Fin d’année dernière, l’association Dour Centre-Ville lançait une initiative visant à encourager les commerçants de la ville à se mettre à l’e-commerce ou, tout au moins, à acquérir quelques compétences de base en matière de “présence numérique”. Nous vous avions parlé de cette initiative.
Quel en a été le résultat et comment se dessine la suite qui lui sera donnée? Nous avons recontacté ses deux initiateurs, Dominique Moraux, consultante indépendante, et Stéphane Thiébau, directeur de l’asbl Dour Centre-Ville.
S’il est une chose qui n’a pas varié entre le moment où cette expérience a été mise sur les rails et l’heure des bilans, c’est bien qu’il faut d’abord commencer par ensemencer et convaincre avant de vouloir, à toutes forces et par des moyens souvent surdimensionnés ou non adaptés, faire basculer les petits (ou moyens) commerces de proximité dans l’ère du numérique. Comme on le verra plus loin, même des formules minimalistes peinent à initier une réelle dynamique.
Dominique Moraux: “Cette première étape de conscientisation était indispensable dans la mesure où, pour beaucoup, le numérique était jusqu’ici hors champ.”
A Dour, un attirail de moyens de “conscientisation douce” ont été mis en oeuvre. Par petites doses. “Mini-formations”, quelques envois de newsletters (par courriel), soutien des autorités communales au travers des publications de la ville, rencontres via des ateliers organisés au Café Numérique de Mons (qui, pour la circonstance, s’est délocalisé)… L’objectif était d’amener un maximum de commerçants à “goûter” au numérique par quelques actions basiques.
Les “mini-formations”, proposées à ceux qui avaient marqué de l’intérêt en lisant les courriels de sensibilisation qui leur étaient envoyés, ont porté sur trois thèmes: géolocalisation de l’enseigne via Google Maps, utilisation de Facebook, placement d’une pub sur Google (ce dernier ayant proposé des bons AdWords gratuits). Par contre, l’idée d’une formation au marketing SMS a été remisée au placard. “L’outil étant payant, la conviction a été plus dure à emporter.”
“Il s’agissait aussi de faire passer certains messages sur les actions réellement indispensables. Du genre: vérifier si les concurrents directs sont déjà présents en-ligne, si des clients émettent des avis positifs ou négatifs sur les réseaux sociaux, si les clients peuvent aisément trouver sur Internet les produits vendus ou services proposés…”, indique Stéphane Thiébau.
C’est pas gagné…
Qu’ont donné ces premières actions de sensibilisation? Les commerçants ont-ils “mordu” à l’hameçon?
Au total, une centaine de commerçants ont été “conscientisés”, auxquels s’ajoutent quelques indépendants (artisans, carreleurs…) et de asbl (monde de la culture). Mais cette “conscientisation” a-t-elle eu un véritable impact?
Pour objectiver l’expérience, une petite enquête a été menée auprès de 27 commerçants qui, d’une manière ou d’une autre, ont participé aux actions. 25 d’entre eux sont des convaincus.
Beaucoup toutefois, bien qu’ayant marqué leur intérêt (“plus de 90% de réactions positives”, selon Stéphane Thiébau), ont repoussé les actions à plus tard. “Et ils sont encore loin de passer au stade du site Internet.”
Stéphane Thiébau (Dour Centre-Ville): “La formation à Facebook a notamment été faite selon le principe des “bons plans” exposés par d’autres commerçants. L’effet est encore lent mais les choses bougent. Nous nous donnons un trimestre pour vérifier s’il y a un effet d’entraînement.”
D’une manière qui peut paraître étonnante, ceux qui se sont le mieux lancés à l’eau sont les nouveaux arrivants. Les commerçants déjà “dans la place” (établis de longue date à Dour) seraient-ils plus réfractaires, d’une autre génération?
Pas forcément, estime Stéphane Thiébau, mais “les choses sont plus faciles avec les nouveaux arrivants parce qu’on part d’une page blanche et qu’ils arrivent avec de bonnes intentions, pour réussir leur implantation…”
Et de poursuivre: “D’une manière générale, on a pu constater que la phase de conscientisation ne suffit pas pour les amener à sauter le pas. En fait, il y a beaucoup de demandes d’accompagnement. Ils ne savent pas encore quels sont leurs objectifs. Elaborer une stratégie apparaît comme démesuré. Les commerçants sont encore perdus, même après avoir suivi une petite formation.” La raison? “Ils ont souvent consacré trop peu de temps à la lecture des documents fournis.”
Dominique Moraux: “Au moins la conscientisation aura-t-elle servir à faire en sorte que les commerçants soient ouverts à ce qu’on leur apporte quelque chose…”
Ce constat a immédiatement amené les auteurs de l’initiative à la conclusion que “cela ne servirait à rien de prévoir de plus grosses formations. Les commerçants ne sont pas prêts à s’y investir même s’ils se disent intéressés à passer au numérique”, déclare Dominique Moraux. “Au moins la conscientisation aura-t-elle servi à faire en sorte que les commerçants soient ouverts à ce qu’on leur apporte quelque chose… Mais il faut donc imaginer un système qui permette de mettre les choses en place pour eux, sans qu’ils aient à se poser (trop) de questions.”
La piste des formations n’en est pas pour autant oubliée. Les documents existants continueront par exemple d’être consultables via le site de Dour Centre Ville.
Mais l’étape suivante consistera désormais à procurer de l’accompagnement, plutôt qu’une simple formation.
La suite?
Cet accompagnement prendra tout d’abord la forme d’une sélection de solutions numériques, abordant chacune un aspect du commerce connecté: visibilité, promotion, catalogue centralisé, fidélisation, transactions… Les commerçants pourront piocher dans un petit catalogue de solutions pré-sélectionnées et mises à leur disposition via un espace e-commerce aménagé sur le site Internet de Dour Centre-Ville.
“Tous les commerçants de la ville seront d’office répertoriés dans cet espace e-commerce et intégrés dans la base de données des prestataires choisis. Tous pourront donc bénéficier des services et solutions proposés.” Mais sans diktat: chacun pourra choisir ce qui lui convient.
Il s’agira de faire en sorte que les solutions soient à la fois complémentaires, aisées à mettre en oeuvre, financièrement abordables et, surtout, non contraignantes (laissant la possibilité au commerçant de se dégager quand il le désire).
Deux solutions ont d’ores et déjà été sélectionnées, à savoir: PubEco et Localisy.
PubEco est une solution de dématérialisation des traditionnels flyers publicitaires toutes-boîtes. La société française propose un portail et un service d’alerte (via e-mail) qui permet à l’internaute d’accéder à une sélection de promotions pouvant l’intéresser. Pour les besoins de Dour, qui servira de ville-pilote à l’éditeur français (désireux d’étendre ses services à la Belgique), tous les prospectus virtuels seront regroupés dans une même page, sur le site Internet de l’asbl Dour Centre-Ville. Chaque commerçant créera ses promotions, les téléchargera dans l’application et pourra potentiellement procéder à du ciblage personnalisé de ses promotions.
Cette application de dématérialisation des prospectus commerciaux sera par ailleurs l’un des outils de la politique de gestion des déchets de la Ville. Mais s’il le désire, l’habitant pourra encore exiger de recevoir ses petites annonces commerciales sur papier. L’espoir est simplement de convaincre de l’utilité du numérique…
Dominique Moraux: “concevoir un outil, le proposer sur le site de la Ville et dire aux commerçants “débrouillez-vous avec” ne marche pas parce qu’ils ne s’y investissent pas et ne sont en rien dynamisés.”
Autre solution choisie pour les commerçants: Localisy, une nouvelle solution belge (qui sera officiellement dévoilée d’ici quelques jours). Principe: offrir aux petits commerçants une solution de présence en ligne la plus intuitive possible (l’interface se calque largement sur les principes introduits par Facebook), une réelle alternative au classique site-vitrine, qui soit simple d’accès et permette à tout commerçant d’être aisément ‘trouvable’ sur Internet. La solution comporte en outre un volet “bons plans” et permet au client d’évaluer, via géoloc’, la distance qui le sépare de tel ou tel commerce.
D’autres solutions viendront s’y ajouter. Des contacts ont ainsi été noués avec RueCentrale.com, une solution française de fidélisation qui prend la forme d’une appli mobile à installer sur son smartphone. Elle permet de localiser sur une carte les commerçants de proximité (choix libre du quartier visé). On clique sur un commerce et l’on obtient ainsi les “actus et bons plans” qu’il communique. Sans oublier des offres exclusives ou personnalisées et les cartes de fidélité dématérialisées des commerçants répertoriés.
Ne rien imposer
L’optique du “package modulaire et complémentaire” prise par Dominique Moraux – avec laquelle elle espère convaincre villes et commerçants – impose de trouver un juste équilibre entre plusieurs paramètres pas forcément aisés à combiner: une offre variée de solutions, dans lesquelles puiser, le principe de “la ville choisit et impose”, la volonté éventuelle de certaines villes de privilégier d’autres solutions [ce qui déforcerait l’effet mutualisation, le côté complémentaire des solutions et compliquerait le suivi], un choix optimal de solutions complémentaires, et la nécessité de faire évoluer ce “package” en fonction des besoins et de l’évolution des technologies.
Une dispersion des choix, par chaque ville ou association de commerçants, risquerait de rendre le “package” moins cohérent et compliquerait l’accompagnement. Sans parler du coup de canif donné dans l’argument de l’économie d’échelle.
“Des villes ou associations ont parfois choisi, jusqu’ici, de proposer une seule solution et de l’imposer à tous – comme l’a par exemple fait Mons avec NearShop ou d’autres, avec TagTagCity. Le fait est”, estime Dominique Moraux, “que les commerçants en-ligne sont très différents les uns des autres. Proposer une seule solution, c’est courir le risque de passer à côté de leurs besoins.”
Autre écueil à surmonter: l’encodage des informations par les commerçants. D’autres projets, d’autres solutions lancées ces dernières années par des start-ups, ont périclité, faute d’avoir pu amener les commerçants de quartier à alimenter et à se servir de l’outil.
Chacun, à Dour, devra donc y mettre du sien. Mais dans quelle mesure l’asbl Dour Centre-Ville pourrait-elle pallier à certaines carences ou aider concrètement les commerçants dans leurs tâches numériques? Dominique Moraux compte bien proposer une petite idée, via la plate-forme participative du Printemps du Numérique: “il faudrait du personnel “public”, financer des personnes qui, au sein de ce genre d’associations, puissent assumer certaines tâches pour les commerçants. Faute de quoi, on risque de passer à côté de l’objectif et de ne pas produire l’effet voulu… [à savoir, la conversion des petits commerçants au numérique]”
Elle imagine une sorte de fonction de “steward” spécialisé en numérique, mis à disposition (et payé) par la ville qui, dans une certaine mesure, gérerait la présence en-ligne des commerçants.
Pourquoi pas une sorte de “steward” spécialisé en numérique, mis à disposition (et payé) par la ville, qui aiderait les commerçants à gérer leur présence en-ligne?
Etape suivante (encore au stade de la conceptualisation): promouvoir le réflexe “quartier”
Dominique Moraux imagine donc la mise à disposition (des associations de commerçants, des syndicats d’initiative, des communes…) un “package” attrayant, orienté “quartier commerçant connecté”.
Le package proposé ne sera pas pour autant une liste à la Prévert. Ni trop, ni trop peu. “Il ne faudra pas trop disperser les choix dans la mesure où le but est de donner une image cohérente au centre-ville.”
“L’objectif est de faire la promotion du centre-ville et non la promotion de chaque commerçant en particulier“, confirme pour sa part Stéphane Thiébau.
Cette mise à disposition s’accompagnera de conseils, d’un apport de bonnes pratiques et de suggestions, avec des consignes pour améliorer l’utilisation des solutions par les commerçants d’un même quartier (selon le principe que l’animation et la bonne santé d’un quartier dépend de l’action de tous).
Par ailleurs, pour encourager une participation active et une certaine émulation, Dominique Moraux envisage de recourir à un outil qui afficherait les statistiques, permettant à chacun de juger de ses propres progrès et de se comparer aux voisins ou à des commerçants actifs dans le même domaine.
Par ailleurs pour que l’idée rencontre du succès, à une autre échelle que la seule ville de Dour – où elle doit d’ailleurs encore faire ses preuves -, il faudra voir dans quelle mesure l’expérience de Dour inspirera d’autres villes et/ou associations. Du côté de l’AMCV (Association du Management de Centre-Ville), par exemple, on attend pour l’instant de voir ce que donneront les prochaines étapes (offre de solutions et accueil que lui réserveront les commerçants) avant de prendre éventuellement position — et action. Pour l’heure, l’association s’est contentée de signaler aux autres villes l’existence de l’expérience.
Découvrez-nous sur Facebook
Suivez-nous sur Twitter
Retrouvez-nous sur LinkedIn
Régional-IT est affilié au portail d’infos Tribu Médias.