Troisième portrait dans notre mini-série sur les lauréats du concours ““Innovators under 35” organisé par le MIT Technology Review.
Thibault Helleputte est diplômé en informatique de l’UCL et détenteur d’un doctorat en bioinformatique. Ses recherches, dans l’équipe du Professeur Pierre Dupont (département ICTEAM- Institute of Information and Communication Technologies, Electronics and Applied Mathematics), ont débouché, en 2012, sur le lancement de la spin-off DNAlytics.
Domaine d’expertise: l’utilisation de techniques de modélisation et d’analyse prédictive de données génomiques et cliniques pour proposer des conseils en matière de recherche clinique et pharmaceutique ainsi qu’une solution logicielle de diagnostic d’arthrite rhumatoïde. Des applications à d’autres domaines, tels que le cancer, sont d’ores et déjà envisagées. Ce qui est en jeu ce n’est pas uniquement la prédiction personnalisée d’affections ou de réactions physiologiques mais aussi, et de manière plus large, la médecine personnalisée.
Ces travaux et la création de la société DNAlytics lui ont valu d’être nominé comme “Innovator under 35” dans le cadre du volet belge du concours organisé par le MIT Technology Review.
Rencontre avec ce chercheur devenu entrepreneur.
De fil en aiguille
Avant de se lancer dans ses études universitaires, Thibault Helleputte dit avoir hésité entre deux directions: la médecine ou l’ingéniorat. Aujourd’hui, le fait est qu’il a pu concilier les deux et qu’il est plus que jamais proche du monde de la médecine et de la génomique. “Je me suis inscrit pour des études d’ingénieur civil sans encore trop savoir ce que je voulais faire. J’ai ensuite pris une orientation informatique et, plus spécifiquement, l’option intelligence artificielle qui comprenait déjà à l’époque [Ndlr: début des années 2000] un premier cours de bio-informatique. Cela me permettait de suivre des cours un peu orientés biologie, sciences du vivant.
J’ai fais mon mémoire sur le thème de l’analyse des données médicales. C’était le début, à Saint-Luc (Bruxelles), le tout début de l’utilisation de plates-formes génomiques. Ils avaient donc besoin de l’apport de quelqu’un ayant des compétences d’informaticien – un simple tableau Excel ne suffisant évidemment plus pour analyser les données.”
Thibault Helleputte (DNAlytics): “Le Rheumakit est une belle vitrine de ce qu’on peut faire avec la modélisation.”
Après avoir travaillé, pendant ses études, dans une équipe du Professeur Etienne Sokal [Ndlr: Faculté de médecine et Institut de recherche expérimentale et clinique de l’UCL; fondateur de Promethera Biosciences] et du professeur Pierre Dupont sur un projet “à cheval entre les facultés de médecine et d’ingénieur”, il se lance, toujours sous leur conduite, dans une thèse “qui comportait à la fois des aspects de recherche en algorithmique et de machine learning appliqués à une recherche de facteurs prédictifs du développement d’allergies chez les nouveaux-nés. On a analysé plusieurs dizaines de milliers de marqueurs génétiques. C’est durant cette thèse que nous sommes entrés en contact avec des laboratoires académiques et des sociétés privées qui marquaient un intérêt certain. Pierre Dupont et moi-même en avons conclu qu’il y avait sans doute là un projet d’entreprise à creuser…”
Cette société, ce serait DNAlytics. Une société qui, a ses débuts, s’est limitée à la fourniture de conseils à destination de clients venus du monde du pharmaceutique et des biotechnologies mais qui, bien vite, a développé sa propre solution. “Nous disposions en effet d’une plate-forme technologique d’analyse de données. Dans tous nos projets, l’objectif était de construire des modèles prédictifs que ce soit pour du diagnostic, du prédictif ou du pronostic de réponse à un traitement. Pourquoi dès lors ne pas s’en servir pour développer nos propres produits de diagnotic?”
DNAlytics allait dès lors transformer en outil (un kit logiciel de diagnostic en-ligne) ce qui n’était encore au début qu’un prototype de modèle de diagnostic des arthrites indifférenciées [autrement dit des arthrites dont il n’est pas possible de déterminer s‘il s’agit de polyarthrite rhumatoïde, avec autodégradation des articulations, ou d’arthrose – deux maladies pour lesquelles les traitements sont très différents].
“Nous avions une ébauche de solution qui permettait de discriminer les patients sur base d’un modèle mathématique qui combine des observations cliniques et génomiques.” Le Rheumakit était né. “C’est une belle vitrine de ce qu’on peut faire avec la modélisation.”
Marier recherche avancée et utilité immédiate
Thibault Helleputte hésitait donc, au début, entre une carrière de médecin et celle d’ingénieur. Une fois son choix fait, au vu de ses pôles d’intérêt qu’il avait réussi à réconcilier, se voyait-il davantage chercheur dans un laboratoire, inventeur, ou entrepreneur?
“Je ne suis pas schizophrène mais j’ai toujours un peu cette opposition entre esprit d’expertise et esprit managérial. J’aime avoir une vision très précise de certains détails et pouvoir les approfondir et, en même temps, les raccrocher à quelque chose, voir les problèmes dans leur ensemble. J’aime beaucoup gérer des projets, pouvoir appliquer des concepts technologiquement avancées dans quelque chose qui est déjà utile maintenant. Il y a peu de sociétés qui permettent de faire du data mining appliqué à des problèmes médicaux concrets…”
Pour se glisser dans la peau d’un entrepreneur, Thibault Helleputte a suivi un master en gestion en cours du soir à la Louvain School of Management (UCL). “C’état passionnant, très interactif. Mais encore faut-il pouvoir appliquer tout ce qu’on voit en cours de gestion à la réalité d’une start-up dont les contraintes sont toute autres que celles d’une entreprise. Il ne s’agit pas de créer des tableaux de bord pour voir si on ne dévie pas du cours qu’on s’est fixé. Avec une start-up ou une spin-off, on ne sait pas encore exactement ce qu’on va faire, où on va ou pour qui on va le faire… Le cours de finances, par exemple, est extrêmement décalé dans un master en gestion!”
Pour le guider, Thibault Helleputte a aussi tenu, dès les début des DNAlytics, à s’entourer d’un advisory board de professionnels et de personnes expérimentées (dont les professeurs Pierre Dupont et Benoît Gailly, Jean-Paul Prieels, ancien directeur R&D de GSK Biologicals, ou encore Jean-Pol Detiffe d’OncoDNA). “C’était une caisse de résonance où on pouvait exposer des problèmes concrets et trouver des pistes pour y répondre.”
Quels ont été les tournants majeurs de son parcours?
Thibault Helleputte cite notamment son choix, à la sortie de ses études, de se lancer dans une thèse avec des accents entrepreneuriaux. Ou encore sa bonne entente avec son directeur de thèse, Pierre Dupont, “et les personnes de notre advisory board et celles qui siègent désormais au conseil d’administration de la société devenue s.a. C’est une vraie source d’idées et de conseils.”
Quels sont à ses yeux les facteurs de succès qui permettent de transformer une idée en “coup gagnant”?
“Quand je me suis lancé dans un doctorat, beaucoup m’ont dit que je me lançais dans quelque chose d’incertain. En réalité, l’incertitude est encore plus grande quand on lance une start-up. Il faut aimer vivre dans l’incertitude.”
Thibault Helleputte (DNAlytics): “Quand on lance une start-up, il faut aimer vivre dans l’incertitude.”
“Ce qui est parfois une petite frustration, c’est qu’on vient avec de grandes idées qui, sur le papier, ont l’air parfaites. Quand on se confronte à la réalité du terrain, on s’aperçoit que la démarche commerciale est une vraie démarche systématique. Comme le dit le professeur Gailly, il faut quasi autant de temps pour vendre un produit que pour le concevoir et c’est là quelque chose qu’on sous-estime quand on a un background de technicien.
Thibault Helleputte: “On a une masse d’innovations, de produits et solutions très en pointe mais on est bloqué, en termes d’adoption, en raison des blocages réglementaires et politiques. Faut-il aller vendre aux Emirats parce que là il n’y a pas de remboursement?”
Il y a aussi toute une série d’incohérences. Il existe beaucoup d’instruments pour promouvoir l’esprit d’entreprendre en Belgique. La Wallonie est en pointe en matière de recherche pharmaceutique et médicale. Grâce à toutes ces aides, on peut donc porter de beaucoup projets très en pointe, jusqu’à les lancer sur le marché. Par contre, on ne favorise absolument pas l’adoption des innovations en raison de lourdeurs ou de blocages notamment en termes de remboursement de ces nouveaux dispositifs par l’Inami…” Un fait qui n’est d’ailleurs pas spécifiquement belge…
Petit pays, petite région, petite visibilité. Quel impact peut-on espérer pour “nos” innovations?
“Je crois qu’on a une très bonne dynamique. Avec des regroupements thématiques autour de pôles bien identifiables. D’un point de vue géographique, il est donc facile d’aller chercher des compétences complémentaires, partager des expériences. Quel que soit le domaine concerné, les trucs et astuces sont réutilisables par d’autres. Pour ce qui est de la dimension internationale, il est assez aisé d’obtenir de la visibilité. Des aides existent pour participer à des missions. C’est vrai qu’on n’a pas la même réputation que d’autres acteurs de la recherche mais cela peut aussi être un avantage dans la mesure où cela forge le caractère. Je ne crois pas qu’on soit moins bons ici qu’ailleurs. Bien sûr, on n’a pas la même exposition que d’autres.
Thibault Helleputte: “On n’a pas la même réputation, la même exposition, que d’autres acteurs de la recherche mais cela peut aussi être un avantage dans la mesure où cela forge le caractère.”
Je suis très mitigé par rapport à l’engouement que suscite les Etats-Unis en termes d’entrepreneuriat. Non pas qu’ils ne le fassent pas très bien mais j’ai l’impression qu’il ne faudrait pas grand-chose, et notamment un peu de conviction, pour qu’on fasse la même chose ici. Nos universités sont au moins aussi bonnes que les universités américaines.
Pour plus de détails sur la société DNAlytics, l’évolution et les perspectives futures du projet, lisez cet article.
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