“Bedside terminals”: une utilité remise en question

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Par · 17/12/2014

GHdC Charleroi

L’installation, dans les chambres d’hôpital, de “bedside terminals” pouvant servir de point d’accès (à Internet ou à des contenus récréatifs) pour les patients et de terminal d’accès aux données médicales pour le personnel hospitalier, peut paraître une formalité. Quasi une obligation – côté patients – à l’heure où plus personne, ou presque, ne s’imagine être privé de compagnon numérique où que soit le lieu où l’on se trouve.

Mettre de tels systèmes à disposition peut aussi paraître une bonne idée pour des raisons de sécurité. L’hôpital ayant la main sur leur gestion, leurs conditions d’accès et les contenus et informations accessibles, il ne s’expose plus à une utilisation “sauvage” et non maîtrisée de PC, tablettes, smartphones en tous genres que les patients emmèneraient avec eux.

Mais le déploiement de ces terminaux pose en réalité de nombreux problèmes. Voire des quasi cas de conscience du côté des hôpitaux.

Lors d’un débat organisé voici plusieurs mois par le groupe de travail Patient numérique, les obstacles et questions ont été passés en revue par les participants.

Facilité contre intrusion

Première question: la diffusion des informations d’ordre médical ou hospitalier est-elle plus efficace si elle parvient jusqu’au chevet du patient ou si elle est destinée à des équipements mobiles qui accompagnent le personnel soignant dans tous ses déplacements?

Le calcul doit se faire, au cas par cas, en fonction du type d’équipement, de l’importance des déplacements, de la configuration des lieux ou d’autres “détails” encore, tels que l’autonomie de la batterie et les temps de recharge nécessaires (le temps valant de l’argent…)

Deuxième question: qui peut utiliser ces terminaux? Uniquement les patients ou également le personnel soignant? Question qui n’a rien d’anodin.

En jeu, la confidentialité des données ou encore l’aptitude qu’a un patient de comprendre correctement des informations médicales le concernant. Quelle partie, par ailleurs, de ces informations, ou degré de détail, devraient éventuellement être réservées aux seuls yeux du personnel hospitalier? Comment veiller par ailleurs à ce que le degré d’accès soit adapté aux diverses paires d’yeux destinataires: patient, membre de la famille, infirmier, aide-soignant, médecin…?

Il faut en fait procéder à une stricte ségrégation des rôles et des contenus et appliquer des règles de contrôle d’accès, en fonction du “profil” de l’utilisateur. S’y greffe évidemment la question de la facilité de gestion de telles restrictions. Le personnel soignant ne peut en effet perdre du temps à configurer à chaque une session sur le terminal.

Côté confort du patient, l’interruption de la tâche à laquelle il s’adonnait ou du film qu’il regardait – parce qu’un soin doit lui être apporté ou parce que le personnel soignant doit accéder à l’information médicale – ne doit pas non plus être perçue négativement. D’où l’option de pouvoir par exemple clôturer rapidement sa session et basculer application ou vidéo vers le poste de télévision de la chambre.

En termes de confidentialité des données, des mécanismes doivent être instaurés de telle sorte que le patient, un visiteur, ou son voisin de chambre ne puisse accéder ou voir “par inadvertance” des informations qui ne lui serait pas destinées.

Les procédures d’accès doivent en outre faire face à toutes les situations, en ce compris celle où le patient n’est pas en mesure de bloquer l’accès (endormissement soudain pour cause de sédation, malaise, déplacement soudain vers les toilettes, simple oubli…).

Une frilosité mal placée?

Au CHU de Charleroi, les terminaux de chevet n’ont pas reçu l’accueil escompté de la part du personnel médical. Ils devaient permettre à la fois au patient d’accéder à des contenus de divertissement ou d’information et au personnel hospitalier de gérer les informations médicales (accès au dossier patient, encodage de données au chevet du patient…). “Mais les médecins se sont montrés réticents à consulter des données au chevet-même du patient”, déclare Jean-Pierre Binon, directeur informatique du CHU de Charleroi. “Nous avons donc décidé de dissocier les deux finalités. Le terminal subsiste pour les loisirs du patient [à noter que ce dernier aura bientôt également droit à de la télévision interactive avec applications de partage de photos, de chat…] tandis que le médecin a accès aux données via son ordinateur portable ou, plus fréquemment encore, via sa tablette.”

Le terminal de chevet, selon Jean-Pierre Binon, n’a pas résisté à deux phénomènes: les réticences médicales mais aussi l’évolution des technologies. “Nous ne proposons d’ailleurs plus de téléphone dans les chambres. Les patients viennent en effet souvent avec leur GSM ou smartphone. Sans oublier que le WiFi est également gratuit dans les chambres…”

Pièges à virus?

Si la sécurité informatique est gérée par l’hôpital, il lui revient aussi d’éviter tous les autres risques d’infection – physique cette fois. L’apparition de ces terminaux, bien souvent avec écrans tactiles, fait surgir de nouveaux risques et, dès lors, de nouvelles contraintes d’ordre sanitaire.

Source: Sterima

Gare aux germes, en ce compris ceux importés par des visiteurs de passage qui utiliseraient le terminal…

Une autre question que se pose le monde médical est de savoir s’il est recommandé d’autoriser l’utilisation de tels systèmes en présence de certains problèmes de santé (saignements, perfusion…).

En la matière, une partie de la réponse viendra demain de la technologie elle-même. Via insertions de biocapteurs dans l’écran, le terminal pourra avertir d’un risque de contamination. Ces biocapteurs seront en effet connectés en permanence à une base de données de référence et émettront une alerte en cas de détection d’un organisme infectieux ou d’un contact non aseptisé.

Rentables ces terminaux?

En rendant l’information pertinente (c’est-à-dire celle qui concerne chaque patient) directement accessible au personnel soignant, certains estiment que ces terminaux ont un avantage économique tangible.

Au Royaume-Uni, Deloitte a mené, pour le compte de Hospedia, une étude au sujet de services “bedside” prestés par cette société britannique spécialisée dans la commercialisation de ces “systèmes informatisés lit malade”.

Selon l’analyse qui a été faite, un hôpital-type de 500 lits (chargé du traitement des affections aiguës) pourrait économiser plus de 7 millions d’euros par an “en utilisant des logiciels bedside pour améliorer les soins prodigués aux patients et rationaliser le flux d’activités cliniques (commande électronique des repas, de remontée en temps réel des informations en provenance des patients…). Ils permettent en effet d’offrir aux patients et au personnel un soutien clinique amélioré sur le lieu des soins, favorisent une meilleure implication du patient dans son trajet de soins tout en dégageant, pour le personnel, des heures vitales qui peuvent être directement consacrées aux soins.”

La “monétisation” de l’accès à l’information ou au contenu récréatif est un autre pan de cette question “rentabilité”. En la matière, chaque hôpital déterminera évidemment le tarif auquel il loue le terminal et/ou facture le contenu ou le service presté via le “bedside”. Se pointe d’ailleurs à l’horizon la perspective de tarifs qui seraient appliqués non pas par l’hôpital mais par le prestataire de services ou le fournisseur de contenus (vidéo à la demande, accès Internet, jeux téléchargés etc.).

Dans ce registre, Pierre Jacmin, directeur informatique du GHdC (Grand Hôpital de Charleroi), souligne d’ailleurs qu’il n’a jamais été question, dans l’élaboration du business model qui a concerné son hôpital (lire notre article “Chambre hi-tech pour patient connecté”), de permettre au prestataire (en l’occurrence Econocom): “Nous n’avons pas envisagé de laisser le fournisseur fixer les tarifs car nous ne voulions pas prendre le risque d’un dérapage des prix.”