Coup d’envoi officiel, fin de semaine dernière, du “Conseil du numérique”, petit cénacle de têtes pensantes desquelles le ministre Jean-Claude Marcourt attend propositions, idées et balisage pour étayer, affiner ou orienter le Plan numérique pour la Wallonie qu’il promet désormais “pour la rentrée” – lisez: septembre – et qui sera sensé “accélérer la transition numérique de la Wallonie vers un territoire numérique”. Destination espérée: rien moins qu’une “Digital Valley” si l’on doit en croire les envolées quasi-lyriques de certaines déclarations.
Ce Conseil a tenu sa première réunion vendredi (voir sa composition ci-dessous).
Il n’agira pas seul ou, plus exactement, s’appuiera lui-même sur des commissions (ou groupes de travail, composés d’“experts” – on y retrouvera notamment les collaborateurs de l’Agence du Numérique, ex-AWT). Ces commissions traiteront spécifiquement des différents thèmes autour desquels s’articulera le travail et, en principe, le futur Plan numérique. Cinq groupes thématiques sont prévus: IT & innovation, entreprises… A partir de mars, un mécanisme de consultation du grand public devrait être mis en oeuvre, destiné à alimenter les réflexions et travaux de ces groupes de travail.
Fusée à étages
Tout cela semble un peu lourd, alambiqué et diantrement longuet. Quel est le rôle dévolu à ce Conseil du Numérique? “Structurer la réflexion sur la stratégie du numérique […] définir des objectifs opérationnels clairs et les actions à prendre par la Wallonie”. En travaillant selon 4 axes, “proposés” par le Ministre Marcourt, à savoir:
– la formation professionnelle, l’enseignement, l’inclusion numérique,…
– “l’économie par le numérique” qui devra servir de “levier du développement de l’économie et des entreprises”
– l’économie du numérique, à savoir l’aide à et le balisage du secteur IT/numérique local et des opportunités qu’il devra pouvoir exploiter
– “l’administration, la santé et le territoire numériques” – un axe dans lequel devra se retrouver l’évolution de l’Administration, la “couverture numérique du territoire” (infrastructures et services), et des mesures visant à améliorer la vie des citoyens, notamment sur les plans santé, mobilité (en ce compris dans la mouvance des “smart cities”) et “autres matières connexes”.
Source: Cabinet du Ministre Jean-Claude Marcourt.
Les divers secteurs d’activités et les acteurs de l’IT et du numérique attendent donc avec intérêt – et parfois avec une moue un rien dubitative – ce qui émanera de ces travaux en commissions et de ces réunions (5 ou 6 d’ici l’été?) du Conseil du Numérique.
Le Ministre a proposé. Le Conseil du Numérique “recommandera”. Un consultant de Roland Berger “encadrera l’analyse”. Au final, les décisions devront venir du politique. A cet égard, une petite réflexion. Dans la démarche, le déroulement de ce bien long parcours, on ne peut qu’avoir l’impression, en dépit de tout, d’une certaine panne de volontarisme. Question: d’où doit venir l’impulsion vs l’inspiration?
Dans une interview accordée à Trends Tendances, Pierre Rion, qui présidera la Conseil du Numérique, plaide pour qu’on lui laisse “le bénéfice du doute”, en attendant que les résultats des cogitations soient formulés et connus.
Le fait est que ce doute existe bel et bien sur le terrain. C’est que les acteurs – entrepreneurs, organes de formation, porteurs d’initiatives et de projets… – ont vu leur rôle de Soeur Anne prendre de l’âge et des rides.
Pierre Rion: “Le Conseil du Numérique a approuvé la démarche participative bottom-up et fait sien les quatre axes proposés.”
L ‘épisode antérieur du Master Plan TIC, dévoilé en 2012 mais non budgétisé et finalement remisé dans les tiroirs suite à plusieurs révisions budgétaires, cet épisode-là à laissé des traces.
Certes le Master Plan TIC n’est pas totalement resté muet. Des initiatives plus ponctuelles ont été prises – et elles ont leurs mérites, voire même des résultats. Plan de déploiement du Wi-Fi dans quelques villes-pilotes, scénarios de l’école numérique du futur (un plan dont la phase préparatoire s’éternise sans doute un peu trop), initiatives diverses dans le cadre du programme Creative Wallonia – réseau de sites de coworking, hubs créatifs (dont certains peu ou prou orientés numériques), appels à projets BoostUp…
Mais le plan global, lui, n’a jamais pu sortir du pas de tir. Trop ambitieux, trop vaste et donc trop peu focalisé, disent aujourd’hui certains – en tout cas face aux moyens de mise en oeuvre et de réalisation. C’est notamment la position qu’adopte Agoria qui dit aujourd’hui préférer que le gouvernement wallon se concentre sur plusieurs priorités. Relire notre article “20 propositions du secteur IT wallon”
Ce sera l’une des embûches de ce Conseil du Numérique et des groupes de travail thématiques.
Primo, il faudra que tous les participants s’accordent entre eux sur les priorités, leurs préférences personnelles. Qu’il n’en sorte donc pas une liste hétéroclite de “To Do” qui n’ait ni cohérence, ni pragmatisme. Ou qui soit simplement la juxtaposition des vues de chacun.
Deuzio, la liste ou le programme concocté devra être objectivement réalisable. En termes de moyens humains et financiers (lisez: en phase avec les moyens que peut dégager et engager la Wallonie). Faute de quoi, les intentions et espérances laisseront à nouveau des traces en mode déception. Mais Pierre Rion a déjà déclaré vouloir présenter, d’ici juin, “des mesures concrètes, précises, chiffrées.”
En la matière, le gouvernement a d’emblée esquissé un cadre qui se veut limité: il attend du Conseil du Numérique qu’il émette des avis et recommandations permettant de dresser “une liste limitée d’actions à haut impact permettant d’augmenter les performances du tissu socio-économique wallon.”
Nous avons trop attendu
Tertio, les recommandations du Conseil du Numérique coïncideront-elles avec les grandes orientation du Plan Marshall 4.0 – le Cabinet a dit son souhait qu’elles s’alignent sur … v. texte communiqué. Or, avant que ce Conseil soit officiellement constitué, des messages et mémorandum avaient été relayés vers le Cabinet du Ministre Marcourt pour indiquer qu’il ne faudrait pas trop se concentrer par exemple sur – ou se limiter à – la modernisation/dynamisation de l’industrie – même si c’est là chose nécessaire et salutaire. IL ne faudrait pas oublier le commerce (en particulier le terreau fondamental du petit commerce), la logistique, les néo-entrepreneurs et autres start-ups innovantes, une stratégie imaginative pour lutter contre cette désormais proverbiale fracture numérique. Ne pas oublier non plus le secteur public, lui-même, sensé donner l’exemple mais qui est à la peine en termes d’adoption et de réalisations “2.0”. Des acteurs du secteur public – tous niveaux confondus – qui est parfois (souvent?) en retard de plusieurs guerres (numériques) en matière d’interaction avec son environnement – lisez: avec le citoyen, avec l’entreprise, avec les associations.
Un exemple tout récent a encore été – assez lamentablement – donné lors de la conférence Open Belgium, dédiée aux open data (données et fichiers que les acteurs publics acceptent de “libérer”, les mettant à la disposition de tous pour qu’ils s’en servent pour imaginer de nouvelles solutions et applications). Cette conférence – nationale – se tenait cette année à Namur. Nous vous en avons parlé. Nous avons relevé la présence minoritaire de francophones – de Wallons, en particulier. Ce que nous n’avons par contre pas souligné dans notre article mais qui fut un signal bien peu positif, c’est que le gouvernement devait en principe s’y manifester, au travers d’un exposé du Ministre Marcourt. Empêché – ce qui peut s’expliquer et se comprendre -, le Ministre n’a malheureusement pas été remplacé ne fut-ce que par un membre de son Cabinet. La case devenue libre dans le programme a dû être comblée – mais ce n’était pas son rôle – par l’ancien recteur de l’ULg, Bernard Rentier, par ailleurs ardent défenseur des données ouvertes. Mais, en prenant la parole, il ne pouvait évidemment pas endosser l’habit et la position du pouvoir public, qui n’est pas tout à fait sur la même ligne que lui. D’ailleurs, pourquoi les Cabinets chargés des matières fonction publique/pouvoirs locaux n’avaient-ils pas jugés bon de prendre la parole au nom des autorités locales?
Quel message a-t-on ainsi envoyé aux personnes présentes, aux observateurs – en ce compris flamands et étrangers (il y avait des Français, des Britanniques, des Suédois, des Hollandais, dans l’assemblée)?
Entre espoir et désillusions
Mais revenons-en au Conseil du Numérique, au Plan numérique qu’on attend donc pour la rentrée, et à la déception qui s’est installée sur le terrain.
Voici un écho venu, cette semaine, d’une Haute Ecole. “Les quelques informations qui ont filtré, la semaine dernière, au sujet du coup d’envoi du Conseil du Numérique ont été accueillies avec scepticisme dans les rangs de ceux qui seront les entrepreneurs et employés de demain. A priori, ils craignent un manque de consultation et de prise en considération des avis et besoins des gens de terrain. Ils soupçonnent les réflexions d’être trop influencées par les représentants des grands acteurs nationaux “qui ont pourtant largement démontré le peu d’intérêt qu’ils ont à investir dans les infrastructures, le tissu économique ICT régional”.
“La génération actuelle des entrepreneurs [ceux qui sont aux manettes] croit encore que les politiques peuvent jouer un rôle. Mais sont-ils en mesure de le faire. Notre génération a peut-être trop d’attentes à leur égard alors qu’elle devrait aller de l’avant sans tarder.”
Ils craignent l’effet “longueur de temps” pour cause de caucus sans fin. Mais, soulignait l’un des enseignants qui a recueilli ces réactions, “la bonne nouvelle, c’est que les jeunes s’en remettent à eux-mêmes, alors que notre génération croit encore que les politiques peuvent jouer un rôle – on peut se demander s’ils sont tout simplement en mesure de le faire, malgré souvent leur sincère volonté – et [que notre génération] a peut-être trop d’attentes à leur égard alors qu’elle devrait aller de l’avant sans tarder.”
Un équilibre salutaire?
L’exemple du “club” Digital Minds for Belgium a déjà suscité quelques réactions en mode déception du côté des entrepreneurs locaux qui disent ne pas se retrouver dans le casting.
La composition du Conseil du Numérique aura-t-elle plus de crédit à leurs yeux? Elle semble en tout cas plus équilibrée. Voyez plutôt.
Rapide portrait de Pierre Rion
Ingénieur civil en électronique et informatique, Pierre Rion est notamment connu pour avoir été, avec Pierre de Muelenaere, le co-fondateur d’IRIS.
Depuis près de 15 ans, il investit dans diverses sociétés (telles Belrobotics), est actif au sein du fonds E-Capital. On retrouve son nom dans une série impressionnante de conseils d’administration, aussi bien de sociétés que d’organismes: président du conseil d’administration d’EVS et de CluePoints, administrateur chez Multitel ou OneLife, président de Belrobotics, administrateur à l’Union Wallonne des Entreprises et chez NivelInvest. Il est aussi le directeur général d’Aviarent et Progecoo. A mentionner encore quelques fonctions de haut niveau qu’il a assumées par le passé, telle que la présidence du conseil d’administration du groupe IRIS ou celle du cluster Twist.
Au total, sous la direction de Pierre Rion, 18 membres “issus des secteurs de l’ICT, des médias, de la santé, de la recherche, du monde universitaire ainsi que de start-ups montantes”. Par ordre alphabétique:
- Simon-Pierre Breuls, directeur marketing et associé-gérant d’Universem (start-up spécialisée dans le référencement Internet)
- Julien Compère, administrateur délégué du CHU de Liège, président du conseil d’administration de WalImage Entreprises, administrateur à l’ULg et à la Socofe
- Baudouin Corlùy, directeur d’Agoria ICT
- Elise Degraeve, docteur en droit au CRIDS (centre de recherche Informatique, Droit et Société de l’UNamur)
- Olivier de Wasseige, directeur général de Defimedia (conception de sites Internet, développement d’applications, conseils en stratégie numérique), mais aussi administrateur délégué du fonds d’investissement privé Internet Attitude, administrateur de l’Agence du Numérique, vice-président de l’AEI (Agence pour l’Entreprise et l’Innovation)
- Thierry Geerts, directeur de Google Belgium
- Cécile Gonfroid, directrice générale de la division Technologie et exploitation de la Rtbf
- Laurent Grumiaux, directeur commercial de Fishing Cactus (start-up active dans la création de jeux vidéo, interactifs et serious games)
- Joël Hancq, professeur à l’UMons (systèmes logiques, architectures informatique, automatisation industrielle…) et collaborateur de Multitel
- Dominique Leroy, n°1 de Proximus (Belgacom)
- Bernard Marchant, administrateur délégué du groupe Rossel
- Henry Monceau (WBI, Wallonie Bruxelles International (et “Monsieur Creative Wallonia” lors de l’ancienne législature)
- Ulrich Penzkoffer, patron de NRB
- Jacques Platieau, directeur général d’IBM
- Bernard Rentier, ancien Recteur de l’ULg (jusqu’en septembre 2014) et actuellement président du conseil d’administration d’Enabling Open Scholarship (EOS)
- Bruno Schroeder, directeur technologique de Microsoft Belgique
- André Vandenberghe, directeur du Réseau Santé Wallon et par ailleurs directeur informatique du CHU de Charleroi
- Daniel Weekers, président du Comité stratégique de Nethys (anciennement Tecteo Services)
On notera que les opérateurs sont représentés dans ce groupe (en tout cas, Belgacom et Tecteo en font partie), tout comme ils le sont (bien que de manière beaucoup plus massive) au sein du groupe de travail Digital Minds for Belgium. Notons aussi que les “grosses pointures” que sont Google ou Microsoft sont également présentes. Tout comme elles le sont au sein de Digital Minds for Belgium. Vient s’y ajouter IBM.
Pierre Rion: “Le changement des mentalités et une adhésion au numérique de 7 à 77 ans sont également des défis primordiaux que le Conseil entend relever.”
Heureusement – aux yeux de ceux qui se demandent ce que ces multinationales viennent faire dans un conseil sensé réfléchir aux problématiques d’un terreau local à mille lieux du quotidien et, pour partie, des intérêts de ces mastodontes – heureusement, donc, leur présence est contre-balancée par quelques représentants purement locaux: Universem, Fishing Cactus… qui, avec d’autres, sont des acteurs, témoins et porte-parole de la génération des “digital natives”. A noter aussi la présence du secteur des soins de santé via André Vandenberghe du Réseau Santé Wallon et Julien Compère, du CHU de Liège mais qui est aussi un ancien collaborateur du Ministre Marcourt. Du monde académique (UNamur, UMons, ULg).
Calendes à la grecque?
Question pour terminer.
Selon l’agenda établi, les travaux du Conseil du Numérique et des groupes de travail aboutiront au dévoilement du Plan numérique après l’été.
Si le cheminement choisi est celui de la consultation du secteur mais aussi du grand public – ce qui est une bonne chose -, pourquoi avoir attendu tous ces mois depuis la formation du gouvernement pour lancer la mécanique? Six mois se sont en effet écoulés – une éternité pour ceux qui attendent et rongent leur frein depuis de trop longues années. Et on le voit, la formulation – politique – du Plan numérique ne devrait être dévoilée qu’à la rentrée de septembre. Restera à déterminer l’agenda réel de ce dernier, l’échelonnement et le dimensionnement des mesures et projets. En fonction du budget (200 millions sur 4 ans?) et des ressources disponibles. En ce compris dans le cadre du gel budgétaire qui a été annoncé, pour 2015 et 2016 dès les premières heures de la nouvelle législature.
Bien entendu, l ‘élaboration du budget du Plan Marshall 4.0, dans son ensemble, et de celui réservé (ou réservable) au Plan numérique a pris du temps. Mais pourquoi ne pas avoir lancé plus tôt les travaux de réflexion et de préparation. Le retard à l’amorçage aurait-il donc été sciemment planifié afin de ne pas donner l’impression d’un trou d’air de deux ans entre un éventuel dévoilement d’intentions et la pose des premières pierres?
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