Le projet de serveur d’imagerie médicale Orthanc du CHU de Liège est né d’un double constat. D’une part, les problèmes de transferts d’images médicales entre sites et systèmes différents. De l’autre, l’état de captivité qui est le sort des institutions hospitalières face à leur fournisseur.
“Les transferts de fichiers DICOM (imagerie nucléaire, échographie, tomographie, scintigraphie, IRM…) ne donnent pas les mêmes résultats quand on les soumet à différents logiciels. Par exemple, la grosseur d’une tumeur ne sera pas tout-à-fait la même selon le logiciel utilisé”, témoigne Sébastien Jodogne, ingénieur en imagerie médicale au service de radiothérapie du CHU de Liège et initiateur du projet Orthanc.“ Par ailleurs, les hôpitaux ne jouissent d’aucune indépendance technologique par rapport à leur fournisseur, qu’il s’agisse de PACS ou d’autres dispositifs d’imagerie médicale. Pour assurer l’interopérabilité des systèmes, il faut rester dans le même écosystème.”
Des systèmes hétéroclites
Sébastien Jodogne énumère quelques-uns des problèmes que pose le transfert de fichiers d’imagerie: manque d’interopérabilité, de compatibilité, difficulté voire impossibilité à centraliser les images à des fins d’archivage.
Du côté interopérabilité, “la norme DICOM est née en 1984, quand Internet n’existait pas encore. C’est à la fois un format d’imagerie et un protocole réseau. Il est synonyme de complexité. Au fil du temps, les générations de systèmes et de fournisseurs se sont succédées au sein des hôpitaux. De nouveaux “tuyaux” [pour leur permettre de communiquer] se sont ajoutés et on ne sait parfois plus très bien comment circulent les informations…”
Sébastien Jodogne (CHU Liège): “De nouveaux “tuyaux” de communications se sont ajoutés au fil du temps et on ne sait parfois plus très bien comment circulent les informations…”
Comment, par ailleurs, automatiser des flux d’imagerie lorsque les systèmes de radiologie, de médecine nucléaire, de radiothérapie etc., qui sont sensés dialoguer, ne sont pas compatibles? “Parfois, il faut recourir à un scanning de l’image pour charger l’information dans un autre système. Ou on grave les images demandées sur un CD pour les réimporter dans le système destinataire. Ce sont là des pratiques courantes dans l’enceinte des hôpitaux.”
Il existe même des systèmes PACS (picture archiving and communication system) qui ne permettent pas d’exporter du DICOM, imposant d’en passer par la gravure d’un CD, alors même que le PACS est sensé résoudre les problèmes d’interopérabilité entre systèmes…
Graver sur CD ou sur DVD sert donc à transférer les images tant en interne que vers des destinataires extérieurs, par exemple pour les besoins de médecins généralistes. Une petite idée de l’ampleur de ce phénomène? “Au CHU de Liège, nous procédons à 130.000 examens radiologiques par an. En Belgique, le total est de 22 millions. Chez nous, pas moins de 100.000 CD ou DVD sont gravés chaque année. Sans parler des clés USB… qui se perdent, s’oublient. En ce compris à l’extérieur de l’hôpital. Ce qui pose potentiellement un problème de confidentialité de données. Sans parler des pertes de temps que constituent ces manipulations.”
La succession de générations technologiques, les disparités entre fournisseurs, l’arrivée sur le marché de nouveaux acteurs proposant des systèmes qui leur sont, à eux aussi, spécifiques, tout cela crée une disparité, un véritable défi pour faire coexister et se parler des données médicales. “Avec tout l’enjeu de la centralisation à des fins de conservation et d’archivage légal.”
Chef d’orchestre et médiateur
D’où l’idée d’Orthanc – nom quelque peu ésotérique qui trouve son origine dans une passion de son auteur (voir ci-contre).
La genèse d’un nom
Passionné par le récit et l’univers du “Seigneur des Anneaux”, Sébastien Jodogne avait d’abord pensé intituler son projet Palantír, du nom de la pierre magique qu’abrite la tour du sorcier Saroumane. Cette pierre “clairvoyante” permet de voir à distance, “tout comme le logiciel Orthanc.” Mais le terme palantir était protégé (c’est aussi le nom d’une société américaine spécialisée dans des solutions d’analyse de données) et ne pouvait donc être réutilisé.
Sébastien Jodogne s’est alors rabattu sur Orthanc, nom de la tour du sorcier Saroumane. “C’est tout compte fait une bonne chose que nous ayons dû nous choisir un autre nom puisque l’on retrouve, dans Orthanc, les lettres “rth”, abréviation habituelle pour radiothérapie…”
Développé et proposé en open source (il est d’ailleurs inclus d’office dans Linux et, dès lors, dans ses diverses distributions– Fedora et consorts), Orthanc est un serveur open source d’imagerie médicale. Il se définit comme “une passerelle électronique” entre logiciels et systèmes disparates, “un compromis entre un PACS traditionnel et un toolkit de programmation qui automatise certaines tâches”, explique Sébastien Jodogne.
“Il fait en quelque sorte office de vase d’expansion” qui vient se greffer sur l’infrastructure existante, sans rien changer.
Le logiciel permet de centraliser la consultation d’images à distance, d’observer les images qui transitent, de les visualiser et d’interagir avec elles via une interface Web.
Orthanc permet une consultation d’images au départ d’ordinateurs tournant indifféremment sous Windows, MacOS et Linux. La faible empreinte système du logiciel lui permet en outre de tourner sur des systèmes bas de gamme; il fonctionne même sur machine virtuelle (VM) ou sur ‘nano’ Raspberry Pi. Il peut s’installer en n’importe quel point de transit de l’infrastructure existante, en autant d’instances et de points que l’utilisateur juge nécessaires. “Par exemple, entre la médecine nucléaire et la radiothérapie. Il pourra ainsi stocker les images en transit pendant deux mois avant qu’elles ne soient stockées dans un système plus complexe auquel tous les intervenants n’ont pas accès.”
Sébastien Jodogne (CHU Liège): “Le marché ne dispose pas d’une implémentation de référence, en termes de “backbone” [lisez: de moyen de transfert inter-systèmes] qui soit la même pour tous les systèmes d’imagerie médicale, pour tous les hôpitaux. D’où l’idée de créer un logiciel qui serve de “plomberie” pour faire circuler l’information entre sites et entre systèmes.”
Orthanc sert tout à la fois d’espace de stockage temporaire, de “routeur”, d’interface de programmation pour automatiser certains flux d’images, de passerelle de conversion entre DICOM, d’une part, et du Web 2.0, d’autre part (https, JSON/JavaScript Object Notation). “Orthanc peut convertir des fichiers à la volée en format png, sans perte de qualité d’image. Le support https est essentiel pour les échanges entre sites. Cela permet de passer à travers des firewalls, sans VPN.” Avantage: la flexibilité des scénarios de transfert: “http est asymétrique, opère en mode n-points, là où le VPN fonctionne en point à point.”
S’y ajoutent encore d’autres fonctions et usages, tels que l’indexation des informations DICOM, l’anonymisation des fichiers, le contrôle de qualité d’images. Un viewer est par ailleurs en cours de développement.
L’ouverture comme fil rouge
Le logiciel Orthanc est une solution open source, gratuite. Il peut donc intéresser des institutions hospitalières ou des cabinets privés n’ayant pas forcément de gros budget. Cela lui ouvre aussi des perspectives à l’international, en particulier dans les pays en voie de développement, estime Sébastien Jodogne.
Mais les utilisateurs potentiels d’Orthanc se trouvent aussi dans d’autres catégories de clientèle. Notamment les chercheurs et les jeunes pousses. L’historique des téléchargements effectués à ce jour (le cap des 5.000 a été franchi à la mi-juin) le prouvent, Orthanc semble très prisé par des start-ups (en nombre croissant) qui se positionnent sur le créneau des solutions technologiques médicales et/ou e-health.
“Pourvoir s’appuyer sur un logiciel open source autorisant les échanges efficaces d’imagerie médicale leur évitera d’en passer elles-mêmes par des années de développement pour faire en sorte que leur solution puisse récupérer des données à partir de différents systèmes. Je peux citer en exemple une jeune start-up en imagerie cardiovasculaire qui est très heureuse d’avoir déniché une solution qui se charge des transferts Dicom et de la plomberie. Cela lui permet de se concentrer sur son coeur de métier.”
Une petite communauté open source a commencé à se constituer, comprenant “environ 20 contributeurs actifs”. L’espoir de Sébastien Jodogne est que la communauté contribue à l’évolution du code, “par exemple pour ajouter un support JPEG 2000 et DicomRT.”
Prochaine étape, une spin-off?
Initié et bien décidé à demeurer dans le giron du CHU de Liège et de l’ULg, le projet ambitionne toutefois de se transformer en société. Première étape: un séjour d’incubation au sein du WSL.
Quel modèle business est-il envisagé pour rentabiliser l’activité? L’objectif est de développer de nouveaux produits basés sur Orthanc et “assurer ainsi la pérennité du logiciel”. Grâce au WSL, le projet devrait bientôt bénéficier de l’aide d’un manager de haut niveau (via le programme CXO). Il aura pour tâche de guider et de positionner commercialement la jeune structure. Pour rappel, le programme CXO permet à une start-up ou spin-off innovante de bénéficier pendant un maximum de 3 ans des services à plein temps d’un manager “high level”, rémunéré partiellement via un financement de la Sowalfin.
A noter encore qu’Orthanc participera au MIC Summer Camp, un hackathon open source qui se tiendra en août. Objectif: “se servir d’Orthanc comme framework Web pour créer une application open source destinée à des PME ou administrations publiques.”
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