Connaître la nature socio-démographique exacte de sa patientèle (notamment en exploitant des potentiels de géolocalisation de données administratives). Déterminer avec précision le taux d’utilisation de chaque chambre, par tranche horaire. Etalonner la qualité et l’efficience de chaque service. Anticiper les conditions de l’équilibre budgétaire compte tenu de la hauteur des financements publics et des fluctuations de prestations de service à court terme ou selon des tendances saisonnières. Optimiser la gestion des soins afin de raccourcir les séjours à l’hôpital sans impacter la qualité et l’efficacité des soins donnés. Se comparer à d’autres établissements (voisins ou pratiquant les mêmes spécialités) afin de pouvoir “ajuster le tir”, voire attirer une nouvelle “clientèle”.
Tels sont quelque-uns des objectifs que visent désormais les établissements hospitaliers en déployant des solutions de “business intelligence” (aide à la décision), non seulement auprès de leurs responsables administratifs et financiers mais aussi pour les besoins des chefs de service, des responsables médicaux, voire même des médecins.
S’affranchir des lourdeurs
Le chemin, toutefois, est encore long. Si certains hôpitaux ne sont pas encore équipés, d’autres ont déjà fait de premières tentatives qui ont tourné court. Soit en raison de mauvais choix de solution (surdimensionnée, trop lourde, pas assez flexible, non adaptée au secteur…). Soit – et c’est plus fréquent – par manque de données à donner en pâture à l’outil décisionnel et aux analystes ou professionnels chargés d’en sortir des informations exploitables.
Nous avions déjà eu l’occasion de vous parler de l’expérience faite à la Clinique et Maternité Sainte Elisabeth (Namur). Voici deux autres témoignages. A savoir ceux du CHU de Liège et de son quasi-voisin, le CHR La Citadelle.
Jusqu’il y a peu, les solutions d’aide à la décision du CHU de Liège se limitaient à la création, par le Département Applications IT, de tableaux de bord à orientation financière. Les rapports n’étaient destinés qu’aux seuls membres de la direction générale, du conseil médical et administrateurs.
“Une série d’indicateurs existaient certes, qui permettaient d’alimenter les tableaux de bord, mais ils consistaient essentiellement en données comptables et servaient dès lors surtout au seul suivi financier”, explique Anne-Catherine Dupont, responsable du service Contrôle de gestion du CHU de Liège. “Il y avait peu d’analyse transversale et macro-économique.”
La solution décisionnelle (Microsoft) “était trop rigide et n’était ni rapide, ni dynamique.”
Les services Contrôle de gestion et Exploitation des données devaient systématiquement dépendre du département IT non seulement pour créer les tableaux de bord mais aussi pour procéder à la moindre modification. “Pour nos analyses des admissions par tranche d’âge, par exemple, les cubes étaient certes organisés par tranche d’âge mais tout ajout d’une nouvelle tranche d’âge nous imposait de solliciter le service IT”, indique Jessica Jacques, analyste attachée au secteur Exploitation de données du Service des Informations médico-économiques (SIME). Ce qui était source de lourdeurs, de lenteurs de réalisation. “Les tableaux de bord n’étaient donc ni dynamiques, ni vivants, ni pertinents. Leur crédibilité en pâtissait…”
Les indicateurs étaient par ailleurs trop spécifiques, non réutilisables dans d’autres contextes. Les chefs de service n’y trouvaient pas une réponse à leurs besoins opérationnels. Sans parler que plusieurs versions, parfois contradictoires, d’une même information qui continuaient de circuler dans l’hôpital…
“De l’ombre à la transparence”
Depuis le mois de septembre, une nouvelle solution (QlikView de QlikTech), exploitable par davantage de destinataires, a fait son apparition. L’hôpital veut en faire un outil de réel pilotage décisionnel et opérationnel dans le cadre de son nouveau plan stratégique CAP 2020.
“Nous pouvons désormais mettre un socle commun d’informations transversales à la disposition de tous, en ce compris les chefs de service”. Ces derniers décident par ailleurs de la manière dont ils diffusent l’information dans leur service, éventuellement à la demande de médecins. Par exemple pour que ces derniers puissent visualiser leur profil d’activités.”
Jessica Jacques (CHU Liège): “La nouvelle solution est plus dynamique et, surtout, nous a permis de repenser et de redistribuer les processus de mise à disposition de l’information.”
Hier, les informations se limitaient à des données statistiques à orientation comptable dont les responsables administratifs avaient notamment besoin pour répondre aux exigences du SPF Santé. Désormais, les informations sont déclinées jusqu’au niveau opérationnel de chaque service médical.
Elles incluent des données comptables, budgétaires, les chiffres d’admissions, de consultations, les durées de séjour… Un chef de service peut par exemple obtenir les chiffres d’admission par discipline (gériatrie, chirurgie…), voir le trajet du patient lorsqu’il passe d’un service à l’autre, vérifier sa durée de séjour dans chaque discipline. “Cela permet à chaque service d’avoir une vision exacte sur son taux d’activité.”
Avec le temps, d’autres types de données, essentiellement médicales, seront ajoutées: données venant de la pathologie, de la recherche clinique, des publications scientifiques, mais aussi activités justifiées, données RH…
“La nouvelle solution est plus dynamique et, surtout, nous a permis de repenser et de redistribuer les processus de mise à disposition de l’information”, constate Jessica Jacques. “Les services Contrôle de gestion et Exploitation des données y ont gagné en autonomie. Nous pouvons désormais conceptualiser les rapports, définir les mesures de calcul. L’IT intervient pour sa part pour construire le modèle, veiller à ce que l’information soit toujours disponible et garde la main sur le datawarehouse.”
Former les chefs de service
Si les analystes sont devenus plus autonomes et peuvent alimenter les chefs de service en informations directement utiles, ces derniers ne sont pas encore forcément en mesure de les interpréter et de les utiliser de manière optimale. Il faudra encore les former de telle sorte qu’ils puissent “comprendre les liens entre les différentes données, déterminer pourquoi et comment ces données influencent par exemple le bon fonctionnement de leur service. Une première phase de formation a déjà permis de leur inculquer les notions de base. Cette phase [pendant laquelle les analystes ont dialogué avec les chefs de service] a également été très utile pour nous, au Contrôle de gestion, dans la mesure où cela nous a permis de valider le contenu des informations.”
Reste à pousser plus loin les compétences des chefs de service et utilisateurs finaux, “afin qu’ils puissent analyser correctement les résultats, déterminer quelles actions correctives mettre en oeuvre.”
Evoluer vers du prospectif
Par le passé, le CHU de Liège avait tenté, avec l’ancienne solution, de mettre en oeuvre des tableaux de bord prospectifs inspirés de la méthode Kaplan & Norton.
Mais les indicateurs prospectifs n’étaient guère utiles dans la mesure où les données de base manquaient souvent, avoue Jessica Jacques. “Difficile de se fixer des valeurs-cible à atteindre lorsque l’on ne dispose pas des données de la situation existante.”
Résultat: le CHU a fait une légère marche arrière, se contentant pour l’instant de fournir des informations sur l’historique et la situation existante. “Nous nous bornons à fournir des informations afin que les destinataires prennent conscience de leur activité, de son évolution, des facteurs et paramètres qui l’influencent. D’ici quelques mois, nous en reviendrons à la mise à disposition de réels tableaux de bord avec des valeurs prospectives.”
Bien que n’ayant pas donné suffisamment de résultats, la première expérience avec le concept de tableaux de bord a néanmoins eu des effets positifs: “ils ont fait progresser l’équipe d’analystes dans l’exercice de son métier. Leur utilisation a permis de structurer les données, de décloisonner les métiers (grâce au recours à des “cubes” et à un travail d’équipe entre IT et analystes), à mieux comprendre (la teneur de) l’information et à l’analyser”, déclare Anne-Catherine Dupont.
Lors d’un atelier organisé par QlikTech, David Leynen, directeur informatique du groupe hospitalier Jolimont, confirmait combien l’utilisation d’outils décisionnels par des utilisateurs plus diversifiés que les seuls responsables administratifs peut insuffler une nouvelle dynamique de gestion au sein d’un établissement hospitalier: “notre projet a renforcé les collaborations entre les services et développé une réelle dynamique de management. Les différents métiers s’exposent à un nouveau style de gestion de projet. Les utilisateurs s’approprient leurs tableaux de bord et gardent spontanément un oeil sur les informations dont ils sont responsables ou qui les intéressent…”
CHR La Citadelle: Optimiser les ressources
Au CHR de la Citadelle, toujours à Liège, le décisionnel permet d’affiner l’analyse d’une multitude de paramètres (financiers, opérationnels, médicaux) qui interagissent étroitement les uns avec les autres. Le déploiement d’une solution QlikTech a eu, en premier lieu, un effet positif sur la crédibilité des informations que le Contrôle de gestion est amené à présenter au comité de direction. “Par le passé, il y avait des erreurs ou des difficultés d’interprétation”, témoigne Benoît Degotte, directeur financier. “Désormais, nous disposons de nouveaux indicateurs: ETP, taux d’occupation… Nous pouvons mensualiser le calcul budgétaire des ressources humaines (ETP) qui suivent une évolution non linéaire.
Dans le plan stratégique du CHR, on retrouve notamment la notion d’“utilisation optimale des ressources humaines”. Ce qui sous-entend de mesurer la “productivité” des infirmières et médecins afin de pouvoir utiliser l’argent citoyen le plus correctement possible. Il y a donc bel et bien, en filigrane de l’utilisation d’une solution de business intelligence et de tableaux de bord, une notion de retour sur investissement. Même si je préfère parler d’utilisation optimale des ressources.”
La stratégie à tous les niveaux
“Les indicateurs d’un tableau de bord doivent être directement liés au plan stratégique de l’hôpital. Ils permettent de vérifier s’il s’améliore, par exemple en termes d’attractivité, de bien-être au travail, de parts de marché… Les tableaux de bord doivent nécessairement être évolutifs, s’aligner sur la stratégie qui, elle-même, s’adapte sans cesse en fonction de facteurs endogènes et exogènes.”
De même, les sources de données et informations analysées doivent être multiples et variées: “il est exclus de se limiter à des informations comptables, de facturation… Il faut croiser avec d’autres sources et pas uniquement venant des systèmes opérationnels.”
Résultat? Au CHR de la Citadelle, le “cockpit” de gestion s’organise selon 4 axes: finances, patients, ressources humaines, processus internes et innovation.
Benoît Degotte (CHR La Citadelle, Liège): “Tout doit être rendu compréhensible par le personnel. Le concept de “taux d’occupation” [des lits] doit être interprétables concrètement par l’utilisateur final. Le “gain” d’un lit, c’est une admission en plus par semaine. Et ça, c’est un discours qu’un chef de service ou qu’une infirmière peut comprendre… Il ne faut jamais oublier que les informations référencées doivent “parler” à des utilisateurs métier qui ne connaissent que la terminologie médicale”
Dans l’axe patients, on retrouve par exemple des informations concernant les infections nosocomiales, les escarres, les incidents de soins… L’hôpital a segmenté sa solution décisionnelle en une multitude de modules qui lui fournissent autant d’angles de vision sur sa situation, ses activités, ses “performances”: compatibilité générale et analytique, honoraires, facturation (analysée par objectif budgétaire, par année, par service, même par type d’équipement médical sollicité), occupation des services, occupation des ressources humaines, occupation de l’hôpital, indicateurs d’activités par service, salle d’opération, etc. etc.
Parler un langage clair
“Tout doit être rendu compréhensible par le personnel. Le concept de “taux d’occupation” [des lits] doit être interprétables concrètement par l’utilisateur final. Il ne faut jamais oublier que les informations référencées doivent “parler” à des utilisateurs métier qui ne connaissent que la terminologie médicale”, souligne Benoît Degotte.
Deux vocabulaires s’affrontent en fait: celui des financiers/administratifs et celui du personnel médical ou soignant. “Le “taux d’occupation” est une vision de financier. Le concept de “capacité d’accueil” est une terminologie familière d’un médecin.” Résultat: “lorsque l’on repeint une chambre ou un lit, il y a un impact sur la capacité d’accueil. Et cela doit apparaître dans le tableau de bord.”
De même, le “taux d’occupation” ne résiste pas toujours à la réalité quotidienne. “Un lit n’est pas occupé 24 heures sur 24. Certains patients ne sont présents qu’entre 8 heures et 16 heures [hospitalisation de jour]. Et les malades sortent le vendredi. Les samedi et dimanche, un lit doit être indiqué en rouge dans le tableau de bord. Il faut tenir compte des “isolements”, à savoir les lits que l’on bloque dans les chambres à deux lits parce qu’un patient a exigé une chambre individuelle…”
Benoît Degotte: “Une vision claire, analytique, sur la facturation de l’hospitalisation de jour permet de déterminer s’il faut ou non accélérer le virage ambulatoire, un virage qu’aucun hôpital ne peut se permettre de rater…”
Ces distinctions n’ont rien d’anodin. Outre l’influence sur les vérifications de facturation et l’analyse budgétaire du taux d’occupation, “elles permettent aussi de calibrer les décisions architecturales”, fait remarquer Benoît Degotte. “A-t-on prévu suffisamment de chambres à 1 et 2 lits? Si l’on totalise par exemple 69 lits vides pendant une journée, cela signifie qu’on s’est trompé d’une salle dans la planification de l’espace. L’analyse de l’occupation permet aussi de planifier le meilleur moment pour rénover une salle… Par ailleurs, à l’heure où on estime qu’il y a 30% de lits en trop en Belgique, il faut décider si l’on ferme ou non certaines ailes. Aujourd’hui, tous les hôpitaux étudient la manière dont leur taux d’hospitalisation évolue, s’ils respectent les taux normatifs, si leurs ressources sont mises à disposition de manière optimale.
Une vision claire, analytique, sur la facturation de l’hospitalisation de jour – par type de séjour, par service… – permet de prendre des décisions stratégiques, de déterminer s’il faut ou non accélérer le virage ambulatoire, un virage qu’un hôpital ne peut pas se permettre de rater…”
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