Depuis le 25 juin la charte déontologique eTIC est orpheline: le secrétariat et la gestion n’en étant plus assurés, l’initiative risque de disparaître. Pour rappel, cette charte est une liste de règles que les signataires (fournisseurs de produits, de solutions ou de conseils IT) s’engagent à respecter dans le cadre de leurs activités (voir encadré ci-dessous). La charte avait été élaborée en 2004 et adaptée à divers métiers tels que le développement de sites Web, la conception de logiciels et de jeux, de solutions d’e-commerce, la prestation de services de sécurité IT…
Objectif: lutter – et pénaliser – les mauvaises pratiques, les informations lacunaires voire parfois mensongères qui sont fournies aux clients, les clauses contractuelles bancales…
La Charte liste 7 engagements auxquels les signataires doivent souscrire et qui sont destinés à garantir la qualité de la relation entre le prestataire et le commanditaire:
– un contrat en parfaite adéquation avec la demande du client
– une définition claire de l’ampleur du travail
– des délais et des prix clairement précisés
– la définition des tâches et une validation régulière des délivrables intermédiaires,
– la communication des ressources et qualifications
– la pérennité et la portabilité de la solution
– l’identification claire du propriétaire des droits intellectuels.
Tout client estimant avoir subi un comportement anormal de son fournisseur ou prestataire pouvait déposer une plainte auprès du Conseil de surveillance eTIC. Le dispositif intervenait alors pour aider à régler le différend, “si possible à l’amiable”. En cas de situation bloquée (et d’infraction reconnue), certaines sanctions pouvaient être prises, de nature relativement symboliques puisque la plus sévère consiste à retirer au prestataire impliqué le droit d’utiliser la marque eTIC. Symbolique mais malgré tout efficace, le concept de “mauvaise réputation” pouvant faire des dégâts.
Lancée en Wallonie, la charte eTIC avait gagné progressivement l’ensemble du pays et avait même débordé outre-frontières (Grand-Duché, 8 régions françaises: Nord-Pas de Calais, Bourgogne, Provence-Alpes-Côte d’Azur, Aquitaine, Champagne-Ardennes…).
Aujourd’hui, le site Internet eTIC, bien que restant accessible, affiche un avis d’arrêt d’activité, le secrétariat a été supprimé et la gestion des plaintes introduites est en suspens. Pour ne pas dire plus. Sur le site, on peut en effet lire que les “procédures de plainte en cours se sont éteintes.”
Effet domino
Que s’est-il passé? La mèche a en fait été allumée côté flamand, explique-t-on à l’Agence du Numérique (ex-AWT), qui assumait les services de secrétariat pour la région francophone et le Grand-Duché de Luxembourg. “La charte eTIC est en effet un dispositif multi-régional et même transnational. La gestion du dispositif local était structurée de telle sorte à avoir un effet au niveau Benelux, avec des responsabilités de secrétariat réparties entre l’AdN et l’Agentschap Ondernemen”, explique Renaud Dehaye de l’Agence du Numérique.
L’AdN (qui gérait l’ensemble de la base de données et le site) était officiellement responsable de la gestion du secrétariat côté francophone et luxembourgeois (notamment pour l’enregistrement et le suivi des plaintes) tandis que l’Agentschap Ondernemen faisait de même pour les marchés flamand et néerlandais.
“Pour des raisons officiellement budgétaires, le ministre flamand de l’économie [Ndlr: Philippe Muyters, N-VA] a tiré la prise, stoppant le financement octroyé à l’Agentschap Ondernemen. L’AdN aurait donc dû reprendre la main et assurer le secrétariat pour l’ensemble du Benelux.”
Mais… nous sommes en Belgique où rien n’est simple et où on ne rase pas gratis pour l’autre communauté. Qu’une agence financée par la Région wallonne doive travailler pour des sociétés flamandes est un concept qui passe mal au niveau publico-politique.
Résultat: la prise a aussi été retirée du côté francophone. Grandguignolesque, surréaliste, affligeant. Vous y accolerez le qualificatif de votre choix. Reste que la situation est actuellement bloquée.
Ce que nombre d’acteurs déplorent. En ce compris… à l’AdN. “On comprend mal la décision flamande, pour commencer. Le budget ne concernait qu’un mi-temps et la charte commençait à avoir du succès au nord du pays, avec quelque 600 signataires et une demi-douzaine de plaintes introduites à ce jour. Le coup d’arrêt intervient au moment où le concept était en nette progression, où le secteur embrayait…”
En Flandre, il ne s’est pourtant trouvé personne pour relancer l’initiative. Côté francophone, l’annonce de l’arrêt a suscité quelques émois et a piqué au vif plusieurs acteurs.
Voyez plutôt.
Relancer l’initiative?
Situation provisoire, définitive? L’incertitude flotte sur la réponse même si le site de la charte laisse entrevoir une lueur d’espoir: “plusieurs pistes sont actuellement explorées cours afin de remplacer le dispositif par un cadre rénové.”
Par ailleurs, le décès réel n’a pas été prononcé formellement. Pour l’instant, “ce dispositif déontologique n’est pas juridiquement dissout”, signalent les personnes proches du dossier. “Le Conseil de surveillance, seule instance habilitée à acter l’arrêt ou à décider de la suite à donner, ne s’est pas réuni.”
“Les formes de consultation des signataires n’ont pas été respectées. Aucune réunion des instances officielles n’a été envisagée. De plus, toutes les pistes de poursuite des activités n’ont pas été explorées”, déplore dans un billet de blog l’agence Web Be-WebCom (Nivelles). “La dissolution inopinée de la Charte eTIC entraîne l’extinction des inscriptions mais aussi des procédures de plainte en cours s’apparentant à une forme de non-lieu pour les fournisseurs incriminés.”
Laurent Lesage de 2Lconsulting parle lui aussi de procédure qui a franchi quelques lignes jaunes: arrêt “unilatéral” de la part de l’AdN qui, légalement, n’aurait pas été en droit de le faire, non information officielle et personnelle des membres du Comité de Surveillance, seul responsable légal de la gestion de la Charte…
Début juillet, un appel était lancé pour faire renaître l’initiative. Appel qui, à ce jour, a récolté une centaine de signatures de support. La pétition peut être consultée (et signée, le cas échéant) via ce lien.
Parmi les pistes invoquées, on parle de créer une nouvelle structure dotée d’une personnalité juridique – une AISBL? – “autonome et neutre.” L’initiative pourrait en être prise via l’association des Rentic (consultants IT agréés par la Région wallonne mais aussi active à Bruxelles). Des contacts (en ce compris du côté d’Agoria et de la FeWeb) et une réflexion sont en démarrage.
“Il ne s’agit pas d’un arrêt définitif du dispositif”, veut croire Renaud Delhaye. “Des volontaires se manifestent pour le reprendre, ne serait-ce qu’au niveau wallon ou francophone.”
Dans les tout prochains jours, un courrier devrait en tout cas être adressé officiellement aux membres du Comité de surveillance afin de les informer officiellement de la situation et passer éventuellement par lui pour, d’une part, “récupérer” la base de données des quelque 1.200 membres-signataires et, d’autre part, organiser une consultation des membres dans l’espoir de relancer le dispositif en préservant un principe de pluralité et d’indépendance. Un principe qui pourrait donc être garanti par ce même Comité de surveillance. Quitte à ce que certains de ses membres doivent éventuellement être remplacés.
A noter que si la gestion des plaintes et l’animation de la charte pour le marché hollandais étaient assumées par une agence flamande et si l’AdN était en charge de la Wallonie et du Grand-Duché, les 8 régions françaises, elles, ne sont nullement impactées par ce couac typiquement belge puisqu’elles disposent d’une licence d’exploitation et gèrent elles-mêmes les activités de la charte outre-Quiévrain.
Histoire à suivre.
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