Big data: condition sine qua non d’“intelligence urbaine”

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Par · 03/06/2014

L’analyse de données massives, hétérogènes et croisées est potentiellement une mine d’or pour les villes et communes qui désirent mieux maîtriser ce qui influence à la fois leur rentabilité, leur attractivité et la vie de leurs citoyens. Ou des entreprises et industries établies sur leur territoire. C’est en tout cas l’argument qu’utilisent tous ceux qui se positionnent dans le domaine des “smart cities”.

Pas uniquement les mégalopoles

Une fois encore le terme de “big data” fait penser aux agglomérations plus modestes qu’elles ne sauraient y trouver des avantages. Le fait est vrai, dans certains cas, si on limite la réflexion aux seules données “internes”, émanant uniquement des acteurs situés sur le territoire. Mais, comme on l’a vu dans ce dossier dès l’article qui s’arrête sur la définition du ‘big data’ (Big data: ‘big’ mais aussi et surtout hétéroclites), l’un des éléments de définition est l’hétérogénéité, la variété des données et leur combinaison. Un autre élément pertinent, pour toute agglomération, est la comparaison de “ses” données avec celles d’autres entités, la mutualisation (à la fois des moyens et des sources de données).

Lors d’une conférence organisée pendant la Big Data Week, Frank Butstraen, directeur de FuturoCité, expliquait par exemple que les 262 villes et communes de Wallonie auraient sans doute intérêt à mettre le plus possible en commun leurs données de consommation énergétique des bâtiments publics afin de faire émerger constats et idées de bonnes pratiques.

“FuturoCité a réalisé une étude d’optimisation de la gestion énergétique pour la commune de Ottignies-Louvain-la-Neuve. Objectif: faire le bilan du parc existant, optimiser les moins performants afin qu’à terme, aucun ne dépasse le niveau C. Des capteurs ont été installés dans les bâtiments les plus énergivores afin de surveiller leurs consommation à distance. Les relevés ont permis de déterminer un potentiel d’économie de l’ordre de 150.000 euros, soit un quart du budget totale que la commune consacre chaque année au chauffage des bâtiments sous sa responsabilité. Imaginez que les 262 villes et communes mettent en commun leur données et que l’on applique sur ce big data des techniques d’analyse pour optimiser et conseiller les communes en vue d’améliorer leur efficacité énergétique…”

Ne plus piloter à l’aveugle

La collecte et l’analyse d’informations diverses, multi-secteurs, peut permettre à une municipalité de mieux comprendre ce qui attire ou décourage les citoyens, les entreprises. L’analyse de la mobilité (flux de déplacements, pointes horaires, types de transports et de passagers, répartition par zones…) peut aider à mieux orchestrer les divers services de transport, la synchronisation des feux de signalisation, à implanter de nouveaux parkings voire de nouveaux commerces et services publics pour les rendre par exemple plus accessibles aux moins valides.

Dans un registre plus “marketing”, “démontrer qu’on a la maîtrise des éléments peut permettre à une ville d’attirer davantage d’investisseurs”, souligne Philippe Dubernard, responsable Smart Cities pour le département Public sector d’IBM Belux.

“Si nos villes ne font pas l’effort de mieux maîtriser leur matière et si d’autres villes, par exemple, dans les pays limitrophes ou des villes voisines le font de manière plus dynamique, on risque de voir nos villes désertées par les entreprises, voire la population.” L’effet risque selon lui d’être particulièrement perceptible dans les zones transfrontalières. Mons et Tournai ne doivent par exemple pas négliger la “concurrence” et le dynamisme de villes telles que Lille ou Tournai. Côté est, la proximité d’Aix-la-Chapelle ou de Maastricht constitue aussi un pôle d’attraction. Tout comme la ville de Luxembourg, vers le sud.

Faire émerger l’inconnu

Que peut permettre la “fouille”’ de données des réseaux sociaux? La ville de Mons utilise un outil d’analyse de “social sentiment” pour mieux cerner ce qui se dit d’elle et de certaines problématiques. Par exemple, l’organisation de Mons 2015 ou les risques de désertion du centre-ville par les commerçants. Les arrêts de bail se multiplient dans le piétonnier. Pourquoi? L’analyse des échanges sur réseaux sociaux a donné les enseignements suivants: principale raison, la concurrence mais suivie de près par un sentiment de non-sécurité. “Ce qui a étonné la police”, déclare Frank Butstraen (l’application d’analyse a été mise à disposition par FuturoCité/IBM). “C’est là un paramètre qu’on n’attendait pas en si bonne place. Devant les problèmes de mobilité/accessibilité, de travaux ou encore de propreté.

 

Croiser des données de mobilité avec des informations de pollution et de santé est une pratique de plus en plus courante pour les villes qui ont décidé de déployer des solutions de surveillance urbaine. Parmi elles, Santander, en Espagne, Nice ou encore Dublin. En pouvant anticiper les flux de trafic, prédire les engorgements, il leur devient possible d’organiser des itinéraires ponctuels de délestage. De même, l’équipement des rues et des parkings en capteurs qui détectent la présence de véhicules permet de prévenir les automobilistes en leur conseillant tel ou tel endroit où des places sont encore disponibles. Histoire d’éviter des embouteillages pour cause de voitures cherchant désespérément à se garer dans un quartier saturé. Lyon a poussé l’exercice jusqu’à croiser les données de circulation, de transport en commun, de parking afin de procurer des conseils multi-modaux. Pas uniquement pour qu’un automobiliste laisse éventuellement sa voiture dans un parking de délestage pour choisir le bus. Mais aussi pour les passagers de ce bus. En cas de risque de gros bouchon ou de ralentissement durable dans quelques centaines de mètres, ils reçoivent une alerte sur leur GSM leur permettant par exemple d’opter pour le vélo (service de location Vélo’V).

Frank Butstraen (FuturoCité): “La pression doit aussi venir de la base: le citoyen a le droit d’être mieux administré.”

Dublin, elle aussi, a équipé tous ses bus de capteurs qui les géolocalisent en permanence. En analysant les vitesses de circulation sur les différents tronçons du réseau urbain, un modèle prédictif a été défini qui permet désormais de prédire la vitesse à laquelle tel bus roulera dans une heure, selon telle ou telle condition météorologique. Cela permet d’adapter en permanence la coordination des feux de signalisation afin de fluidifier le trafic.

Pour de telles réalisations, c’est un véritable écheveau de systèmes de collecte et de données qui se tisse: GPS, boucles d’induction, feux de signalisation, parc-mètres, caméras de surveillance, accès aux parkings…

Lors d’événements spécifiques (une pièce de théâtre, un match de foot…), des logiciels d’analyse se mettent à l’oeuvre – avec une précision allant parfois jusqu’à 90% – pour anticiper d’où viendront les flux de voitures ou de personnes. Pour cela, les données de mobilité pure ont été croisées avec des données “sociales” (classiques, via analyse des registres publics, mais aussi plus 2.0, sur base des échanges sur réseaux sociaux). Cela permet d’adapter la fréquence de certains moyens de transport, qui seront potentiellement différents selon que l’on a affaire à un public davantage porté sur la culture ou sur le sport, provenant de tel ou tel quartier ou banlieue.