Au niveau des “licornes” ou même en-deçà, il y a un certain nombre d’investisseurs qui jouent au monopoly. Il y a sans doute beaucoup d’utilisateurs potentiels mais pas nécessairement beaucoup de clients.”
Pour 98% des investisseurs, l’important est avant tout de soutenir les entreprises qui, à court ou moyen terme, sont à la recherche d’un équilibre économique. Le risque, aujourd’hui, comme il y a une bonne dizaine d’années, est qu’on subisse un décrochage, un réveil brutal pour certains. Les licornes ne sont pas représentatives de la planète de l’investissement dans les start-ups mais il y aura un impact sur l’ensemble de la scène, tant investisseurs que start-ups, en cas de surchauffe, de retour de baton.”
On se trompe de prisme
Pour Cédrick Donck, on est en effet dans ce phénomène de la course à la capitalisation. Et il y a, en la matière, plusieurs coupables à désigner… “Je trouve que les médias font un mauvais boulot, à cet égard, parce qu’ils mettent en avant les grandes levées de fonds. On ne voit que ça. Or, qu’est-ce qu’une levée de fonds, sinon une autorisation de faire de la perte. On voit par contre très peu des articles sur des entrepreneurs qui réussissent, qui font du chiffre d’affaires, qui font du bénéfice et qui grandissent sainement, alors que c’est cela la réussite: être pérenne et pas uniquement être subsidié à la testostérone financière, à chaque phase de croissance.
Cédric Donck: “On parle trop peu des entrepreneurs qui réussissent, qui grandissent sainement, alors que c’est cela la réussite: être pérenne et pas uniquement être subsidié à la testostérone financière.”
La presse crée une fausse idée de l’entrepreneuriat, qui a une mauvaise influence sur les entrepreneurs. Finalement, ils passent plus de temps à chercher de l’argent. Pour eux, la réussite, c’est d’obtenir de l’argent plutôt que d’avoir des clients satisfaits ou des comptes corrects.
Cela crée une sorte de spirale et, comme il y a beaucoup d’argent et qu’une bonne part de cet argent est assez naïf, on constate que de grandes catastrophes se créent – et dont on parle moins.”
Pointer du doigt les médias est certes justifié, jusqu’à un certain point, mais la “faute” n’incombe-t-elle pas aussi aux investisseurs qui acceptent de miser gros sur des dossiers qui ne sont pas solides?
“Ils ont bien sûr leur part de responsabilité mais c’est un climat général”, rétorque Cédric Donck. “J’ai l’impression que tout le monde devient fou quand on parle de start-ups. Il y a comme une sorte de double valeur. Parce qu’on est une start-up, on peut se permettre des valorisations folles, sans avoir quasiment de chiffre d’affaires. A la fin, il faut payer ses impôts, faire du bénéfice si l’on veut que les investisseurs puissent profiter de l’investissement consenti.
C’est ce qui fait un peu avec le Tax Shelter ou ce genre de choses. Quand il s’agit d’investisseurs professionnels, c’est leur métier. Mais quand ce sont des particuliers, ils doivent faire très attention, limiter leur investissement à une très petite partie de leur patrimoine. La presse devrait davantage mettre en garde même si ce n’est pas très à la mode dans le climat actuel…
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