“Il n’y a pas plus indépendant qu’un indépendant”, rappelle Stéphane Thiébau, directeur de l’asbl Dour Centre-Ville. Lisez: un indépendant n’est pas un mouton de Panurge et considère généralement que sa situation est trop particulière pour se plier à des solutions standard ou pour s’aligner sans sourciller sur de grandes tendances. Sans compter qu’il désire conserver une large marge de manoeuvre. Et cela s’applique aussi aux commerçants. “Des solutions toute faites ou trop particularisées, trop lourdes ne les convainquent pas. Ou bien ils ont peur de ne pas rester maître de la situation.”
Résultat: les approches génériques tendant à faire basculer cette catégorie de professionnels dans le monde prétendument nirvanesque du commerce électronique rencontrent bien des réticences, regards dubitatifs et reports de décision.
A Dour, une nouvelle tentative tente de contourner l’obstacle.
Histoire de charrue, de boeufs et de mauvais sillons
De récentes études de marché (AWT, beCommerce, Comeos, UCM…) l’ont encore démontré (voir ci-dessous quelques articles-référence): le commerce belge (toutes catégories et envergures d’acteurs confondues) est à la traîne lorsqu’il s’agit de se mettre au “commerce numérique”.
- e-commerce: des entreprises wallonnes trop fileuses (Baromètre AWT 2014)
- e-commerce: le secteur belge en appelle à des mesures rapides
- L’étude Comeos: e-commerce, une e-guerre perdue d’avance?
La chose est particulièrement sensible du côté des petits commerçants qui ont bien du mal à intégrer le numérique dans leurs pratiques commerciales (démarche cross-channel, adoption des relais que sont les réseaux sociaux, analyse de la composition de clientèle et du comportement d’achat…).
Dominique Moraux, consultante spécialisée en création de contenus e-learning et en formation aux outils et usages numériques, s’est penchée depuis quelque temps sur les raisons qui justifient cette frilosité.
A ses yeux, les principaux obstacles sur la route du commerce numérique sont multiples: “un manque d’intérêt, de connaissances, de temps, l’absence d’exemples de réussite, un choix difficile parmi toutes les solutions proposées, sans oublier le coût de la solution.
Dominique Moraux: “Chaque commerçant doit pouvoir construire sa présence en-ligne petit à petit. Chacun a des besoins différents, évolue à son propre rythme. Il ne veut pas se retrouver lié à une solution cadenassée par son prestataire.”
Jusqu’ici, les initiatives ou mesures prises n’ont guère donné de résultat. L’UCM, par exemple, a organisé des formations mais sans grand succès. Les commerçants sont persuadés que ces formations ne sont pas adaptées à leurs besoins ou situations.”
L’erreur que l’on commet généralement, selon elle, est de commencer par de la formation. “On oublie l’étape préliminaire de la conscientisation.”
Sans compter que les formations “ne sont pas toujours adaptées. Il est par exemple totalement dépassé aujourd’hui de préconiser la création d’un site ou d’une page Web. Des solutions plus évoluées existent pour être réellement présent en-ligne et interagir avec les clients.” Lisez: les outils collaboratifs, orientés réseaux sociaux, l’univers du mobile, la géolocalisation publicitaire…
En ce début 2015, elle se lance dès lors dans un exercice qu’on pourrait qualifier de “conscientisation douce”.
“Il s’agit de montrer aux commerçants – et en particulier aux petits commerçants – comment franchir le pas en toute quiétude, adopter progressivement des outils numériques, sans forcément se mettre d’emblée à l’e-commerce “pur et dur”. Conscientiser les commerçants aux potentiels du commerce électronique passe par la mise en place de petites choses concrètes qu’ils peuvent aisément mettre en oeuvre.”
Selon le principe que l’appétit vient en mangeant…
Exemples de ces petites mises en bouche? En quelques brefs exemples, expliquer ce que sont et peuvent apporter des “outils” tels qu’une page Facebook, une géolocalisation, une petite campagne de marketing par SMS…
“Il faut rendre l’information concise et directement exploitable, proposer des solutions claires, aisées à utiliser, peu coûteuses, apporter une assistance au choix de solution.”
L’autre règle de base à respecter, selon elle, est de s’appuyer sur des “intermédiaires de confiance” pour faire passer le message et relayer informations et assistance. Des intermédiaires que sont par exemple les ADL (agences de développement local), les associations de commerçants, les syndicats d’initiatives ou encore les responsables communaux.
Mais des intermédiaires qu’il s’agit aussi, dans un premier temps, de conscientiser, de convaincre, voire de former. Il faut donc aussi leur apporter du “matériel” (brochures explicatives des principes de base du “commerce connecté”, espace Internet avec contenu informatif…) qu’il leur suffira de relayer, de diffuser, éventuellement d’adapter pour leurs cibles.
Selon une enquête de l’UCM, coûts et complexité sont les principaux freins à l’adoption de l’e-commerce chez nous. “Conséquence: plus de 8 commerçants sur 10 (81%) n’ont pas l’intention de se lancer dans l’e-commerce.”
“L’information comme les formations doivent passer par des prestataires locaux”, explique Dominique Moraux. “Des interlocuteurs commerciaux classiques tiennent trop souvent un discours qui ne colle pas à celui des commerçants. Avec ce public-cible, il faut savoir éviter certains termes que manipulent habituellement les prestataires ou agences. Il faut éviter de leur parler de numérique, de marketing… Les petits commerçants ne veulent par ailleurs pas entendre parler de coûts élevés ou débourser de l’argent à la moindre modification apportée à la solution mise en oeuvre.”
Dour joue les pilotes
Dominique Moraux a trouvé une première oreille attentive auprès de l’asbl Dour Centre-Ville qui, en ce mois de janvier, se lance dans l’aventure de l’évangélisation du commerce connecté pour les commerçants de l’association. Ils sont environ 200 et, pour la grande majorité d’entre eux, “hyper débutants en matière numérique”, souligne Stéphane Thiébau. “Ils manquent de formation. Le canal de vente électronique est quasi inexistant. Leurs sites, quand ils existent, ne sont pas tenus à jour. Ou leur page Facebook est mal conçue…”
Trois semaines, trois thèmes
Pendant trois semaines, tous les commerçants membres de l’association Dour Centre-Ville recevront des informations brèves et spécifiques via le magazine communal Dour Infos et via des mails thématiques dont le contenu renvoie vers un site – www.dourcentreville.be. Ils y trouveront des conseils concrets, avec des exemples. Ce site sera inclus dans le site Internet de la commune, les commerçants y ayant accès via un mot de passe personnel.
“L’idée n’est pas de former pour le plaisir de former”, souligne Stéphane Thiébau, “mais plutôt de voir qui aura participé et modifié son comportement.”
Cette première expérience de conscientisation veut se structurer en trois étapes: information; relais vers des ressources on-line plus complètes (en ce compris éventuellement via des vidéos existant sur YouTube); proposition de prestataires potentiels qui interviendront pour du coaching – “ils aideront les commerçants mais ne réaliseront pas les mises en oeuvre à leur place”. L’objectif est en effet que ces derniers maîtrisent les outils choisis.
Stéphane Thiébau (asbl Dour Centre-Ville): “L’idée n’est pas de former pour le plaisir de former mais plutôt de voir qui aura participé et modifié son comportement.”
Chaque semaine, un thème sera développé: créer une page Facebook, assurer une présence géolocalisée via Google Maps, se lancer dans le marketing via SMS, se familiariser avec le référencement AdWords Express.
Avec, systématiquement, un petit quiz destiné à la fois à maintenir le taux d’intérêt et à vérifier l’accueil réservé à l’initiative. Idem pour le recours à de petits questionnaires que les commerçants mettront à disposition de leurs clients, dans leurs boutiques, afin de recueillir leurs avis, idées ou demandes. En collectant par la même occasion des coordonnées qui leur serviront plus tard pour leurs propres actions vis-à-vis de la clientèle…
L’antenne montoise du Café numérique organisera pour sa part, à Dour, deux soirées d’(in)formation sur les thèmes choisis.
Mais ce ne sera qu’un premier pas. L’espoir est ensuite de proposer des formations continues au numérique, via des e-mailings mensuels, en ajoutant progressivement de nouveaux “outils” afin d’en arriver à une “véritable présence commerciale connectée.”
Commencer par le b.a.-ba…
… en amenant les commerçants à être demandeurs d’outils. Autrement dit, ne pas leur imposer quoi que ce soit mais jouer sur la corde sensible de la motivation. Cette dernière pouvant d’ailleurs venir des consommateurs et chalands.
Tant Dominique Moraux que l’asbl Dour Centre-Ville sont en effet conscients que l’intérêt et la participation des commerçants ne prendront pas forcément forme de manière spontanée. Il faut aussi les “pousser dans le dos”. Et c’est là qu’interviendra le chaland.
C’est pour cette raison que la campagne d’informations passera aussi par le périodique communal: “tous les citoyens recevront l’information, pourront voir que de nouveaux outils de commerce connecté et des séances d’informations et de mise en oeuvre sont proposés aux commerçants de la ville.” Ils exerceront ainsi une pression pour que leurs commerçants habituels se mettent à la page…
Autre “carotte”: un concours permettra d’épingler les “meilleurs commerçants”. Et c’est aux habitants et clients qu’il reviendra d’élire – via une page Facebook – les meilleures réalisations. Et les commerçants les plus dynamiques ou ayant imaginé une solution efficace ou originale seront récompensés. “Nous sommes en discussion avec l’échevin en charge du commerce et du développement économique pour imaginer des récompenses pour les commerçants qui auraient ainsi progressé. Par exemple, en leur proposant une publication gratuite dans le magazine local…”
Tirer le bilan
L’effet qu’aura ou non cette initiative sur le “comportement” des commerçants locaux, sur leur prise de conscience des potentiels du “commerce connecté” et son adoption, ne pourra être analysé dès la fin janvier. Même si les résultats sont positifs, ce pourrait n’être qu’un feu de paille. C’est seulement sur la durée et sur l’effet d’adoption progressive et de plus en plus poussée des outils numériques que l’on pourra juger de l’efficacité de l’initiative.
Dominique Moraux: “Développer des contenus, des solutions de présence en-ligne, qui soient plébiscités par les commerçants et imaginer des actions qui puissent être mutualisées pour gagner en temps, en coût et en efficacité.”
Celle-ci devrait également pouvoir être testée et reproduite dans d’autres villes que Dour, en tablant sur une mutualisation des contenus créés (qui pourraient être intégrés aux sites des communes ou des associations de commerçants).
Mais, pour ce faire, Dominique Moraux attend un signe des autorités publiques, qu’elles soient locales ou régionales. Un premier contact, encore préliminaire, a par exemple été pris avec l’AMCV (Association du Management de Centre-Ville) “mais elle n’est pas encore active dans le domaine numérique”, souligne Dominique Moraux.
Qu’en pense l’asbl Dour Centre-Ville? “Nous sommes subsidiés par la commune et la Région mais, du côté de cette dernière, il n’y a pas encore de budget en vue. En fait, les administrateurs de l’asbl sont les commerçants. C’est d’eux que pourraient venir les premiers financement. Ils pourraient jouer la carte du sponsoring puisque ce genre d’initiative génère un retour immédiat pour le développement de leurs commerces. Ils ont d’ailleurs tout intérêt à réagir rapidement, grâce aux outils numériques, parce que ces petits commerçants subissent aujourd’hui une attaque en règle de la part des grandes surfaces et enseignes…”
Autrement dit, le message qui se lance à Dour est le suivant: “commerçants locaux, prenez votre sort en mains.”
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