Mes idées
Mesures à prendre par le prochain Ministre de l’Economie
- former de nouveaux types de managers et de leaders qui osent se confronter à l’improbable, à la mixité des genres et concepts
- créer un pôle de compétitivité dédié à l’entrepreneuriat de l’innovation
- différencier davantage les structures et individus appelés à susciter et soutenir l’entrepreneuriat
- confier l’accélération de start-ups à quelques capitaines d’industrie de “gros calibre”
- mettre sur pied une task force “innovation entrepreneuriale” transcendant les colorations politiques
- mettre, dès le primaire, des “rock stars” de l’entrepreneuriat local en contact avec les plus jeunes, “quand ils ont encore la capacité de rêver”
- créer un statut d’étudiant-entrepreneur
- défiscaliser pendant une durée limitée les revenus générés par les entreprises qui se liguent avec des sociétés innovantes ou des start-ups
Lorsqu’il évalue les actions et mesures prises, ces dernières années, par des acteurs publics et privés en faveur du secteur IT et de l’entrepreneuriat d’une manière général, Patrick Crasson, associé chez BeNovate et BeAligned, en tire un bilan à la fois positif et mêlé de touches d’insatisfaction.
Côté positif, il cite ce qu’il perçoit comme une accélération dans la prise de mesures favorisant l’entrepreneuriat – preuve d’“une prise de conscience qu’il s’agit désormais pour chacun de devenir entrepreneur de sa propre vie, qu’il faut apprendre autre chose aux oisillons qu’attendre la becquée.”
Patrick Crasson: “Il est nécessaire de former de nouveaux types de managers et de leaders, de pratiquer l’immersion rapide dans des environnements improbables
Chose significative à ses yeux: les initiatives sont venues des milieux de gauche alors qu’on aurait davantage pu les attendre de la droite. C’est que le monde change inexorablement. “Nous sommes dans un effet de bascule entre deux périodes, à un moment-clé où les modèles poussent à la destruction créative. Il faut être solide pour survivre, oser changer de métier. Rien ne sert de retarder les échéances.”
Le choix qui s’offre aux entreprises est sans équivoque: soit mettre la clé sous le paillasson, soit prendre le taureau par les cornes. “Nous ne sommes plus à une époque où l’économie était planifiée. Nous sommes entrés dans l’économie transformationnelle. Le travailleur ne peut plus être un simple suiveur. Il doit devenir “résolveur” et à terme “maker”, comme le dit Chris Anderson.”
A cet égard, la mutation est encore loin d’être terminée: “trop de managers ne sont pas encore suffisamment des leaders. Il est nécessaire de former de nouveaux types de managers et de leaders, de pratiquer l’immersion rapide dans des environnements improbables, de rechercher la cohabitation des profils, de mettre fin aux cloisonnements.”
Des choses bougent en Wallonie, estime-t-il. Des sujets et concepts qui étaient encore tabou hier sont maintenant prônés, considérés comme outils magiques. “Je remarque une volonté d’aller de l’avant, pas uniquement dans les milieux académiques mais aussi, par exemple, au travers d’initiatives sociétales basées sur la créativité. Et cette volonté semble être même plus prononcée qu’en Flandre. Je peux en témoigner puisque je travaille dans les deux environnements. C’est positif et très intéressant. Une première amorce, sans doute, d’un changement de la réalité culturelle.”
Changement “culturel” et clivages politiques
La clé est là, aux yeux de Patrick Crasson: le changement de réalité culturelle, de perception. “Le problème de la Wallonie ne se situe pas dans les compétences. Arrêtons, à ce sujet, de faire notre calimero.”
Il s’agit, selon lui, d’accélérer le mouvement et d’encadrer les initiatives et la mise en oeuvre de ces nouveaux concepts désormais acceptés. “Pourquoi ne pas créer un pôle de compétitivité dédié à l’entrepreneuriat de l’innovation? Avec une réelle structure, un patron charismatique, un véritable comité de direction qui le soutienne…”
“L’innovation entrepreneuriale n’est pas l’apanage d’une quelconque orientation politique”, souligne-t-il par ailleurs. “Dès lors, si j’avais la charge d’un ministère de l’économie ou du numérique, je tenterais de trouver un cadre commun de réflexion dans un esprit de complémentarité politique. Il faut sortir le drapeau blanc, réfléchir, chacun avec sa sensibilité, sur ce qu’est l’innovation entrepreneuriale. Je demanderais aux différents partis politiques de mettre sur pied une task force où chacun travaillerait pour le bien économique et social des citoyens.”
Saupoudrage et consanguinité
Côté moins positif de la médaille, Patrick Crasson relève la persistance de quelques travers dans le sud du pays. A commencer par le “saupoudrage” des initiatives qui “risque de provoquer une énorme dilution entrepreneuriale.”
Effet encore accentué, à son avis, par le fait que “l’on retrouve souvent les mêmes personnes à la barre de ces diverses initiatives. Si on retire les “doublons” [Ndlr: notamment les projets qui passent par plusieurs structures d’accompagnement ou d’incitation à l’entrepreneuriat], les résultats et statistiques sont sans doute moins brillants qu’on le dit. Vu de l’extérieur, l’écosystème semble assez fermé. Des start-ups qui ne réussissent pas via une première initiative s’orientent vers d’autres environnements où elles retrouvent souvent les mêmes coachs. Qu’est-ce qui garantit, dans ces conditions, qu’elles réussiront?
Il y a là un manque de coordination et de cohérence qui risque de retarder voire d’étouffer le coming out des néo-entreprises et des projets. On obtiendrait alors l’effet inverse de celui recherché [par la multiplication des initiatives]”, prévient Patrick Crasson.
Franchir un nouveau cap
Si les graines ont été semées, si les mentalités pro-entrepreneuriat ont évolué, reste à franchir un pas supplémentaire. Et cela exigera, aux yeux de Patrick Crasson, de changer de braquet. Plusieurs ingrédients devront être au rendez-vous, nécessitant l’adoption de nouvelles mesures et méthodes. Tout d’abord, attirer davantage les capital-risqueurs: “la Wallonie devra faire un gros effort en la matière et ne pas s’appuyer uniquement sur des “adjuvants” [lisez: de grands groupes et grosses pointures étrangères qui promettent d’injecter de l’argent dans des projets ponctuels et formulent des promesses de création d’emploi non toujours suivies d’effets]. Il faut un renouveau de la gouvernance, en finir avec le placement de pions-amis à des postes de contrôle.”
Deuxième élément nécessaire: pour “accélérer” les start-ups, il faut mettre les néo-entrepreneurs en contact, non plus avec des coachs, mais avec des “capitaines d’industrie, qui ont un bagage, une réelle connaissance du terrain, un réseau… Ces personnes d’expérience devraient travailler avec les responsables chargés de coordonner les initiatives. Ce sont ces personnes expérimentées qui peuvent rendre possible la rencontre avec le marché, impulser la vraie croissance.”
Patrick Crasson: “Les phases de création de start-up et d’accélération sont deux temps distincts, qui ont besoin de personnes, de structures, d’environnements différents. Les terreaux sont différents.”
Est-ce encore le rôle de la Région d’organiser ce deuxième niveau d’accompagnement, s’interroge-t-il. “Sans doute dans une certaine mesure mais probablement davantage au travers de partenariats public-privé, où la gouvernance est au rendez-vous et la mainmise politique moins importante.”
L’effet d’accélération impliquera aussi, selon lui, d’éviter cet écueil du saupoudrage dont il a déjà été question. “Les moyens étant insuffisants, impossible de saupoudrer comme on l’a fait pour l’étape d’évangélisation. Maintenant qu’un état d’esprit a été créé, il serait plus opportun de ne soutenir que les meilleurs afin qu’ils puissent aller plus loin. Sans pour autant casser la dynamique qui a été créée, sans casser l’environnement généré…”
Ensemencer dès le plus jeune âge
C’est dès le primaire (les trois dernières années) que doit se planter la petite graine de l’envie d’entreprendre, la prise de conscience des possibles et de ses propres potentiels. “A cet âge, les enfants ont encore la capacité de rêver de leur futur.
C’est à ce stade-là qu’il faut peut-être les faire rencontrer les “rock stars”. Pas les plus emblématiques, mais les responsables de sociétés à succès de la région. Soigneusement sélectionnés. Des gens capables de parler aux enfants, ayant le sens de la pédagogie… Des rock stars capables de susciter chez eux de l’enthousiasme pour leurs futurs métiers.”
Autre idée, pour la même catégorie d’âge mais aussi pour le secondaire: désigner des “représentants de l’entrepreneuriat et de l’“innopreneuriat”, tout comme il y a des conseillers PMS. Ils seraient là pour montrer aux jeunes comment fabriquer et vendre un produit lors d’une fancy faire, découvrir les arcanes de la logistique, du marketing. Ils seraient à leur écoute et pourraient ainsi peut-être ainsi identifier les high potentials, les jeunes montrant certaines prédispositions…”
Plus tard, au secondaire supérieur, une bonne mesure, selon Patrick Crasson, serait de mettre en oeuvre un statut d’étudiant-entrepreneur. “Avec des facilités pour les études, des avantages- légaux, fiscaux…-, de vraies mesures, un vrai cadre, mais qui soit simple, non contraignant. On a bien créé un tel statut spécial pour le sport. Pourquoi pas pour l’entrepreneuriat?”
Patrick Crasson: “Instaurer une fiscalité minimale pour les jeunes entrepreneurs jusqu’à 25 ans, permettrait de booster les activités. Car l’entreprise doit rapporter de suite à son créateur.”
Au rayon fiscalité, Patrick Crasson propose une mesure destinée à inciter davantage les entreprises “classiques” à s’allier, à collaborer avec des sociétés innovantes ou des start-ups. Que ce soit par le biais de joint ventures, de contrats, de prise de participation, d’investissement… “Pourquoi, pendant une durée déterminée – deux ou trois ans, par exemple -, ne pas défiscaliser les revenus générés, dans ce cadre-là, par ces entreprises?”
L’accélération de l’innovation passe par la rencontre de ces deux mondes, estime-t-il. “La nouvelle économie va sauver l’ancienne mais cette dernière donnera, quant à elle, les bases dont a besoin la nouvelle. Ces deux univers ne sont pas des mondes séparés.”
Le redéploiement économique devra aussi prendre en compte les “seniors”, les plus de 50 ans. A quand un statut spécial (légal, fiscal…) pour cette catégorie d’âge qui peut encore tellement contribuer à l’économie? “Il faut un véritable statut pour les motiver à exploiter leurs talents au bénéfice de projets innovants.”
Petit exercice de science-fiction
“L’idée d’une nouvelle ville a été émise. Pourquoi ne pas plutôt rêver de création d’une vraie ville innopreneuriale où le passé rencontrerait l’avenir, où les artistes croiseraient et collaboreraient avec les ingénieurs, où les profils STEM (1) auraient été remplacés par des profils STEMIEA? Une ville qui verrait surgir des centres high tech- télécoms et data? D’anciens sites industriels [Ndlr: à l’image du Téléport luxembourgeois bâti sur un ancien site Arcelor] ou culturels, voire historiques, pourraient être des lieux idéaux, pour une création de A à Z. Pourquoi ne pas en faire la future Silicon Valley belge, voire européenne?”
(1) STEM: science, engineering, technology, mathematics. STEMIEA: les 4 mêmes ingrédients enrichis de compétences comportementales: innovation, éthique et attitude.
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