François-Xavier Despret, 3GSP: “davantage de volontarisme, moins de frilosité”

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Par · 02/05/2014

 

Mes idées

  • développer des outils nouveaux pour accentuer la crédibilité des acteurs IT locaux aux yeux des donneurs d’ordre, privés ou publics, locaux
  • instaurer une logique de parrainage pour combattre la frilosité par rapport à des solutions innovantes n’ayant pas encore fait leurs preuves
  • favoriser la constitution d’alliances entre PME, via l’Infopole Cluster TIC ou en direct
  • favoriser une plus grande prise de risque en les mutualisant
  • définit un plan global, avec des orientations à 10 ou 15 ans mais avec une capacité de modifications permanentes
  • ne plus “enseigner” l’informatique mais former à son usage
  • simplifier les règles, repartir d’une page blanche

L’un des sujets qui tient plus particulièrement à coeur à François-Xavier Despret est celui des chances et opportunités que les acteurs IT locaux peuvent espérer voir s’ouvrir à eux sur leur marché régional ou national. Il prend l’exemple des solutions ERP: “les solutions SAP et Oracle sont lourdes, complexes, chères, manquent d’ergonomie mais elles ont fait leurs preuves, notamment en capacité à gérer de très grosses bases de données. Une solution telle OpenERP est plus souple et plus ergonomique, offre une meilleure proximité de service, mais suscite comme réaction “a-t-elle déjà fait ses preuves auprès d’un tout grand client international”?.

François-Xavier Despret: “Les décideurs sont souvent dans une logique du “choix sans risque”. Il faut changer cela, via une politique volontariste.”

Résultat? Quel responsable informatique d’une grande boîte ou d’un service public prendra le risque d’opter pour OpenERP? Où est la motivation d’un grand compte belge? Le problème qui se pose est celui de la crédibilité, un problème sans doute plus important encore dans le secteur IT que dans d’autres secteurs.”

Comment, en d’autres termes, les petits acteurs locaux peuvent-ils acquérir de la crédibilité si personne ne leur donne leur première chance, si le marché local n’est pas ouvert à ce potentiel?

La réponse, aux yeux de François-Xavier Despret, est sans doute dans la nature et la structure-même du secteur IT: “C’est sans doute celui qui se prête le mieux à des notions de partenariats, de cluster… Chaque acteur peut développer des compétences pointues dans un domaine précis – ERP, Java, sécurité… – qui peuvent se coaliser via des partenariats.”

Vaincre la frilosité ambiante

“Si j’étais ministre de l’Economie, l’une des mesures principales que je prendrais serait de constituer un comité chargé de réfléchir à l’analyse des paramètres qui expliquent ce problème de crainte du “risque local” et d’imaginer des solutions qui favorisent la crédibilité des acteurs locaux. Ce comité pourrait être constitué de représentants des services publics, de PME, de grandes entreprises…  mais devrait nécessairement être présidé par quelqu’un de visionnaire. L’un des rôles de ce comité serait de veiller à un meilleur maillage du tissu local.”

François-Xavier Despret: ”Mon avis est qu’une logique de parrainage pourrait débloquer bien des choses.”

Plus qu’un simple tissu de partenariats, la clé, à ses yeux, réside dans un mécanisme de parrainage pour solutions naissantes, novatrices (certes efficaces et pertinentes) venant des acteurs locaux.

Objectif: offrir une certaine garantie ou sécurité de bonne fin et permettre ainsi à un grand acteur (qu’il soit privé ou public) d’oser prendre le “risque” de l’implémenter, de servir de premier déploiement-témoin, d’espace de prototypage. Il deviendrait ainsi une référence, à faire valoir sur la carte de visite de la PME ou de la start-up.

Cela permettrait à une PME de valider ses solutions auprès de références actives et de pouvoir se lancer sur les marchés, en ce compris à l’exportation, en pouvant alléguer de quelques clients de grande envergure, qu’il s’agisse de grandes entreprises privées ou services publics ou parapublics.”

Qui pourraient être les “parrains”, garants de bonne fin? Ils sont potentiellement nombreux, selon lui: des acteurs de l’animation économique (du genre AST, ASE, BEP…), les centres de recherches, l’AWT, de grandes entreprises “proches” des sphères publiques (Ethias, Sonaca, FN, be.post…) ou de milieux qui sont eux-mêmes proches de la sphère d’influence et d’impulsion publique (par exemple toutes les entreprises qui ont des liens avec les universités). “Sans oublier les entreprises qui bénéficient des programmes des pôles de compétitivité, tous ces acteurs qui sont aidés par la Région au travers des pôles… Il faut en revenir à du donnant-donnant.”

“Il faudrait favoriser la constitution d’alliances entre PME, via le cluster ou en direct, afin qu’elles puissent plus aisément concourir dans des appels d’offre.”

“Cette idée de parrainage s’inscrit parfaitement dans le prolongement du Plan Marshall, qui s’est notamment concentré sur le volet recherche. On ajouterait ainsi une notion de transformation d’un projet de recherche ou d’un prototypage en un produit opérationnel, ayant fait ses preuves auprès de ce parrain”.

Cette mesure ne coûterait pas grand chose, poursuit-il. Il s’agirait de définir une charte, d’impliquer tous les acteurs qui peuvent jouer un rôle: les centres de recherche Multitel et CETIC, l’AWT, l’Awex, les acteurs IT locaux… “Il faudrait favoriser la constitution d’alliances entre PME, via le cluster ou en direct, afin qu’elles puissent plus aisément concourir dans des appels d’offre.”

La “garantie de bonne fin” pourrait prendre la forme d’une intervention du parrain ou de l’écosystème: conseil, assistance, offre d’une solution de rechange ou de rattrapage dans le cas où le petit acteur local ou sa solution connaisse des problèmes. Via, éventuellement, un fonds en cas de dommage collatéral. “Je n’ai pas de solution toute faite. Ce sera au Comité de réfléchir à la manière de procéder.”

Le fantasme des risques

“On a parfois l’impression qu’être Wallon est un handicap… en Wallonie. Il faut arrêter ce fantasme qui consiste à croire que les autres sont mieux que nous.”

Pourquoi toujours vouloir minimiser ses risques?

“Au lieu de se tourner systématiquement vers des acteurs et des services allemands ou américains qui sont perçus comme la voie la moins risquée, pourquoi ne pas favoriser une plus grande prise de risques mais en les gérant via la mutualisation, en faisant se coaliser les acteurs locaux.”

“Le commanditaire justifie parfois son choix [d’une solution venant d’un grand acteur ou d’un prestataire de réputation internationale] par un niveau de garantie supérieur qu’il aurait obtenu. Mais une garantie qui couvre souvent un risque mineur. Comme si une indisponibilité de mail quelques minutes par an, par exemple, était catastrophique. Il n’y a pourtant là rien de vital pour une entreprise. C’est comme si, pour ses déplacements en voiture, on avait toujours présent à l’esprit le risque infinitésimal de tomber en panne. Comme si on ne pouvait pas faire face à l’inconvénient de cette panne hypothétique par un simple coup de fil via son GSM à son service de dépannage ou à un ami. Chaque conducteur raisonne-t-il en la matière en se disant qu’il doit nécessairement choisir la voiture la plus puissance, la plus coûteuse ou portant la marque la plus connue?”

Il y a, à cet égard, dans les discours et les postures, une certaine contradiction, estime-t-il. “Comment peut-on à la fois dire que l’on a ou que l’on veut faire de la Wallonie une région créative et, dans le même temps, favoriser le maintien en poste de fonctionnaires qui ont peur de tout, de prendre le moindre risque. Les risques, il faut savoir les accepter mais en les partageant. Il faut même parfois les stimuler…”

Le spectre du protectionnisme?

Ne risque-t-on pas, en raisonnant ainsi, de s’attirer les foudres des gardiens de la libre concurrence? Est-il possible de mettre de tels mécanismes en oeuvre, notamment dans le secteur public qui procède par appels d’offre européens?

François-Xavier Despret: “C’est une hérésie que d’exporter avant d’avoir fait ses preuves en local.”

“Tout ne passe pas par des appels d’offre, même dans le secteur public. Et rien n’empêcherait les pouvoirs publics d’évoquer l’argument du prototypage. Il est de toute façon toujours possible d’ouvrir davantage les appels d’offres, de faire en sorte – sans les “goupiller” pour autant – que les cahiers de charges laissent davantage de chances aux petits acteurs, éventuellement constitués en consortium. Le choix de certains critères ne doit pas être forcément vu comme du protectionnisme. La pondération a aussi un rôle à jouer et, en la matière, c’est le donneur d’ordre qui décide de la pondération…”

Le rôle du politique

“La politique ne fait jamais qu’orienter les budgets. Il lui revient de mettre en place les éléments nécessaires pour que l’économie et les acteurs se développent, pas de le faire à leur place.”

Comment, dès lors, François-Xavier Despret voit-il le rôle du politique dans la définition des orientations? Jusqu’à quel niveau de détail doit-il aller? En rester au niveau du cadre générique, des orientations stratégiques ou plonger dans le cambouis des détails?

François-Xavier Despret: “Le rôle du politique est de mettre en place les éléments nécessaires pour que l’économie et les acteurs se développent. Il n’est pas de le faire à leur place. Les budgets doivent être utilisés pour mettre en place des facilitateurs, comme cela se fait d’ailleurs déjà.”

“Dans le style Master Plan TIC, il ne faut pas définir de plan à 5 ou 6 ans qui sera rapidement dépassé. Il faut des orientations à 10 ou 15 ans ans mais une capacité de modifications permanentes.”

En se remémorant le contenu du Master Plan TIC présenté par le Ministre Jean-Claude Marcourt voici déjà près de deux ans, deux chapitres lui apparaissent comme ayant souffert de faiblesses.

Le chapitre formation, tout d’abord. “Vouloir donner des orientations en matière d’équipement informatique des écoles est naïf”, estime-t-il. “Je me demande d’ailleurs si la familiarisation à l’informatique doit se faire au niveau des écoles? Je ne crois pas qu’il soit nécessaire d’avoir un ordinateur à l’école pour apprendre à l’utiliser. C’est là une logique qui est celle des anciennes générations [qui ont vécu une époque où l’accès aux outils était plus problématique].

Aujourd’hui, rares sont les enfants et les jeunes qui n’ont pas accès, d’une manière ou d’une autre, aux équipements. Au lieu de vouloir apprendre l’informatique, il est plus important de former à l’usage qu’on en fait.

L’enseignement n’est pas là pour spécialiser les jeunes à l’usage d’outils IT qui seront dépassés lorsqu’ils arriveront sur le marché du travail. Le volet social et l’aide aux écoles en difficultés constituent une problématique à part, que je ne remets pas en question. Mais imaginer un plan de déploiement de milliers de PC dans les écoles qui seront désuets dans 3 ans, c’est au mieux un plan qui aura des effets pendant deux ans. C’est une mauvaise orientation.”

Autre chapitre où il aurait été possible de faire mieux ou autrement: la modernisation de l’administration. “C’est certes une bonne chose mais il ne faut pas la concevoir dans un esprit d’isolement, avec une Administration qui craint systématiquement de se tromper de solution. Il faut mettre en oeuvre un esprit nouveau lui permettant de mettre en place des choses différentes, innovantes…”

Il rappelle qu’automatiser un processus bancal ne résout jamais rien. Simplifier ou moderniser doit d’abord se faire au niveau du processus. “Il faut d’abord simplifier les règles, éliminer les aberrations, partir d’une page blanche. Or, on procède souvent à l’envers: on rend l’IT plus puissante pour supporter des processus éminemment trop complexes. Quand le jeu est rendu complexe à plaisir, les gens trichent – volontairement ou non – et les arbitres ne parviennent plus à discerner ce qui se passe et ce n’est pas l’IT qui y mettra d’elle-même de l’ordre. Il ne faut adapter SAP aux processus ou confier à Ernst & Young (ou à une société homologue) une mission visant à déterminer comment mettre SAP en phase avec les processus. A cet égard, faire appel à de petits acteurs locaux aurait également un effet bénéfique car ces petites PME n’ont pas le temps de passer des mois ou des années à concilier et adapter. Elles appliqueraient beaucoup plus de pragmatisme…”