En matière d’e-learning, quelles sont les erreurs les plus communément commises lors du processus d’évaluation du projet et de de son déploiement? Quels critères ou paramètres devraient idéalement être retenus pour opérer un choix (outil, méthode, fournisseur, voire prestataire)? Nous avons posé ces quelques questions à deux observateurs du monde de l’“apprentissage par le numérique” (digital learning). Voici l’avis et les conseils de David Boulanger, directeur de Now.be, société de Mont-Saint-Guibert, adepte des solutions de blended learning, mêlant e-learning, présentiel, coaching, jeux sérieux…
Pour découvrir ceux de Pascal Balancier (AdN, ex-AWT), lire notre autre article.
“L’erreur la plus fréquente que commettent actuellement les entreprises est de confondre mise en place d’un dispositif de formation à distance et implémentation d’outils tels qu’un LMS (learning management system) ou un qu’un outil auteur. Lors du passage vers l’e-learning, le “learning” est oublié et la part belle est faite aux seuls outils numériques. Des idées fausses subsistent qui sont des reliquats du début des années 2000 où l’on raisonnait surtout en termes de réduction des coûts ou de suppression, ou diminution, des déplacements…”, déclare David Boulanger, directeur de Now.be.
Deuxième erreur ou point négligé en phase d’évaluation d’un projet d’e-learning: “à la fois la vente du projet e-learning à l’interne auprès de la direction, et la promotion des modules auprès des collaborateurs.
Le fait que la “vente” du projet e-learning auprès de la direction soit négligée ne permet pas de créer une adhésion collective au projet. Le département RH/formation doit “vendre” le projet, en veillant à ce que le temps et les facilités nécessaires soient planifiés.
En parallèle, l’expérience e-learning ne fonctionnera que si les collaborateurs d’une entreprise y participent et s’ils trouvent l’expérience innovante et enrichissante, d’autant plus si la formation n’est pas obligatoire.
Pour qu’il y ait un impact, il faut que les modules soient fort pédagogiquement, qu’ils répondent à un besoin de l’apprenant et qu’ils donnent le sentiment d’apporter de la valeur.
Force est de constater qu’on en est encore loin, que l’e-learning n’est parfois qu’un exercice animé d’un Powerpoint, que l’approche pédagogique est souvent logée dans des quiz (qui ne sont qu’une évaluation des connaissances) et que la promotion des modules e-learning se résume à un mail anodin annonçant l’arrivée d’un nouveau cours ou à un lien dans l’intranet. S’en contenter n’incitera guère de monde à les suivre. Il faudrait en faire la promo à la manière d’une bande-annonce d’un film, quelque chose de visuellement attractif, de quoi donner envie à l’apprenant de découvrir le nouveau contenu. Nous avons déjà procédé de la sorte auprès d’une grande entreprise et on a ainsi pu constater que le taux de clics sur l’annonce avait progressé de 30%… Cela permet de dynamiser l’inscription.”
Quelques conseils essentiels
“L’aspect primordial est de se poser la question du pourquoi: pourquoi tel choix d’outil ou de fournisseur plutôt qu’un autre afin former les collaborateurs?”
Gare aux choix qui n’ont pas été (ou insuffisamment) construits et documentés. Gare si on n’a basé son choix que sur le prix plus attractif, en raison d’une enveloppe budgétaire déterminée (qui impose plus ou moins le choix), sur le bagout d’un commercial, sur une décision d’un département IT (sans l’avis préalable du métier), ou sur les résultats d’une étude comparative qui a fait ressortir une solution en raison de sa pléthore de fonctionnalités. Ou encore si la décision a été prise par la maison-mère qui a décrété que tel outil serait déployé dans toutes ses filiales. Ce qui n’est pas toujours la meilleure façon de procéder.
David Boulanger: “La question à se poser est de savoir quel outil [d’e-learning] me convient et non pas quel est le meilleur outil qui existe sur le marché, en Belgique, en Europe…”“Bien souvent, cela ne s’appuie pas sur une réflexion d’adéquation pédagogique – au niveau des équipes, du temps qu’on va y consacrer, de la régularité ou de la fréquence des formations d’e-learning… Certains outils sont accessibles mais d’autres sont vraiment laborieux. Ils permettent certes de faire de chouettes choses mais si on ne les utilise que tous les 3 mois, les utilisateurs ne pourront pas les maîtriser.”
Trop souvent encore, les entreprises achètent un outil sans s’être au préalable posé la question de ce qu’elles veulent en faire. Résultat? Soit l’outil est inadapté parce qu’il ne peut être maîtrisé par les personnes qui s’en serviront pour se former ou par celles qui devront créer et produire contenus, scénarios et parcours de formation. Ou encore parce que ses fonctionnalités – trop riches ou trop limitées – ne correspondent pas aux besoins.
“Il faut trouver quelqu’un qui puisse conseiller l’entreprise par rapport à ses besoins et non pas faire une étude de marché. Si tel outil peut faire plus de choses, les ferez-vous? Pourquoi choisir un outil moins cher mais qui ne convient pas à votre entreprise?”
Pour David Boulanger, il faut, en quelque sorte, remettre les boeufs avant la charrue. “Il faut faire l’état des lieux du besoin et ensuite trouver une solution. Aujourd’hui, on se met d’abord en quête d’une solution qui, ensuite, doit correspondre au besoin. Acheter parce que c’est moins cher, ou parce que c’est plus cher et que c’est donc meilleur, ou parce qu’on l’a déjà utilisé chez son précédent employeur, ce n’est pas acheter quelque chose qui convient. J’ai un bel outil, une belle voiture mais que je ne sais pas conduire. Qu’importent alors les beaux sièges en cuir à l’arrière!”
David Boulanger: “Bien peser le pourquoi d’une sélection d’outil. En mettant en avant le volet pédagogique et la capacité des collaborateurs à maîtriser l’outil. Si d’autres considérations sont abordées en amont du choix, elles le parasiteront.”
Une bonne pratique que recommande David Boulanger est de faire une “démarche collective avec toutes les personnes concernées, un tour de table pour déterminer ce qu’on veut faire de l’outil. Si vous voulez faire de l’e-learning une fois par an, pourquoi ne pas sous-traiter? Si c’est pour former x personnes tous les mois, voyons quel outil convient le mieux…”
Autre impératif selon lui, “désegmenter, adopter une vision globale. Sans cela, on se limite à une démarche volumétrique: je dois faire x volume d’e-learning. Il faut réfléchir en même temps à la pédagogie qu’on désire mettre en place, au nombre de personnes, à ce qu’elles vont mettre en oeuvre, à quelle fréquence, aux outils qu’on désire acheter… Et pas décider du choix d’un outil parce que cela a été imposé, décidé, budgété, un an auparavant par l’IT ou la direction.”
Quelques conseils pour baliser l’approche pédagogique?
“Pour beaucoup de personnes, faire du e-learning, c’est du “e”. Je dis moi que c’est du learning. Ce qu’il faut faire, c’est apprendre. Transposer purement et simplement un cours présentiel en numérique et dire que la pédagogie sera dans les questions, c’est être à côté de la plaque.
“Une fois l’approche formative, pédagogique, effectuée, il faut évaluer d’autres points tels que:
– développer en interne ou externaliser
– quel outil utiliser pour le développement de contenu
– quel LMS installer et quelle interopérabilité avec les outils existants
– quels suivis des apprenants, quel “tracking” de qui a fait quoi quand et avec quelle réussite”
L’approche pédagogique, selon moi, consiste à réfléchir à la manière dont quelqu’un qui sera livré à lui-même devant son ordinateur, pour suivre un e-learning de 5 minutes ou parfois d’une heure, pourra le faire sans décrocher. Le concepteur doit réaliser une prouesse. Le contenu doit être sympa, excitant, interactif, qui ressemble à un cours donné par un formateur captivant, qui a du charisme, le tout devant être transposé dans un média froid.”
Parmi les clés de succès? “Créer de l’interactivité – souvent – et respecter l’apprenant en le prenant pas pour un con avec des questions stupides, mais ne pas le bloquer par des questions trop compliquées où il se fait lyncher à chaque coup…”
Externaliser mais quoi et comment?
Choisir un mauvais outil (ou un bon outil pour les mauvaises raisons) est aussi une voie royale vers une situation où l’entreprise sera forcée d’externaliser la production de contenus ou la scénarisation de ses parcours de formation, faute de pouvoir maîtriser la chose en interne. Gare alors au coût et au ROI…
D’autres raisons peuvent justifier d’externaliser tel ou tel pan du projet d’e-learning, selon David Boulanger: “la nécessité de faire face à une (soudaine) montée en charge (plus de contenus et/ou plus d’apprenants). Ou l’envie de faire développer un module qui sorte un peu du quotidien, qui permette d’obtenir des résultats supérieurs à ce qu’on fait d’habitude, ou en cas de besoins ou compétences spécifiques.”
Il n’y a pas de réponse toute faite, bien entendu, mais comment veiller à ce que ce qu’on externalise soit réalisé avec satisfaction? “A priori, si on travaille correctement, c’est toujours le client qui a la main sur le contenu. C’est lui qui doit valider le contenu, voire le piloter, en ce compris pour le volet médiatisation. Il faut être dans la co-construction entre client et fournisseur. Et l’idéal, quand on externalise, c’est aussi peut-être d’apprendre, ne pas se contenter de sous-traiter.”
David Boulanger: “L’idéal, quand on externalise, c’est aussi peut-être d’apprendre, ne pas se contenter de sous-traiter.”
L’e-learning, maillon de la chaîne de formation
Tout comme la décision d’un choix e-learning doit se faire “en transversal”, en impliquant idéalement tous les acteurs concernés en interne, David Boulanger recommande d’adopter une vision globale en termes de parcours pédagogique. “L’un des manquements, c’est que les gens produisent du contenu e-learning comme une brique isolée sans tenir compte des parcours. Si on a produit du contenu sans lien aucun avec un webinaire en amont ou du présentiel à venir, la personne qui suit ce contenu numérique sent qu’il y a un manque de cohérence. C’est donc ressenti comme quelque chose qui n’est pas fun, qui n’est pas sexy parce que le parcours est segmenté. Les personnes qui sont spécialisées dans les formations en présentiel et celles qui font du numérique doivent se parler.”
Aujourd’hui, estime-t-il, “il est impossible de faire l’impasse sur l’approche blended. Nos meilleures réalisations sont blended et intègrent un parcours de formation à l’opposé d’une “brique e-learning” autonome. Depuis un an, quand nous rencontrons des clients qui souhaitent que nous réalisions un e-learning, nous ne sortons pas du rendez-vous sans avoir questionné le prospect sur la place que prendra le e-learning dans l’approche globale du parcours de formation.
Un exemple que nous avons mis en place pour Orange Campus à Paris, c’est une suite formative qui se compose d’un webinaire en intro, d’une approche e-learning, de la formation présentielle, d’un serious game afin d’expérimenter le contenu et, pour boucler le tout, d’un autre webinaire après 2 mois pour évaluer la mise en pratique de la formation.”
Innover aussi dans le suivi
Le suivi pédagogique demeure, quant à lui, à la fois un défi et un élément trop peu appliqué. C’est pourtant essentiel pour déterminer dans quelle mesure une formation a été suivie d’effets, si l’outil (ou la méthode) est adapté et pertinent.
Au-delà d’un sondage à chaud, Now.be propose notamment deux solutions de suivi. D’une part, l’organisation (comme la société l’a fait pour Orange) d’un webinaire de contrôle, environ deux mois après le parcours d’e-learning. “On vérifie lors de ce webinaire si des choses ont réellement été mises en place entre-temps. C’est une manière de faire du coaching, de vérifier le partage de bonnes pratiques entre les apprenants…”
David Boulanger: “Des outils [de tracking] oui, mais pour quelle analyse? Si c’est pour déterminer le nombre de secondes qu’un apprenant a passées devant chaque écran, l’information n’est pas pertinente. Si c’est pour identifier que 85% des gens calent sur tel contenu et qu’il faut en charger, alors oui…”
La société a aussi développé une appli (pour iOS et Android) qui envoie systématiquement, chaque jour (pendant une durée variable), des notifications qui servent de rappel de la formation donnée. “De brefs contenus d’une dizaine de secondes, voire moins, qui sont autant de piqûres de rappel: ai-je mis telle ou telle chose en pratique, ai-je réfléchi à telle ou telle chose… C’est de la micro-consommation, directement dans leur poche [sur smartphone et non via mail] et sert de suivi à la formation, de rappel goutte-à-goutte aux notions apprises, aux trucs et astuces livrés… Le contenu est toujours en lien direct avec la formation spécifique qui a été donnée. Chaque notification les invite à agir, à réfléchir… C’est de la réactivation.”
La société transformera, d’ici 6 mois, cette appli en outil-auteur de telle sorte que les formateurs puissent l’utiliser eux-mêmes.”
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