L’année dernière, la Région de Bruxelles-Capitale avait déposé un dossier dans le cadre du programme “Smarter Cities Challenge” d’IBM. Son plan (ou ses ambitions) d’amélioration de la mobilité urbaine par le biais des nouvelles technologies avait retenu l’attention de la société – relire notre article, lui permettant de bénéficier d’un accompagnement par six experts d’IBM, venus des quatre coins de la planète (Etats-Unis, Italie, Autriche, Canada, Singapour, Inde).
Pendant trois semaines, les membres de cette équipe ont rencontré à la fois les responsables de la Ville et de la Région, les opérateurs de transport locaux (ou nationaux), étudié les projets et surtout la situation et les potentiels de modernisation/numérisation.
Leur rapport a été rendu cette semaine au gouvernement bruxellois, représenté pour la circonstance par Pascal Desmet, ministre en charge de la mobilité et des travaux publics, et Bianca Debaets, secrétaire d’Etat chargée de l’informatique régionale et de la transition numérique.
Les 10 conseils
Open Data
- améliorer le cadre existant en matière d’open data au bénéfice de la mobilité
- exploiter les technologies mobiles pour impliquer les citoyens et collecter des données en temps réel
Infrastructure
- recourir aux technologies “intelligentes” pour réduire la congestion automobile
- optimiser et renforcer les capacités et solutions existantes
Mobilité
- définir une stratégie de communications autour de la mobilité qui place le citoyen au centre du jeu
- mettre en oeuvre un contexte de mobilité multi-modale intégrée, supportée par des outils interactifs numériques
Exécution et gouvernance
- création d’une “alliance” (regroupant tous les acteurs concernés) chargée de gérer de manière univoque, centralisée et harmonisée les services de transport
- gestion et suivi de l’utilisation des transports publics et des niveaux de services prestés.
Il est structuré en 4 grands chapitres – open data, infrastructures, mobilité, exécution et gouvernance – et 10 recommandations (voir la liste dans l’encadré ci-contre).
Les différentes recommandations d’IBM proposent plusieurs manières d’exploiter et de mettre à contribution les technologies informatiques et numériques afin d’optimiser la mobilité. Cela concerne aussi bien l’extension du recours aux open data (données publiques “libérées” et mises à la disposition de tous), l’utilisation des données géolocalisées des comportements de mobilité des citoyens, navetteurs, résidents etc., la mise en oeuvre d’éléments d’infrastructure permettant de mieux gérer le flux de véhicules, d’autoriser l’ouverture à la circulation de bandes de circulation en fonction de la nature du trafic, de son intensité, mais aussi l’instauration de systèmes de comptage et de facturation des automobilistes, du moins en heures de pointe, en vue de réduire les taux de congestion.
Open data
Si la Région de Bruxelles-Capitale a déjà mis quelques orteils sur le terrain des open data – essentiellement au travers de sa cartographie Urbis -, les experts d’IBM soulignent – et les responsables politiques acquiescent – que le chemin est encore bien long et, surtout, qu’il faut accélérer le mouvement.
L’existant constitue toutefois un socle sur lequel construire. Les choses majeures restant à mettre en oeuvre, selon eux, sont une équipe et un lieu central, uniques, qui puissent assumer le pilotage de tout ce qui est open data afin d’en garantir une gestion de bout en bout, en ce compris en termes de qualité de données, de conditions de mise à disposition, de rassemblement de toutes les données ouvertes, de collecte efficace…
L’un de domaines sur lesquels agir est aussi l’implication active des citoyens: à la fois pour fournir des données, alimenter et enrichir dynamiquement et en temps réel les jeux existants, donner leur feedback. Les smartphones et autres tablettes en seront les outils. Pour susciter la participation, les experts d’IBM suggèrent par ailleurs le recours à des “rewards & incentives”.
Autres acteurs à mobiliser: les opérateurs télécoms qui peuvent fournir des informations précieuses sur les comportements de mobilité (déplacements, trajets, fréquences…) des citoyens, automobiles et autres “cibles”.
Infrastructure
Compte tenu du contexte urbain tel qu’il existe, une optimisation de l’infrastructure peut par exemple passer par une flexibilisation de la manière dont elle est utilisée. Dans ce registre, l’équipe d’IBM propose d’augmenter le nombre de bandes (de circulation) rapides, d’ouvrir – selon le taux de passage – les bandes réservées aux bus à des voitures embarquant plus d’une personne, de rendre le système de feux de signalisation plus “intelligent” (synchronisation en fonction du volume de trafic), d’alterner le sens de circulation sur certaines bandes en fonction des heures et/ou du volume de circulation…
Tout cela passe par la mise en place d’un système de surveillance automatique des feux, l’installation de caméras, par le déploiement de nouveaux systèmes de gestion, de surveillance et d’orchestration et par un recours à l’analytique de type big data/real time data afin d’optimiser trafic, fréquences, autorisations spéciales de circulation…
Mobilité
L’amélioration de la mobilité devrait également passer par une collecte et une analyse plus pointue des données et informations avec et en provenance des usagers – par exemple, via prise en compte des échanges via les réseaux sociaux. S’y ajouteraient également le recours aux technologies mobiles “pour offrir un système intégré de paiement et de billetterie”, une généralisation de la signalisation numérique sur la totalité du territoire de la région métropole, le déploiement d’un planificateur de trajets multi-modal (permettant de combiner informations sur les routes, les transports en commun, la location de vélos…) avec inclusion d’un potentiel d’informations et d’alertes temps réel, ou encore le développement d’un tableau de bord permettant de visualiser, analyser, retracer les historiques d’utilisation.
Rêver le Bruxelles de demain. Ici, la rue Belliard en 2040, selon un schéma de circulation loin de la réalité actuelle. Source: Mobil 2040.
Le développement de ces nouvelles applications et solutions pourrait se faire, recommande IBM, en mode de co-création, avec travail conjoint “entre les établissements publics, privés et l’enseignement.”
Exécution et gouvernance
IBM recommande la création d’une “alliance du transport”, réunissant toutes les parties concernées (Bruxelles Mobilité, la STIB, les TEC, la SNCB et De Lijn) autour d’une même table afin de coordination leurs services, d’assurer une gestion harmonisée des services de mobilité, de leur utilisation et des niveaux de services prestés (SLA). L’évaluation de ces niveaux de services s’accompagnerait d’une publication régulière (vers le grand public) d’indicateurs de performance portant à la fois sur “les transports publics, la commodité des parkings publics et la qualité des services, tels que la disponibilité du service, sa fiabilité, le confort, la propreté, la sûreté et la sécurité, les tarifs, l’information, le service à la clientèle, l’impact environnemental seraient publiés sur base régulière et communiqués aux citoyens.”
Cette recommandation concerne non seulement la mise en oeuvre du concept “one timetable, one fare, one ticket” mais aussi – et ce sera plus dur à mettre en oeuvre – une sorte de comité de gestion unifié. “Ce genre d’initiative a vu le jour en Allemagne et a gagné les pays germanophones”, expliquait l’un des experts IBM. “Une cinquantaine de villes allemandes l’ont déjà adopté, avec succès, de même que Zürich ou certaines villes autrichiennes.”
Un tel organe serait aussi chargé d’organiser les péages dits de congestion, à installer aux entrées et sorties de la ville et à activer aux heures de pointe ou en cas d’afflux trop importants. En la matière, un exercice d’analyse des données (historiques mais aussi temps réel) sera indispensable, à la fois pour calibrer le plus efficacement possible le taux de péage, l’adapter aux changements de comportement…
Les recettes seraient allouées, par cet organisme, à des investissements technologiques pour améliorer les solutions ou en développer de nouvelles. Inutile de préciser que les experts (étrangers) d’IBM n’ont pas forcément un feeling très précis de la complexité du kaléidoscope institutionnel belge…
La balle dans le camp du gouvernement
Le rapport d’IBM va maintenant être présenté par Pascal Desmet, ministre en charge de la mobilité et des travaux publics, et Bianca Debaets, secrétaire d’Etat chargée de l’informatique régionale et de la transition numérique, à leurs collègues du gouvernement ainsi qu’aux divers “partenaires” concernés (les opérateurs de transport, Bruxelles Mobilité…). Objectif: “traduire ce rapport en objectifs. Une table ronde sera organisée, d’ici quelques semaines, pour identifier les actions à prendre, les quick wins…”, déclare Pascal Desmet. “Ce rapport arrive au bon moment. Le problème est clairement reconnu. Il faut maintenant faire des choix. Une solution de gestion intelligente du trafic (synchronisation des feux) est déjà chose approuvée. Le principe du ticket unique est en bonne voie. Des concertations ont été engagées avec la Flandre et le fédéral. La carte Mobib sera généralisée à l’ensemble de la Belgique d’ici la fin de l’année. L’étape suivante sera de réfléchir au principe du tarif unique.” Mais, pour cela, les différents niveaux de pouvoir (fédéral et entités fédérés) devront s’accorder. “Il faudrait concrétiser d’ici deux ans…”
Pas question, selon lui, de brusquer les choses. Mieux vaut aller piano-sano.
Du côté de Bianca Debaets, en charge de l’informatique régionale, la priorité identifiée concerne l’open data et la centralisation des données. “La convention numérique qui se déroulera début juin donnera le véritable signal de départ, en la matière. On travaille par ailleurs déjà dans ce sens, notamment via la plate-forme unifiée de vidéoprotection [relire notre article; la plate-forme concerne notamment les images de surveillance de la Stib, de la police…]. Elle sera lancée d’ici quelques mois. La première zone de police à la rejoindre est celle de Bruxelles Ouest. Les autres devraient suivre, une fois le chemin tracé…”
Pour ce qui est des open data, Bianca Debaets se donne comme première mission… de convaincre désormais ses collègues du gouvernement de s’ouvrir eux-mêmes à cette idée.
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